'Tout à coup le soleil sortit resplendissant des flots, el le brouillard acquit, comme par enchantement, une mer-veilleuse transparence. Le rideau se déchira, et, de tous les côtés à la fois, apparurent à mes yeux éblouis des forêts de minarets à pointe dorée, des milliers de coupoles enflammées par la lumière, des collines couvertes de maisons rouges entremêlées de verdure, une suite immense de palais bizarrement éclairés, de mosquées aux toits bleus, des bois de cyprès et de sycomores, des jardins en fleurs, un port sans fin rempli à perte de vue de navires, de mâts et de pavillons ; en un mot, toute cette ville enchantée que chacun croit connaître, et qui ressemble moins à une grande capitale qu'à une suite infinie de kiosques charmants, élevés dans un parc sans bornes, qui a pour bassins des lacs, pour accidents de terrain des montagnes, pour massifs des forêts, pour ruisseaux des bras de mer, et pour batelets des escadres ; parc incomparable, à la fois si grandiose et si élégant. En devenant plus ardents, les rayons du soleil convertissaient en une sorte de poussière d'or les vapeurs matinales ; Istanbul semblait en feu. et ce panorama sans pareil flamboyait dans une atmosphère éblouissante ; nous poussâmes tous ensemble un cri d'admiration..." Alexis de Valon "Une Année dans le Levant' Vous découvrez ainsi Istanbul au petit matin quand le vapeur pénétrera dans les eaux bleues et limpides du bosphore.
ISTANBUL, CAPITALE DE L'EMPIRE OTTOMAN
Autrefois Constantinople, puis Byzance, Istanbul, malgré ses malheurs, malgré ses affreuses blessures, a conservé un charme nostalgique et indéfinis-sable. Ceux qui ont fait le tour du monde conviennent volontiers qu'elle occupe la plus admirable situation dont on puisse doter une capitale, dans un cadre enchanteur, au carrefour des routes terrestres et maritimes. La ville est bâtie sur les deux rives de la mer de Marmara, englobant la Corne d'Or, à l'entrée du Bosphore. Dans les quartiers byzantins et ottomans, quartiers historiques s'il en fut, sont concentrés les plus beaux monuments de la ville, parmi lesquels la Basilique Sainte Sophie (érigée en 425 par l'empereur Constantin), la mosquée du sultan Ahmet ou mosquée bleue (1609-1616), l'église Saint Sauveur in Cham. (bâtie à la fin du XVe siècle), le Topkapi Sarayi ou résidence impériale (érigée après la conquête ottomane) et les vestiges de l'hippodrome (construit en 203 par Septime Sévère et achevé sous Constantin). Au nord de la Corne d'Or, on trouve les anciennes villes génoises de Enta et Péra. Levantins, Juifs, Grecs, Vénitiens, Pisans, Amalfi tains et Arméniens y affluaient. Quoique devenue administrativement une simple dépendance d'Istanbul, Galata reste prospère et même trapue de plus en plus l'activité économique. Sur la rive asiatique du Bosphore (rive droite de la mer de Marmara). se développe, après la conquête ottomane du 29 mai 1453, la ville turque, dans les quartiers de Scutari el d'Eyoub. Mors. peu à peu, apparut le contraste entre la ville turque, ses palais mystérieux, ses mosquées silencieuses, ses rues paisibles, ses maisons de bois dans la verdure. proies faciles pour l'incendie, ses fonctionnaires indolents, ses intellectuels. son commerce local, ses cimetières mêlant» tiques dans les cyprès de Scutari el d'Eyoub, et d'autre part, la ville étrangère avec ses hautes maisons de pierre s'entassant sur les pentes de Péta, ses rues en escaliers, ses boutiques et ses quais grouillants, sa fièvre des affaires six artisans et son marché au change, ses lieux de plaisir, son "Sabir" où se mèlent toutes les langues, grec, turc, italien. espagnol et français.
