Ogmad fixa de ses prunelles noires le général d'un œil mauvais tout au long de sa semonce pleine de menace. Il était loin d'être ravi du sort qui lui était réservé, et il le fit savoir, d'une voix grave et rocailleuse :
« Je suis habitué à ce genre de fourberies, HOMME, elle me rappelle celle de mes comparses. Vous autres, hommes de l'ouest, vous vous croyez plus honorables, vous vous placez au-dessus des orcs mais ce sont des balivernes dont vous vous persuadez. Vous n'avez aucune parole, tu me promets la vie mais tu comptes me livrer à d'autres pour qu'il se charge de la sale besogne ? En plus d'être fourbe, ton roi est un lâche. »
Ogmad regarda Elendil avec dépit. Puis se concentra à nouveau vers le général :
« Aucun orc n'a jamais servi les vilains hommes de l'ouest alors comptes pas sur moi pour être le premier. Plutôt crever !
Mais puisque tu sembles reconnaître ma force et si tu veux vraiment négocier, parlons donc plus convenablement. De quelque chose de plus profitable pour toi et pour moi. »

Ogmad sourit malicieusement avant de reprendre, on ne peut plus sérieusement :
« Tu as une dent contre les orcs, on dirait, au moins ceux des collines Evendim puisque tu m'as posé toutes ces maudites questions. Uzglug est mort et j'ai donc toutes mes chances pour prendre la tête de ce qui reste du clan des loups noirs. Pas grand monde pour tenir tête à Ogmad, le nouveau maître des loups. Tu aides Ogmad à devenir chef, et les loups noirs ne seront plus un soucis pour toi. Et... tu auras les informations qu'il te faut en temps et en heure pour te débarrasser des autres clans, en commençant par ces maudits loups blancs.
Çà c'est un marché équitable. C'est ça ou bien tu peux bien faire ce que tu veux d'Ogmad. Sous la torture, je parlerai oh oui, il faudra bien. Mais pour ce qui ce que tu pourras en faire, c'est une autre histoire. »

Sothor souffla longuement.

« La fierté... Elle a tué bien plus que mon arme ou tous les hommes que j'ai pu commander... »

Il se tourna vers Elendil et lui murmura

« Je pense qu'il n'y a plus rien à en tirer, du moins pour l'instant. Pourrais je vous voir en privé peu après ? »

Elendil se contenta d'hocher de la tête en approbation.

Le général envoya un dernier regard inexpressif vers l'orc et sortit de la tente, s'assurant auparavant que l'un de ses hommes garde un oeil sur le captif puis il fit un signe de tête à l'attention de son dirigeant pour que ce dernier le suive.

Une fois certain qu'aucune oreille indiscrète ne puisse les surprendre, il fixa son souverain d'un regard glacé, tout autant que le ton de sa voix.

« Sauf tout le respect que je vois dois, Ô Elendil le Grand, qu'avez vous fait par tous les Valars?

A quel moment avez vous pensé que lui promettre la vie sauve aurait pu nous faire avancer dans notre future installation prè du lac Evendim? Vous l'avez entendu comme moi non? "Je vous promet que les loups noirs ne seront plus un problème pour vous..."

Mais qu'en avons nous à faire par Manwe? Vous aviez, j'en suis sûr, toutes les armes nécessaire pour lui faire cracher tout ce qu'il était possible d'en obtenir mais en lui garantissant la vie sauve, il s'est refermé comme une huitre, prêt à tout marchander car il a su à cet instant que nos options de négociations étaient ruinées!!!

Je ne suis pas un barbare, je ne voulais pas le torturer. Juste l'abattre.

ET VOTRE PROMESSE ABSURDE NE M'A LAISSE QUE TROIS MISERABLES CHOIX, TOUS PLUS DEPLORABLES LES UNS QUE LES AUTRES!! L'engager auprès de moi, ce qui n'augurait que des problèmes des années durant le temps de l'endoctriner, me rendre parjure, ce que je ne saurais me pardonner ou bien mettre mes menaces à exécution : lui couper les bras, les jambes, lui bruler la gorge au fer rouge et lui bruler les yeux avant de le remettre en liberté.

