Si la cuisinière semble tenir Joaquin en estime, Stéfano ne bénéficie manifestement pas du même privilège.
C'est le visage fermé qu'elle sert les bols des nouveaux arrivants, se gardant bien de répondre à la question posée.

La cuisinière dévisage Arocka pendant que l'archère se réchauffe les mains sur le bol bouillant :
« Z'avez dormi ...
Z'avez mangé ...
Vous partez quand ? »

« On partira quand ce sera le moment.
L'est pas bien riche ta soupe la femme et m'est avis qu'hier soir les joyeux compagnons qui poussaient la chansonnette ont bien mieux mangé que nous. »

Stéfano qui jusque là avait tenté l'apaisement ne dit rien, laissant le méchant parler.

« Je crois que tu joues un bien mauvais jeu, bien peu charitable et hospitalier.
Mais surtout un jeu dangereux.
Les Barbares Roknaris sont à vos portes et seront sûrement bien moins gentils que nous.
Alors tu vas bien vite nous dire où sont les hommes, s'ils sont au travail ou s'ils ont la triste idée d'imaginer nous jouer un mauvais tour.
De même Bérich et Brassin ne seraient pas parti sans venir manger un bout de pain et nous dire au revoir. »

Il toisa de son regard noir, de sa large carrure et de sa haute taille la cuisinière en attendant sa réponse.
Et sûr que si les réponses ne lui plaisaient pas, il y aurait du vilain.

Elle s'éloigna un peu, cela se gâtait et elle ne voulait pas se prendre des coups indus.

La cuisinière écoute Félipé, bouche bée, avant de répondre :
« La soupe d'hiver,
l'est claire.
C'est toujours ainsi,
par ici. »

« Les Roknaris sont à Gotorget » ajoute-t-elle en coulant un regard vers Joaquin
« Ils y bombancentde tout c'qu'y nous ont volés. »

« Et les bras d'ici sont à l'ouvrage.
Y z'ont pas de temps à perdre avec vous z'autres. »

« Si vous avez perdus des gars, y sont pas sous mon tablier.
J'les ai pas vus passer. »

Les deux soldats sans vraiment s'être concerté, avaient établi les rôles entre eux et c'était au tour du gentil de prendre le relais pour faire retomber la pression avant qu'un drame ne survienne.
« Excuses notre méfiance mais malgré les apparences, nous ne sommes pas de vulgaires maraudeurs qui viendraient profiter de votre soupe.
Nous sommes en mission pour notre bon Roya Orico.
Tu ne sais pas à quel point le monde est vaste toi qui vie dans ce coin reculé de Chalion mais tout converge vers Gotorget et le pays pourrait bien être à feu et à sang avant que le printemps ne pointe le bout de son nez.
J'ai besoin d'un guide pour nous montrer le chemin qui mène à la forteresse et je sais que quelqu'un de chez vous peut m'indiquer ce chemin. »

La bouche pleine, la langue à moitié brûlée par le fromage fondu qu'il avait englouti avec un peu trop d'empressement, Joaquin avait écouté, affligé par tant de bêtise, la sortie de Félipé.

Il se leva et mine de rien alla s'asseoir sur un coin de table entre le soldat et la cuisinière.
S'crétin s'rait bien capab' d'y sauter à la gorge.

Se tournant vers Félipé, il argua dans le même sens que Roberta.

« Tu vois bien qu'ces pov' gens z'ont pu rien. Ces salauds d'Roknaris doivent bien s'gaver. »

Puis s'adressant à la cuisinière.

« M'dame, merci pour l'soupe qu'est ben bonne. Pi même si l'est claire, v'savez qu'la faim est l'meilleur des condiments. » Avalant une cuillère, il reprit.