Les progrès de l'influence européenne de ce siècle n'ont fait qu'accentuer ces oppositions. L'entassement est devenu tel à Galata que l'agglomération a dû s'aérer de plus en plus vers le sommet de la colline, vers Galata Saray et Talcsim, où s'installèrent les ambassades, au milieu de jardins ayant vue sur la mer. Rapidement l'Empire Turc fut le théâtre de l'affrontement entre puissances européennes. Un fonctionnaire russe parla de l'Empire Ottoman comme d'un "homme malade de l'Europe". A son chevet vont se précipiter Russes, Anglais. Français, Allemands, Italiens et Autrichiens.
Les pays étrangers y engagèrent des capitaux de plus en plus considérables. L'administration de la Dette turque fut entrée sous le contrôle des créanciers étrangers et les capitaux européens jouèrent un rôle de plus en plus tyrannique dans les affaires turques par l'intermédiaire des banques telles que la Basque Ottomane (sous contrôle britannique), le Crédit Lyonnais, la Deutsche Rank, la Deutsche Orient Bank, la Banque de Salonique (où se retrouvent Anglais, Français et Grecs), la Banco di Roma et la Banque Belge pour l'étranger. Parallèlement s'opéra la main mise européenne sur les moyens dc transport. Les concessions de chemin de fer se multiplièrent : ligne anglaise d'Izmir-Kasaba, ligne française d'Ankara-Ilayolar Pacha et surtout les lignes allemandes d'Ismid-Ankara et le projet 'Bagdad Bahn'. L'Allemagne prit le dessus sur ses adversaires et fut bientôt la puissance coloniale européenne la plus influente dans le pays. Politiquement, la situation n'est guère plus brillante. L'Empire Ottoman est vaste et disparate, sans unité de langue et de religion. Sous l'impulsion des idées de la Révolution Française, les peuples balkaniques, appuyés par l'Europe, obtiennent peu à peu leur indépendance. Avant 1875. Serbie, Grèce, Monténégro et Roumanie sent autonomes. La Bulgarie, en 1878, se révolte à son tour. La Russie, l'Italie, l'Angleterre et la France se précipitent sur ce vieil empire. Seule l'Allemagne affecte de s'en impose un régime constitutionnel avec deux Chambres. Mais un nouveau sultan, le fameux "Sultan Rouge" Abdul Hamid. chasse les Jeunes Turcs et leur chef, le grand vizir Midhat pacha. La pire régression commence. Dévot, despotique, peureux, Abdul Hamid excite le fanatisme contre les chrétiens, exploite les rivalités des Puissances, tout en leur livrant les principaux revenus de l'Empire afin de couvrir la dette. Pour sauver l'édifice chancelant, pour retrouver comme Khalife le pouvoir spirituel qui compense le pouvoir temporel perdu, le Sultan Rouge imagine le panislamisme. Le principal résultat en est de raviver les haines contre les giaours en Arménie, en Crète, en Macédoine, où les pires atrocités sont commises. Cependant les Jeunes Turcs, dont beaucoup se sont réfugiés en Europe occidentale, se réforment peu à peu. Dans la clandestinité, ils organisent la résistance contre le sultan Abdul Hamid, n'hésitant pas à commettre quelques attentats.
C'est dans ce cadre enchanteur que vous ébattez et retrouvez un certain Farad Pacha. Le bateau jette l'ancre non loin des quais de Galata et lorsque les matelots amènent la passerelle, une foule de portefaix turcs, colporteurs arméniens et mendiants de toutes nationalités s'agglutinent autour des premiers voyageurs débarqués. Des calèches arrivent, conduites par des Caucasiens à grosse moustache, qui de leur voix puissante tonnent le nom des hôtels de leurs parcours : Le Luxembourg, l'Impérial Hôtel. Une calèche et le cocher, l'air réjoui et vaguement amusé, vous propose à nouveau, mais d'une voix plus douce. tic les amener à un palace de leur choix. De toute façon, ces hôtels sont tous situés sur les hauteurs de Galata ou de Péra, sur la rive droite de la Corne d'Or. Le cocher, maitre de son véhicule, vous conduira à vive allure à travers les ruelles étroites et tortueuses de l'ancienne ville génoise. Le "Splendor" est le dernier-né des hôtels de luxe, situé deux rues en deçà du quartier des ambassades. Il propose à sa clientèle un choix de chambres allant de la suite royale aux logements des domestiques sous les toits.
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