Car ce qu'il ne doit pas faire, C'EST REVELER AUX AUTRES ORCS NOTRE PRESENCE!!! J'ai hourdi des stratégies pour accomplir l'exode de notre peuple tout entier afin de nous offrir les chances de bâtir des défenses suffisantes. Supposez qu'il retourne auprès des siens et leur dise la raison de notre présence ici. Nous n'aurions même pas le temps de planter une tente que des ennemis en surnombre se jetteraient à l'assaut sur nous. Et tout mon travail, le vôtre, et celui de tous les Edains fidèles aux anciens préceptes serait réduit à néant. Si un seul orc réchappait de cette bataille... »

Sothor avait le poing serré, les phalanges blanchies et sa colère intérieure palpable. Il expira longuement, avant de reprendre, plus calme.

« Néanmoins, rien n'est encore figé. Il nous est tout à fait possible de conserver Ogmad en cage le temps de décider de ce que nous pourrons faire de lui. Et nous dépêcher de rejoindre notre destination. »

Et sans en rajouter davantage, le général regardait son roi au fond des yeux attendant un verdict. Il savait qu'une telle réaction de sa part entrainerait une sanction, dusse-t-elle n'être que verbale, mais il préférait être déchu et pendu haut et court en place publique si cela permettait aux Edains dans leur ensemble de s'installer durablement sur leur terre d'accueil.

Elendil avait écouté son général parler avec patience et sans donner d'indications quant à ses réactions aux paroles dures de Sothor. Lorsque ce dernier eut finit, le roi prit son temps pour former ses pensées et pour se calmer avant de répondre.

« Général Sothor, votre zèle pour votre tâche et votre peuple est admirable ... votre attention aux détails l'est moins ... sans parler de votre respect pour votre roi ! » Le regard glacé d'Elendil semblait vouloir transpercer Sothor de part en part.

Après une longue minute sans rien dire, Elendil le grand reprit d'une voix monocorde: « Je suis déçu général, je m'attendais à plus de votre part ... commençons par le commencement ... »

« Il me semble évident que vous avez grandement diminué nos possibilités de manœuvre quand vous avez étendu ma promesse de lui laisser la vie sauve de ma personne à tous les Edain ... cela n'a jamais été mon intention ni mes mots lorsque j'ai promis à cet orc la vie sauve, vous lui avez indiqué qu'aucune main d'Edain ne le tuerai et vous osez me donner des leçons après cela?! Vous auriez pu le tuer sur le champs si tel était votre désir, ma promesse n'engageait que moi mais votre promesse vient d'engager notre peuple tout entier ... cet orc, s'il est libéré, pourrait tuer l'entièreté de notre peuple et nous ne pourrions rien faire du à votre manque de prudence et votre manque d'écoute aux mots de votre roi! » Elendil avait essayé de garder son calme mais avait finit par élever sa voix durant ses dernières paroles.

Passant une main dans ses cheveux il poursuivit plus calmement: « Maintenant, en ce qui concerne vos "trois choix plus déplorables les uns que les autres" pour utiliser vos propre mots ... laissez moi vous donner une leçon de négociation, ne vous limitez jamais à une liste de choix par vos propre mots! Cela revient à révéler votre main à votre opposant sans même parler des énormes limitations que vous vous imposez. La prochaine fois, au lieu de réfléchir à voix haute vous seriez bien informer de vous offrir le luxe de la réflexion avant de dire d'énormes bêtises parce que j'entrevoie au moins cinq différentes solutions en plus de vos "trois choix plus déplorables les uns que les autres" ! »

Une fois de plus le calme manquait au souverain, faisant preuve de force de caractère il se força à reprendre doucement: « Finalement, le simple fait que vous insinuez mon manque de considération pour l'installation de notre peuple et sa sécurité relève presque de la trahison cher général ... pesez vos prochain mots avec justesse car je ne vous laisserai pas une fois de plus assumer que votre roi a "oublié" que les orcs ne peuvent pas savoir que nous arrivons. La seule raison pour laquelle je suis enclin à considérer cet incident comme un simple excès de zèle vient de ma conviction concernant vos pures intentions, néanmoins, ne laissez-les pas prendre le dessus de la raison Sothor ... utilisez votre logique et faite attention aux mots utilisez par Manwë. »

L'intendant du royaume était sorti à la suite d'Elendil et Sothor, restant à distance raisonnable pour leur laisser l'intimité à laquelle ils semblaient tous deux tenir pour cette discussion. Voilà qui n'augurait rien de bons. Les deux étaient tellement absorbés par leur conversation et leurs réflexions qu'ils ne s'aperçurent pas que Fëaromen s'était approché doucement, prenant la mesure de la teneur des échanges.
Ce dernier grimaça aux dures paroles du général et se glaça lorsqu'il entendit finalement Elendil prononcer le mot trahison. Lui qui d'ordinaire masquer si bien ses émotions semblait sur le point de défaillir. Il tira sur son col de son index - le visage en sueur - et prit le parti de s'approcher des 2 protagonistes, dévoilant son écoute indiscrète. Après tout, il s'agissait d'affaires de la plus haute importance pour le royaume.

