Je marche dans les rues de Bergara, ma flûte de roseau à main, une chanson vielle sur mes lèvres, un amour à moitié fou m'écarquillant les yeux, le feu d'armoïnacán illuminant mon esprit :
« Depuis qu'on m'a coupé de la jonchaie, ma plainte fait gémir l'homme et la femme.
Je veux un cœur déchiré par la séparation pour y verser la douleur du désir.
Quiconque demeure loin de sa source aspire à l'instant où il lui sera à nouveau uni.
Moi, je me suis plaint en toute compagnie, je me suis associé à ceux qui se réjouissent comme à ceux qui pleurent.
Chacun m'a compris selon ses propres sentiments ; mais nul n'a cherché à connaître mes secrets.
Mon secret, pourtant, n'est pas loin de ma plainte, mais l'oreille et l'œil ne savent le percevoir. »« ... bien, bien, rassembler les orphelins »Cela fait huit mois, et tous les orphelins ont appris à venir au son de ma flûte. Bien que honteux de ne pas avoir réussi à trouver un logement pour les orphelins, je suis fier de la façon dont ils m'aiment. Derrière moi, la foule des orphelins s'agrandit, attendant de la nourriture.
« ... les nourrir ... les protéger ... »« Le corps n'est pas voilé à l'âme, ni l'âme au corps ; cependant, nul ne peut voir l'âme.
C'est du feu, non du vent, le son de la flûte : que s'anéantisse celui à qui manque cette flamme !
C'est le feu de l'amour qui est dans le roseau, c'est l'ardeur de l'amour qui fait bouillonner le vin.
La flûte est la confidente de celui qui est séparé de son ami : ses accents déchirent nos voiles.
Qui vit jamais un poison et un antidote comme la flûte ? Qui vit jamais un consolateur et un amoureux comme la flûte ?
La flûte parle de la voie ensanglantée de l'amour, elle rappelle l'histoire de la passion du Bâtard. »L'armoïnacán me donne une vision : un boule de feu jaune-vert se lève au loin à l'est, vole de l'horizon et me consume comme un papillon de nuit incinéré dans les flammes.
Viens, mon amour, je t'en prie ...J'ai envie de me perdre dans cet enfer courroucé.
« A celui-là seul qui a renoncé au sens est confié ce sens : la langue n'a d'autre client que l'oreille.
Dans notre affliction, les jours sont devenus moroses ; nos jours cheminent avec les peines brûlantes.
Si nos jours se sont enfuis, qu'importe ! Demeure, ô Toi à la sainteté de nul n'est comparable !
Quiconque n'est pas un poisson devient abreuvé de Son eau ; quiconque est privé du pain quotidien trouve la journée longue.
Celui qui n'a point d'expérience ne peut comprendre l'état de celui qui sait ; mes paroles doivent donc être brèves. Adieu ! »J'éparpille des morceaux rassemblées de
la loutre farcie, petits grignotages pour les souris.
Cella fait trop longtemps que je n'ai pas parlé avec les souris de la ville.Je regarde la grande foule d'orphelins, assemblées à côté du vieil arbre par la porte est de Bergara. Je les adresse à voix haut :
« Bienvenue mes petits ! On attend les triplés Suárez. Pour le moment, commencez le grand partage ! »Le partage : un rituel que j'ai institué pour protéger les orphelins. Tous sont encouragés à partager leurs connaissances locales, les uns avec les autres : où trouver de la nourriture ou un abri, quels Bergarans sont amicaux, lesquels sont dangereux. Toutes les nouvelles qui pourraient les aider à survivre dans les rues.
Je me repose dans l'arbre, ferme les yeux et écoute.