« Force et combat? Haha! Facile. Ça ne sera pas un problème. »

La phrase à peine conclue, Berich se leva.

« Vous v'lez parler ailleurs? Et bien, on attend quoi? »

« T'as bein raison mon Berich, on n'attend rien et on fonce empocher les pépètes.
Y-a qu'à voir ce qu'il propose demain matin...
C'est quoi pour vous un travail bien payé où on risque no't peau?
Vous avez de la bonne corde, des pitons et autres trucs du genre ?
Moi j'ai mon arc et la grosse artiraille* de mon oncle. »

* Une grande arbalète lourde, encombrante mais sacrément balaise.

« J'ai de la corde pour escalader et ma bonne Maria pour les gêneurs. » Dit-il en montrant sa grosse hache avec un petit sourire entendu.

« Et par le Fils, c'est tout ce qui me faut. »

Joaquin regarda avec dégoût son verre de mauvais vin à la couleur indéfinie entre un mauve usé et un ocre brun sale. Il n'était pas encore ivre mais comme presque tous les soirs il s'y employait consciencieusement.

Ancien soldat, unique survivant d'une véritable boucherie, l'inaction lui pesait mais l'idée de retourner au feu provoquait chez lui d'irrépressibles tremblements. Cependant, ce soir, l'écœurement et la fatigue avaient enfin pris le pas sur l'angoisse et comme un appel du destin, il avait entendu (au milieu de ses brumes alcooliques) la conversation des soldats de la table voisine. Ils n'avaient sans doute pas fait attention à lui. Normal, Joaquin ressemblait à présent à un clodo aviné vautré sur la table sous une vieille cape rapiécée, les mains sales enrubannées de vieux chiffons, serrées autour de son verre.

« Z'aurez b'soin d'un bon grimpeur alors ?! » Lâcha t il sans se retourner, d'une voix rauque, brisée par le manque d'usage.

Joaquin gratta sa tignasse grasse et emmêlée.

« V'z'avez parlé de six gugusses mais v'z'êtes que quat'. J'peux faire le cinquième, j'sais bien grimper et j'suis pas manchot dans la bagarre »

Ricanement rocailleux suivi d'une toux grasse ...

Joaquin se retourna à demi. La tête lui tournait un peu et il n'aurait pas dit non à un peu d'eau tant sa bouche était pâteuse.

« Déssouler » répliqua t il « M'faudrais des raisons pour ça et c'te chienne de vie m'en a pas fourni des masses. »

Il renifla et se frotta le nez d'un revers de main.

« Mais p'têt' ben qu'votre affaire pourrait me fournir une, de raison. »

« J'fais pas trop confiance aux militaires en général et pas trop aux soûlards en particulier... »
Lâchât le forestier en jaugeant l'homme.
« Viens demain, à l'aube, si tu veux faire partie de la promenade.
T'as plutôt l'air solide comme gaillard et une lame de plus ne serait pas de refus m'es avis. »

Repoussant son dernier verre, à peine touché, Joaquin se leva avec une certaine souplesse que n'aurait pas laissé supposer son allure peu ragoutante.

Il laissa tomber quelques pièces qui tintèrent sur la table.

« Et où qu'c'est que j'vous r'trouve ? »

Attendant la réponse, il se ravisa et avala d'un trait son verre de vinasse.
Faudrait voir à pas gâcher.