Il se racla la gorge, devenant soudainement la cible des regards inquisiteurs, se fendit d'un sourire gêné et finit par intervenir, en choisissant scrupuleusement ses mots :
« Navré, je n'ai pu m'empêcher de tendre l'oreille, affaires du royaumes oblige... »
Il força un toussotement et reprit :
« Si nous ne sommes point en mesure - nous, l'élite parmi l'élite de ce qui subsiste des Edain - de travailler ensemble, de s'ouvrir aux idées des autres... d'assumer collectivement les décisions et prises d'initiatives de chacun. Alors, nous sommes perdus d'avance et soit nos lignées s'éteindront, soit nous feront subir à ces Terres ce que le seigneur des ténèbres a fait subir à notre patrie perdue. Ne vous laissez donc point avilir par l'attitude de cette créature. »

Ces paroles introductives prononcées, Fëaromen - qui avait retrouvé son aisance - se tourna vers Sothor et lui dit d'un regard sévère, mais sans forcer son autorité :
« La situation ne méritait en aucun cas des paroles aussi dure à l'encontre de notre souverain. N'oubliez JAMAIS qui nous a permis à tous d'arriver jusque là. Et choisissez mieux les mots que vous lui adressez. Vous n'aurez pas droit à un autre avertissement. »

Puis, il se tourna vers Elendil, d'un regard qui appelait à la compréhension :
« Le général n'a pas dormi depuis plusieurs jours et la bataille a été rude pour tout le monde. Je fais appel à votre compréhension. Sothor n'a pas mal interprété votre promesse. Du moins de mon point de vue également. Jouer sur les mots quand on promet la vie à une créature, quelle qu'elle soit... Bien sûr, vous êtes libre de vos décisions. Mais il ne me semble pas que cela s'accorde avec la philosophie qui nous a été transmises par nos aïeux. Et on ne peut mentir à ceux qui ont toujours un regard sur nos actions, les valar soient loués.

Vous avez, en fait, tous les deux la solution alors pourquoi en venir à vous échauffer : tenez-la créature prisonnière, en honorant votre promesse de lui garder la vie sauve. Peut-être qu'elle nous révèlera d'autres informations cruciales. Elle a l'air de tenir à la vie. »

Elendil posa une main fatiguée sur son front abaissé. Puis, relèvant la tête il dit: « Faëromen a raison général, vos paroles étaient bien mal réfléchies ... mais autant étaient les miennes durant l’interrogatoire de notre prisonnier j’en conviens. Remettons donc les compteurs à zéro et allons de l’avant. Sothor, prenez du repos après vous être assuré de la garde du prisonnier orc. Le peuple des Edain aura besoin de son meilleur stratège militaire sous peu j’en suis sûr. Je m’en retourne soigner nos blessés, Fëaromen, je vous laisse le soin de régler les affaires pressantes et je vous retrouverai ce soir dans ma tente avec le conseil pour discuter de nos actions suivantes. Nous partirons pour le lac Evendim au matin donc tenez vous prêt. » Le roi des Edain prit ensuite congé en inclinant brièvement sa tête en signe d’au revoir.

Le général des Edains avait du se contenir pour ne pas exploser, mais fort heureusement pour lui, les règles de bienséance étaient fortement ancrées en lui depuis son enfance et Faerömen intervint pour clore le débat.

« A mon sens, je suis responsable des hommes sous mes ordres. Et si leurs actes vont à l'encontre de mes engagements, j'en suis le premier fautif. »

Il ne rajouta rien, laissant planer un moment de silence. Puis il ajouta :

« Mais je connais ma place, et ferais suivant vos ordres mon roi.  »

Il était certain que Sothor n'avait pas dit l'entièreté de ce qu'il aurait souhaité, loin de là, mais il était d'autres d'autres obligations qui requerraient son attention. Il prit donc congé de ses interlocuteurs, transmis les consignes nécessaires pour que la relève soit assurée en permanence près de la cage d'Ogmad et se retira dans une coin isolé afin de se reposer.

