L'escalier en colimaçon s'enroulait sur son axe vers les profondeurs de la terre de façon parfaitement verticale. Ses marches éclairés par la torche du croisé, étaient fissurés. Certaines n'étaient plus que des bout de pierre étalés sur celles d'en dessous, donnant lieu à des fossés pouvant piéger les marcheurs imprudents. Les appliques murales continuaient d'apparaitre sur la paroi externe du mur.

La descente était lente par souci de prudence ce qui donna au groupe l'impression qu'ils s'étaient enfoncés jusqu'au noyau de la terre tant le temps qu'ils avaient passé dans cet escalier fut long. Un courant d'air givrant leur parvint au visage. La température commença alors à chuter au fur et à mesure qu'ils continuaient de descendre...

Remington, en tête du groupe, n'avait pas découvert le moindre piège jusque là. Tout juste avait-il besoin d'avertir ses camarades lorsque des marches écroulées ou des fossés se dévoilaient devant lui. Sans se départir de sa prudence, il progressait lentement mais sûrement.

Il remonta le col de sa cape autour de son cou et le referma.

« Etrange qu'il fasse froid comme ça tout d'un coup. Restez sur vos gardes. »

Kubilaï, depuis le début de la descente des aventuriers, étaient souvent placé au milieu du groupe. La séparation forcée qu’ils venaient de subir l’avait placé à l’arrière de la ligne. Avec cet escalier en colimaçon, il ne voyait pas Remington, qui était en tête, et ne pourrait pas l’aider au cas où il en aurait besoin.
La température descendant, il proposa à la seule femme du groupe : « Dame Ashan, j’ai à disposition dans mon sac une cape en laine, un épais manteau ainsi qu’un pantalon de velours. Puis-je vous proposer de vous en munir ? »

« Merci. »

Retirant son armure, Ashan mit les vetements chaud et se reequipa. Le froid ne l'affectait pas vraiment mais elle devait toujours sauver les apparences. Une fois prete, elle se tourna vers le tchakhar:

« Et appelez-moi Ashan, tout simplement. »

Silencieux, Frère Victor avança avec le groupe, éclairant comme il le pouvait les marches de l'escaliers ainsi que les parois du passage. Il se vantait habituellement de ne pas avoir peu face au danger car la foie et ses armes le protégeaient. Si son courage put se démontrer de nombreuses fois face aux criminels, aux soldats ou aux loups il était totalement différent pour ce qu'il traversait.
Qu'est-c'e qu'il va encore nous tomber dessus ?

Il crut en premier lieu que les frissons de son dos se propageaient avant de se rendre compte qu'il s'agissait de la température descendant progressivement.
« S'il y a un courant d'air, c'est qu'il y a une sortie non loin d'ici, n'est-ce pas ? »

« Peut-être bien. Mais ce serait étrange, j'ai du mal à imaginer une sortie alors que nous ne faisons que nous enfoncer sous terre depuis tout à l'heure. Mais je ne connais pas vraiment la géographie autour du fort. »

Répondit Remington au frère Victor.

L’homme des steppe avait recouvert lui-même les épaules d’Ashan avec les habits, certes peu mondains, mais en tout cas assez épais pour protéger la dame des brûlures du froid.
Etant donné qu’ils venaient d’un endroit clos à cause de la fermeture du mur, il était étonnant de ressentir un courant d’air. Cela voulait-il dire que leurs compagnons avaient finalement réussis à ouvrir le passage ?
Sans plus s’en soucier, Kubilaï continua la descente.

« J'espère qu'il n'y a pas encore là quelconque piège ou magie démoniaque ! »

A chaque marche descendu, le froid grandissait autant que son doute. Il doutait de ce qu'il avait vu, de ce qu'il avait vécu et de ce qu'il devait accomplir en ce monde. La tension du combat précédent retombait sur lui et il puisa dans ses dernières réserve de volonté pour se ressaisir.
Comment cela est-il possible ? Il faudrait informer l'Ordre ! S'il existe des dieux et des saints, il est normal de voir surgir dans l'ombre des démons... Si les dieux existent bel et bien !