« Moi non pu j'sais pas trop s'qu'on fait mais faut qu'on aille vers Gotorget et si un d'vos gars pouvait nous montrer un chemin sûr. J'sais qu'y a un passage caché qu'not' commandant prenait pendant le siège de Gotorget mais on n'a pas su où qu'il était. Si un des ouvriers l'connait, ça nous aiderait drôlement sur s'coup là. »

La femme n'a visiblement pas très envie de parler à Félipé ou Stéphano, elle se tourne vers Joaquin :
« Le P'tit Ch'min ? C'est ça qu'vous cherchez ? »
Elle soupire
« Mario pourrait p'têt vous z'aider à l'trouver ... »
« ou Consolación »
« mais j'ai pas trop confiance en ces 2 là .... » murmure-t-elle
« Mario l'est à l'ouvrage, rentrera à la nuit »
« comme tous les z'autres. J'suis toute seule, moi, ici.... »

Qu'il n'ai pas entendu ou qu'il ait choisi de passer outre la dernière remarque, Stéfano prit un air grave et ajouta :
« Demain est une journée cruciale. »

Après s'être assuré qu'il avait capté l’attention de tous, il repris en regardant la femme :
« Pour vous aussi. »

Puis à l'intention de ses camarades :
« Ce mercredi 23 janvier, c'est le jour de la pieuvre noir chez les Roknaris et il vont fêter l'Arkaras.
Il n'y a pas de cargaison au fond d'un ravin mais bien une citadelle imprenable à prendre.
Si tout va bien demain, les barbares vomiront tripes et boyaux et l'armée royale viendra récupérer Gotorget qui a été prise par traîtrise. »

Il marqua une pose pour s'assurer que Joaquin, Ricardo et Aradine intégraient ses révélations.

Puis il s'adressa au vétéran :
« As tu connu le capitaine dy Cazaril ?
Il parait qu'il parvenait à ravitailler la forteresse même en temps de siège. »

« Le P'tit Ch'min ? » répond la femme à Aradine
« Ce s'rait comme une sorte de passage souterrain qui rejoindrait la forteresse en partant du bout du plateau d'ici ...
Mario pourrait p'têt vous z'aider à trouver l'entrée ... C'est pas sûr ...
Moi j'la sais pas ... »

Très intéressé le soldat renchéri :
« Faut que l'on rencontre Mario et que l'on s'organise. »

La femme lève les yeux au ciel à destination du vétéran, l'air de dire que celui qui vient de parler (Stéfano) n'a manifestement rien compris :
« Mario l'est à l'ouvrage,
rentrera à la nuit » répète-t-elle à Stéphano en articulant bien distinctement.

Joaquin termina sa soupe et reposa le bol avec un léger rot de contentement.

Pute borgne ! Pensa t il une nouvelle fois. Fallait qu'ce soit Gotorget !!

Puis, se tournant vers Stéfano, il embraya sur la "vraie" nature du plan.

« Z'êtes dingue ou quoi ? Prendre Gotorget à nous seuls. On a d'jà failli crever en allant juste chercher une vieille bourrique... Et tu voudrais qu'not' bande de branquignoles aille titiller une division entière de Roknaris dans un bastion qu'a JAMAIS été pris. »

Il attrapa dans sa poche un morceau de viande séchée qu'il entreprit de mâchouiller par réflexe. Il désigna Stéfano du bout mâché.

« Pi, quand bien même. Qu'est ce qui t'fait croire que l'armée réale viendra. Après tout, la citadelle l'a été vendue. Si l'roya la r'prend, Qu'ça s'pourrait qu'on dise qu'il a pas d'parole. Y préfér'ra p'têtes laisser les Roknaris nous faire la peau pour détourner l'attention d'aut' chose. »

Joaquin avait une furieuse envie de rire, il préféra enfourner son bout de barbaque.

« Autant envoyer les pécores du coin avec des fourches. F'raient plus de dégâts m'est avis. »

Reprenant contenance, il avisa Roberta.
« Et Consolacion, où qu'elle est ? »

Le soldat attendit que la cuisinière réponde à la question de Joaquin avant de défendre la mission :

« Ça fait un mois que nous voyageons incognito avec le Grand Commandeur de l'ordre du Fils.
Et si le chef des armées s'est déplacé ici ce n'est pas pour venir se réchauffer les mains autour du feu un soir de veillée. »

« Notre mission consiste à trouver le moyen d'ouvrir une porte pour que la vie des soldats ne soit pas gâchée par quelques volées de flèches bien ajustées. »