13 Juillet 3319 SA matinée
Fëaromen sourit, bien qu'il ne transparaissait aucune sorte de satisfaction de sa part, il semblait véritablement soulagé.
« Parfait général. Préparez la levée du campement pour demain à la première heure, il est temps de reprendre notre chemin vers la terre qui nous attend. Si ce n'est pas déjà fait, envoyez un messager prévenir notre peuple de l'issue de la bataille. Pour ce qui est des braves tombés en héros ici... Nous n'avons pas d'autre choix que de leur ériger un tertre en ce lieu. Les transporter ne serait pas judicieux. Je m'engage à revenir ici pour leur bâtir un mémorial digne de ce nom, dès que cela sera dans nos moyens. Allons donc nous reposer, nous avons encore du pain sur la planche. »

Concluant cette journée victorieuse mais éreintante, il joignit le geste à la parole.

Le lendemain, le général Sothor se tenait en tête de l'avant garde de son armée. Tout avait été fait selon les ordres de l'intendant grâce à la redoutable organisation des Numenoréens. Le surlendemain de leur départ, en respectant un rythme régulier mais sans forcer l'allure, l'armée retrouva Lilith et les civils à l'est du Baranduin, escortée par une dizaine de guerriers elfes que Sothor n'avait jamais vus. Il s'agissait des guerriers envoyés, comme il s'y était engagé, par Gil-Galad en prévision de la bataille à venir. Ils n'avaient pas pu rejoindre à temps le front, mais au vu de l'issue du combat, avait reçu pour ordre de protéger le peuple resté en retrait.
Les bannières flamboyantes de l'étoile et de l'arbre blanc étincelaient de mille feux sous les derniers rayons du soleil et les familles s'avancèrent tout autour des soldats, les acclamant, et cherchant leur père ou leur fils afin de s'assurer qu'ils avaient bien survécus.

Les retrouvailles furent chaleureuses, y compris pour les conseillers du roi, rassurés que rien de fâcheux ne soit arrivé à leur peuple pendant leur absence.
Le campement de l'armée fut rapidement établi. Elendil rassembla l'ensemble du conseil et les capitaines elfes dans sa tente pour un rapport.
Après que Lilith eut rapidement rassuré tout le monde et eut prit connaissance de l'état des pertes, et de l'étendue de la bataille, les capitaines elfes prirent la parole. En premier lieu Tildaël, que Sothor avait envoyé en mission sur la rive est du Baranduin, afin de s'assurer que l'armée orc n'avait pas détaché une cohorte qui aurait pu mettre en danger les civils.

A l’écoute des nouvelles venant de Tildaël Elendil se réjouit: « La destruction de ce pont est une bonne nouvelle en effet. Grâce à notre général ici présent la bataille contre les orcs fut un grand succèss. Nous allons de ce pas entamer la fin de notre voyage, tâchons de pousser notre avantage tant que nous le pouvons. »

Sothor se contenta d'hocher la tête à l'attention de Tildael, à la fois pour le remercier des actions des Noldors et du résumé qu'il en avait fait.

Le trajet pourrait se continuer normalement. Et déjà, le général se projetait mentalement sur l'organisation des mois à venir.

13 Juillet 3319 SA matinée

Le jour tombait. Elendil venait de congédier le conseil, laissant planer une ambiance de sérénité. Le général Sothor en tête, le voyage avait été minutieusement préparé. L'attaque des orcs n'aurait guère pu avoir un impact plus minime, balayés qu'ils avaient été par la détermination de son peuple. Et déjà, chacun reprenait ses fonctions pour poursuivre la marche.

Le roi des Edain trouvait motif de satisfaction à voir ses conseillers prendre petit à petit leurs marques, chercher un équilibre, ensemble, pour œuvrer efficacement à l'accomplissement de leur dessein, si... crucial.
Notre survie... La survie de notre peuple...