Vont-il me prendre pour un fou à l'Ordre ? Je serais certainement moqué voir même écarté, surtout par Frère Hubert... Notre combat est tellement pathétique ! Nous nous sommes jurer de protéger les faibles et les lois, mais comment fermer les yeux face à... ça ? Nous nous sommes peut-être tromper de cible... Nous nous contentons de s'en prendre aux pantins plutôt qu'au marionnettiste ! Le Mal est là dans nos terres et nous le laissons enfoncer ses racines. Voilà ce que devrait être notre véritable combat !

Dans cette accalmie glaciale, Frère Victor prit la décision la plus importante jusqu'à maintenant sur sa vie, s'il se sortait vivant...

Ils arrivèrent enfin à la dernière marche à partir de laquelle ils constatèrent qu'ils était à présent à l'intérieur même du gouffre. La fin de l'escalier débouchait en effet sur une immense grotte souterraine qui s'agrandissait de plus en plus devant eux. Celle-ci avait cependant perdu de sa pudeur puisque, aussi loin que le regard pouvait porter, l'on voyait un bout de ciel gris typique des Terre Scellés que le groupe connaissait bien à présent. On aurait dit que la paroi rocheuse du plafond avait été déchaussé par un colosse.

La vision de ce ciel, bien que morose, fut tout de même réconfortante. Ce n'était pas le cas de la seule route à suivre : un sentier sinueux et glissant s'offrait au groupe, surplombant un précipice aussi obscure que la roche humide et dont le fond ne devait qu'être composé d'un cours d'eau. Certainement une rivière, d'après le bruit de l'eau qui résonnait parfaitement dans ce cornet de pierre.

Pas besoin d'être fin en géologie ni en sens de l'orientation pour savoir que le chemin se dirigeait vers les méandres du gouffre et que Fort-Brisé se trouvait à plusieurs lieux au-dessus de leurs tête.

L’homme de la steppe appréhendait le vide du gouffre devant eux. La terre était nourricière, et elle n’était écorchée que pour y enterrer les morts. L’homme devait vivre à la surface, comme les chevaux qui galopent dans le vent.
Avant d’entreprendre la descente, il envoya son aigle vers le vide. « Khailt » lui murmura-t’il dans un souffle semblable à une brise formant des vaguelettes sur l’herbe de la steppe.

L'aigle sillonna les airs des souterrains pendant plusieurs minutes, allant jusqu'à disparaitre dans le ciel pour revenir ensuite vers son maitre. Mais avant qu'il n'arriva sur le bras tendu de ce dernier, il plongea brutalement dans le précipice obscure qui les séparait. Il en ressortit quelques secondes plus tard, un poisson encore frétillant entre ses serres. Il atterrit sur un rocher en érection non loin du Kharuldan et entama son repas fraichement acquis.

« Loué soit le saint ! »
La lumière naturelle combla le frère. Il attendit avec son ancien compagnon que l'aigle termine sa reconnaissance en un silence presque religieux.

« Au moins nous pourrons disposer d'une nourriture... »

Ses yeux parcouraient les parois à l'affût d'un chemin praticable menant à la surface. Il ne vit cependant aucun escalier naturel, seulement un ou deux presque impossible à escalader et seulement au dessus du torrent ténébreux. Il lui faudrait s'avancer un peu plus pour observer plus finement son environnement.
Il mit de côté pendant un instant son envie obsédante de quitter ce caveau géant et jeta un oeil sur le groupe, comme si l'un d'eux pouvait se volatiliser durant la descente de l'escalier ou le repérage aérien. Il ne rangea pas sa torche malgré le ciel éclairant la route et se tenait prêt à n'importe quel événement supposé impossible hier encore.

« Nous continuons ? »

Remington se couvrit les yeux pour les protéger de la lumière, même blafarde, du gouffre.