Le souvenir du maelstrom qui avait englouti sa terre natale envahit soudainement le roi. Ce fut miracle que tous les vaisseaux ne fussent pas engloutis.
Isildur... Anárion...
Il essaya, en vain, de chasser l'angoisse qui envahissait ses pensées.
« Je dois poursuivre les recherches. » énonça-t-il dans un souffle.
L'ombre nous guette.
La bataille de l'avant-veille faisait rage dans l'esprit du roi.
Il étendit le bras pour se saisir de sa pipe, posée dans un petit réceptacle d'ébène, non loin de carte de l'Eriador, encore dépliée sur la table.
L'ombre n'a point faibli.
Il alluma sa pipe et la porta à sa bouche.
Le malaise qui l'avait momentanément gagné fit peu à peu place à une douce sensation de sérénité. Il était de ceux que l'espoir ne quittait jamais.
Comme dans un réflexe, il analysa ses pensées...
L'ombre a gagné Númenor. "Il" n'a pourtant pas accompagné la flotte royale dans sa folle entreprise...
Elendil expira lentement la fumée qui flotta un temps autour de lui.
Aucun autre vaisseau n'a quitté l'île. "Il" a donc, lui aussi, été englouti par la fureur des Valar...
Pourtant... l'ombre n'a pas disparu.
Les images de la bataille lui revinrent brièvement à nouveau en tête.
Il clama :
« Il nous faut comprendre pourquoi. »
Son regard, auparavant perdu dans le vague, se fit plus dur que l'acier. Il reflétait une détermination sans faille.

Sa pipe ne produisait plus aucune fumée lorsqu'Elendil s'extirpa finalement de ses pensées. Le sommeil était devenu, et de longue date, un compagnon qui tardait à venir à sa rencontre. Cette nuit ne ferait pas exception. Pour autant, le nouveau roi des Edain ne perdait pas l'espoir de renouer durablement avec un repos salvateur.
L'herbe à pipe était d'un secours certains - encore fallait-il qu'elle soit d'excellente qualité et ses réserves n'étaient pas à moitié aussi pourvues qu'il ne l'aurait souhaité - les préparations de Fëaromen également, mais là encore, pour combien de temps ?

Ce triste constat ramena le roi au vide immense que laissait la perte de sa terre natale.
Tout viendrait très vite à manquer ici. Tout poussait en abondance sur Númenor. Les Valar, en récompense de la fidélité de ses aïeux - l'avaient bénie. Toutes leurs créations s'y épanouissaient si aisément...
Fonder un royaume qui s'y apparenterait ne serait-ce qu'un peu représentait un immense défi.
Elendil nourrissait l'espoir que ses tourments nocturnes s’apaiseraient une fois ses premières pierres posées.
Dans cette attente, il se saisit d'une plume afin de s'adonner au passe-temps qui occupait ses trop longues soirées depuis leur départ de Mithlond : la rédaction de ses mémoires. Il joignait ainsi, songeait-il, l'utile à l'agréable. Si peu d'ouvrages avaient pu être sauvés du cataclysme qui s'était abattu sur eux.
Elendil et son père, pressentant le funeste destin qui se dessinait pour leur peuple, avaient organisé le transfert vers Lond Daer Enedh - par contrebande - de tout ce qui pourrait se révéler plus tard d'une grande valeur. Car hélas, il était alors déjà interdit - par décret royal - d'accoster en terre elfique. Les marchandises y auraient été en bien meilleure sécurité. Et Elendil redoutait désormais que les livres ne tombassent entre de mauvaises mains.
L'arrivée précoce de Valdaë à Mithlond avait cristallisé ses pires craintes. Les rôdeurs avaient été chassés des colonies. Leurs habitants semblaient n'avoir tiré aucune leçon de la colère qui s'était abattu sur leur peuple tout entier. Pire, ils représentaient une menace au fragile "royaume en exil" qu'Elendil s’apprêtait à fonder.
Les phalanges du roi blanchirent tant il serrait les poings.

Je suis l'héritier légitimes des souverains de Númenor. Ils imploreront le pardon ou connaîtront le même sort que leurs frères perdus.
La plume émit un sinistre craquement. Elendil la laissa choir au sol, tandis qu'il se tempérait.
Il se leva et se mit en quête d'une nouvelle plume dans son petit coffre de voyage, ornementé d'argent aux motifs de son étendard.

Nous devrons trouver un moyen de rapatrier les marchandises laissées à Lond Daer Enedh...

Il se rassit et ouvrit le grimoire presque vierge que Gil-Galad avait eu l'amabilité de lui offrir.
Dans ces circonstances, composer ses mémoires revêtait une d'autant plus grande importance.

14 Juillet 3319 SA matinée

Le lendemain matin, aux aurores, le roi fit mander Fëaromen.
Celui-ci se présenta prestement, il avait pris l'habitude de calquer son heure de réveil sur celle du roi.
L'intendant salua les gardes devant la tente avant de s'engouffrer à l'intérieur.
Il s'inclina respectueusement.
« Je vous salue, mon roi. »
« Bonjour mon ami, comment se présente cette journée ? »
« Les préparatifs pour repartir dès demain avancent. Toutefois, la question de la gestion des blessés reste entière. Nombre d'entre eux ne pourront tenir le rythme de marche, il nous faut décider de la meilleure façon d'agir. »
Elendil ne parût pas surpris :
« Oui, la question a également traversé mes pensées. Convoquez le conseil pour dans une heure, je vous prie. »

Fëaromen s'inclina.
Une heure plus tard, Linfëa, le général Sothor, le capitaine Erika, le capitaine Ankhorn et la nièce du roi Lilith étaient réunis dans la tente royale autour de la carte de la Terre du Milieu.

L'intendant, à la droite du roi, avait apprêté sa plume pour inscrire dans le registre prévu à cet effet, le résumé des décisions qui seraient prises.
« Je déclare la séance ouverte. » clama-t-il avant de laisser la parole au roi.
Elendil poursuivit sans perdre une seconde :
« Conseillers, nous ne pouvons que nous féliciter d'avoir remporté une bataille décisive contre les orcs. Une bataille qui relevait de notre devoir de mener afin de sauver la ville de Bree. Toutefois, au-delà des motifs de satisfaction qui en découlent, dévier de notre itinéraire prévu et mener ce combat nous a fait perdre un temps précieux. Si nous ne rejoignons pas notre objectif dans les plus brefs délais, les vivres viendront à manquer. Nous allons donc nous organiser pour entamer une "marche forcée" jusqu'au Lac Evendim. Mais une cinquantaine de soldats blessés ne seront pas en mesure de suivre un tel rythme, ni d'ailleurs les civils les plus âgés et les plus jeunes. Général Sothor, vous êtes l'artisan principal de la logistique de notre périple. Que suggérez-vous ? »

Le général Sothor d'Andunië était en fin de préparatifs du lever et l'heure accordée par le messager d'Elendil ne serait pas de trop pour être présentable. Terminés les ablutions matinales et le petit déjeuner frugal, Sothor apprêta son armure. Elle représentait assez bien ce qu'il était. Les atours de circonstance et quelques instants pour faire un tour visuel du camp et l'état des hommes et femmes du convois, ceux sous ses ordres en particulier. Puis il se rendit à l'heure dite auprès du dirigeant des Edains.

Après les politesses d'usage, il vit la carte déroulée par Elendil. Au début du discours de ce dernier il regardait son roi avec attention mais peu à peu ses yeux fuyèrent vers la carte et fixèrent un point précis, aux abords du lac Evendim. Il n'en était pas moins attentif aux dires de son suzerain, mais une partie de son attention restait focalisée sur l'arrivée des Edains à leur terre promise. Les mots de l'héritier d'Amandil sonnaient juste. Sothor prit le temps nécessaire à une première réflexion puis délivra le fruit de celle-ci à ses pairs :

« Au nom de toute l'armée régulière, nous vous remercions de vos compliments mon roi, Elendil le Grand.

Et je vous rejoins dans le constat mitigé qu'a engendré cette bataille, notre but est encore loin d'être atteint. Organiser une marche forcée, c'est sans aucun doute une bonne idée dans le fond, mais elle est soumise à mon sens à une investigation plus poussée de la zone. Nous avons les outils pour le faire, les palantirs, et je pense qu'il s'agit là d'une utilisation nécessaire pour la meilleure sauvegarde de notre peuple.

Devront partir "suffisamment" de soldats pour assurer tout au long du trajet et une fois à destination la protection d'une autre partie de notre peuple. Comme lors de l'organisation de notre départ de Mithlond, je reste persuadé que les bâtisseurs sont la pierre angulaire de la fin de cet exode. »

Il adressa un regard appuyé à Linféa, ne laissant aucun doute quant à sa suggestion d'avoir le soutien de l'aventureux auprès des guildes. Il reprit rapidement :

« J'explique ce que j'entends par suffisamment de soldats. Je n'ai pas oublié les blessés, les anciens ou les jeunes, qui sont respectivement notre relève militaire, les garants de nos traditions et les porteurs de notre avenir. Je pense qu'il devraient rejoindre les communautés de chasseurs cueilleurs situées sur les rives de la rivière, à l'Ouest de notre position actuelle. Accompagné d'une partie de l'armée valide, ainsi que de quelques elfes et Lireliémiliath. Je compte sur les derniers pour assurer le contact diplomatique et sur les premiers pour une protection mutuelle, des autochtones et des nôtres.
Je pense qu'un accord entre eux nous pour échanger des vivres contre une protection pourrait être envisagé.