« Je ne m'y connais pas vraiment en alpinisme, mais ce chemin m'a l'air assez glissant. Kubilaï, pensez-vous qu'il soit nécessaire de nous encorder ? »

Kubilaï n’avait plus à disposition ses ailes pour descendre dans ce vide. Aussi approuva-t’il la suggestion de Remington. « S’encorder sera sage. Mais nous devrions écouter la voie de la nature, » ajouta-t’il en regardant Khaany, « et nous sustenter ici, avant de descendre le long de ce sentier dangereux.
Dam… hum… Ashan, peut-être souhaiteriez-vous préparer le repas ? Nous ne mangerons certainement pas un tarvagany cuit à la pierre, mais ce qui sera nourricier nous contentera. »

« Non merci pour la corde! Suffit qu'un seul d'entre vous tombe et il entraînera les autres! »

Son regard se porta sur Victor et son lourd harnois avant qu'elle ne dévisage le kharuldan en haussant un sourcil:

« Ah d'accord? Parce que je suis une femme, je dois cuisiner? De toute façon, je n'ai pas faim. »

Son regard était mi-amusé mi agacé mais il était sur que son ton ne voulait dire qu'une chose: s'ils voulaient manger, il faudrait que quelqu'un d'autre s'en occupe.

Kubilaï ne comprit qu’à moitié la réaction d’Ashan. Aussi tenta-t’il d’expliquer quelques-uns des concepts qui régissait la vie des Tchakhars.
« Chez nous, la femme est aussi nourricière que la terre elle-même. Elle donne la vie, elle est respectée pour cela. Ainsi, elle règne au centre de la yourte, là où se trouve l’âtre, et elle nourrit la famille.
Il serait … irrespectueux … pour un homme de faire la cuisine sans demander l’autorisation à la femme d’occuper son domaine. Mais cela ne veut pas dire que seules les femmes font la cuisine. Avec de bonnes pierres rondes, et je vous fais le meilleur boodog de la steppe » ajouta-t’il avec une fierté feinte.

Le Kharuldan proposa une halte aux autres membres du groupe, pour manger avant la descente périlleuse. Ils ne savait pas combien de temps durerait le parcours sur ce sentier dangereux, et n’aurait peut-être pas la possibilité de se sustenter avant longtemps.
Sur la descente, il affirma préférer être encordé, justement en prenant en compte l'armure lourde de Victor (peut-être serait-il préférable qu'il la porte dans son sac ?). S'il tombait, il fallait que d'autres puissent le rattraper. Lors des passages les plus difficiles, il faudrait que les aventuriers passent un à un, les autres s'accrochant à la paroi au cas où.

Le Tchakhar sortit une ration, s’assit, et commença son explication.
« Hélas, je ne pourrai vous en faire que de retour de cette aventure. Il s’agit d’un plat traditionnel Tchakhar, qui prend du temps à être préparé.
Il vous faut des pierres rondes, que vous faites chauffer dans un feu. Ensuite, vous prenez une marmotte, vous lui ouvrez le ventre et sortez les viscères et les intestins, sans les percer. Vous placez les pierres brûlantes à l’intérieur, puis cousez la peau pour refermer la marmotte, afin qu’elle cuise de l’intérieur. Il ne faut pas trop serrer la couture, sinon la peau cèdera pendant la cuisson, et la marmotte s’ouvrira. Votre plat sera raté car toute la graisse quittera le plat.
Vous placez votre marmotte au-dessus du feu en la retournant régulièrement, pour qu’elle cuise aussi de l’extérieur. La qualité du plat dépend aussi de l’équilibre entre les deux cuissons.
Une fois cuit, vous coupez la couture avec un couteau. Il faut alors d’abord prendre les pierres pleines de graisse dans la main droite, et de se les passer d’une main à l’autre, afin de s’approprier la force et le courage de la terre nourricière. Puis, vous pouvez déchirer délicatement des morceaux de viandes pour les manger, en faisant attention à ne pas laisser tomber le gras. »
Le Tchakhar avait l’eau à la bouche des souvenirs heureux qui accompagnaient cette recette. La ration qu’il mangeait, portée par cette vision, lui sembla tout d’un coup meilleure que d’habitude.

L'air dépité, Remington s'assit lui aussi et attrapa l'une de ses rations alimentaires lui aussi.

« Jamais goûté la marmotte. Mais bon. L'idée des pierres à l'intérieur, c'est pas bête ! Ca doit donner un goût particulier en plus... Avec quelques herbes du Da'ar ça doit même être vraiment bon. »

Habitué à vivre sur les routes et curieux de nature, le jeune homme n'était pas difficile en matière culinaire. Et avait souvent un appétit gargantuesque.