Et donc, la quantité de soldat à affecter à chaque partie du convoi... J'en reviens aux palantirs. Il faudra qu'une personne puisse les utiliser régulièrement afin de s'assurer des mouvements des troupes ennemies. Sur une longue portée. Je compte confier l'exploration de proximité soit aux rôdeurs restés avec nous sous la coupe de Valdaë, soit demander une nouvelle fois l'appui de Noldors.

Nous savons que des obstacles orcs sont sur notre passage. En fonction des investigations menées, il est de mon ressort de définir les besoins en hommes pour s'assurer de notre réussite. J’essaierai de l'éviter mais je n'exclue pas la possibilité d'une nouvelle bataille, de moindre échelle assurément. Et pour ce cas précis, il est important que vous, mon roi, vous retrouviez dans le convoi en marche forcé. Accompagné d'Erika et les siens bien sûr.  »

Il sentit un hématome le lancer au niveau de son bras. L'exercice de la veille, et surtout les hommes d'Erika, ne l'avaient pas ménagé.

« S'il y a une bataille, je compte sur la Garde Royale pour porter un coup décisif. Je ferais en sorte, au cours du combat, de manœuvrer pour que cette unité apporte une estocade fatale et de grande ampleur. Et que les fuyards aillent hurler à leurs congénères à quel point il est douloureux de se frotter à nous. Si cela parvient à calmer les ardeurs des orcs ne serait-ce qu'une journée, le gain pour tout notre peuple est énorme.

Enfin, dernière étape du processus, le rapatriement de ceux restés un peu en arrière. Dès qu'un premier camp exploitable sera mis en place sur les abords du lac, une partie des soldats du premier convoi rejoindra celle restée plus au sud. Là aussi, l'utilisation des palantirs est un gage de sécurité pour assurer cet aller-retour.

J'ai essayé d'être le plus concis possible. Aussi de ce que je viens de dire, il est possible qu'il y ait des choses à affiner. »

Elendil avait tout du long approuvé par de réguliers hochements de tête les propositions du général. Sothor avait déjà prouvé qu'il méritait largement la confiance que le roi lui avait accordé. Il répondit :
« Je partage votre analyse de la situation. J'ose espérer que la menace orc se fera moins prégnante jusqu'à notre arrivée. Aucun d'entre eux n'a survécu à la bataille et ils ne peuvent donc ni prédire nos mouvements, ni même, en définitive, se douter de notre arrivée. La passerelle qu'ils avaient érigée sur le fleuve Anduin a été détruite par l'armée de Gil-Galad, il leur est donc impossible de rejoindre notre rive sauf à utiliser des embarcations, ce qui n'est pas du tout du goût de ces créatures. Ils craignent trop le courroux d'Ulmo dès lors qu'ils se risquent sur les flots. En conclusion, la menace ne devrait pouvoir venir que du Nord, là où précisément nous nous dirigeons ; là où nous enverrons le gros de l'armée. »
Il balaya du regard ses conseillers pour s'assurer que chacun d'entre eux était parfaitement attentif.
« J'avais songé à envoyer les plus vulnérables d'entre nous à Bree, ou bien de leur faire rebrousser chemin vers Mithlond. La solution que vous proposez nous ferait gagner un temps précieux, même si elle est conditionnée à un accord de la part des autochtones. Cela me paraît être un risque admissible, dans la mesure où nous aurons vérifié qu'aucune troupe d'orc ne se trouve encore à l'est du fleuve. Nous devrons toutefois accorder des concessions aux hommes qui voudront bien accueillir les nôtres, mais difficile de prédire lesquelles pour le moment. »
Le roi plissa les sourcils et se tourna vers le trésorier des aventureux.
« Linfëa, je vous charge de décider avec ma nièce Lireliémiliath - qui ira au devant de ces gens - ce qu'elle sera en droit de négocier. Cela sous entend de lui laisser certains de nos biens qui pourraient servir de monnaie d'échange. »

Elendil dirigea son regard vers le capitaine des rôdeurs :
« Je vais me charger, aujourd'hui avec Valdaë, du repérage à travers les Palantiri. »
Laissant retomber ses bras sur les accoudoirs du seul fauteuil de la tente royale, le roi jeta un nouveau regard circulaire sur le conseil, attendant la réponse des protagonistes les plus concernés.

Linfëa s'avança d'un pas et s'inclina respectueusement, d'abord devant son roi, puis devant Sothor en disant: « Mon roi, général, veuillez m'accorder un peu de votre attention alors que je tâche d'apporter quelques précisions essentielles. »

Puis, de manière très terre-à-terre qui ne lui ressemblait point, l'éclat chantant de Nindamos entreprit de convaincre les deux stratèges militaires du bien fondé de ses demandes ...
« Général Sothor, je loue vos paroles quant à l'importance des bâtisseurs pour les début balbutiant de notre royaume. J'y ajouterai simplement les paysans, les bucherons, les mineurs et les forgerons pour n'en citer que quelques-uns. Vous l'aurez compris, nous allons avoir besoin de l'expertise de nos guildes pendant ces moments cruciaux ! »

Se tournant vers son roi, il continua avec ferveur:
« Mais, il est d'autant plus crucial de permettre à notre royaume de se nourrir si nous voulons permettre à toutes ces activité d'exister. C'est pourquoi je me permets d'émettre une requête au nom de la guilde des aventureux et de toutes les guildes des Edains par extension: Il nous faut sécuriser au plus vite les environs de notre destination pour permettre à notre peuple de s'établir sur ses nouvelles terres en paix. Donc, l'ensemble des guildes se joint à moi quand je propose que nous nous focalisions sur ce point-ci alors même que nous nous dirigeons vers le lac Evendim ... oui, je souhaite m'assurer que l'armée reçoive toutes les ressources nécessaires pour éradiquer la menace orcs aux alentours du lac ainsi que durant notre cheminement jusqu'à celui-ci! Et je suis prêt à apporter les ressources dont les guildes disposent pour aider notre armée car les guildes ont bien conscience que sans paix assurée maintenant il n'y aura pas de prospérité future ... »

Détournant son attention du regard de son souverain, Linfëa tourna à nouveau son talent d'orateur vers le général Sothor:
« Comme vous le savez, les aventureux, bien qu'une guilde de navigateurs, savent aussi se battre sur la terre ferme et nous l'avons prouvé encore une fois contre les orcs lors de la dernière bataille. Nous allons installer notre peuple aux abords d'un lac avec un accès plus que tenu aux mers qui ont fait la puissance de ma guilde ... nombreux sont ceux qui se lamentent de ce choix ... bien que je suis plus d'avis de faire feu de tout bois, il me semble essentiel d'apporter quelques réponses à ces questionnements généraux: Avons-nous dans l'optique de former un groupe armé de marins pour contrôler le fleuve Brandevin ainsi faisant sécurisant notre accès à la grande mer ?! Si oui, les aventureux seront les plus fervent serviteurs de ce plan et j'en suis le plus fervent défenseur et artisan s'il le faut! Si notre armée ne se dirige pas dans cette direction, quid des aventureux, marins aux grands cœurs ?! »

Marquant une courte pause, il reprit plus calmement envers Elendil:
« Qui plus est, je loue les efforts proposés par notre général pour envoyer quelques elfes et Lireliémiliath aux devant des villages alentours. En effet, je tiens de la bouche des maitre Tul et Santorin des guildes des tavernier et paysans que bien que le lac Evendim subviendra à nos besoins en partie, nous n'allons pas pouvoir produire, au début tout du moins, assez de nourriture pour notre peuple de par notre agriculture, élevage et techniques avancées avant bien des lunes ... entre temps il va nous falloir subsister par d'autres moyens et le commerce, des services de notre armée ou de nos biens plus élaborés, en est un parmi d'autre. »

Le trésorier du Conseil du Sceptre tâcha de conclure sa tirade de manière succincte:
« Comme vous le suggérez, mon souverain, je me mets au service de dame Lireliémiliath pour aller au-devant des autochtones. De plus, j'engagerai complètement mes resources personnelles ainsi que celle dont j'ai la garde dans une moindre mesure (tout du moins, de manière plus mesuré dirons-nous) pour pourvoir à nos besoins diplomatiques. Si dame Lireliémiliath souhaite s'occuper des négociations toute seule, je serai ravi de prendre place à l'avant du premier convoi en direction du lac Evendim avec pour seule tâche d'engager ma vie pour éradiquer la nuisance orcs en chemin. Je suis convaincu que cette voie seule mène à notre prospérité future. Je m'en remettrai à votre sagesse mon roi, mais mon cœur a parlé. »

Linfëa avait mis un genou à terre devant son suzerain, un bras sur ledit genou et la tête abaissée attendant la décision du roi.