Sanctuaire, cent ans après les événements en cours. A la fille éhontée, un barde s'éclaircit la voix et commence à entonner une vieille balade:

Au départ, ils étaient 7.

Grimm, l'envoyé des nains, amateur de charcuterie, chevaucheur de sanglier, caractère de cochon.
Sania Férar, la mercenaire. Vol, cambriolage, si vous aviez l'argent, elle le faisait.
Aravilan Tassandre, l'elfe. Secrète jusqu'au bout des ongles, au final.
Ichabod, le prêtre de Celoth. Vicaire du culte lumineux, invocateur de démon, quoi de plus normal?
Sylas Faust, l'ombre parmi les ombres.
Duke. Petit, vif, dangereux.
Alessa, avatar de la beauté et de la grâce.

Chacun de ces héros avaient ses raisons de se rendre à Sanctuaire, certains pour s'amuser, d'autres pour enquêter voir récupérer quelque chose. L'inquisition de Celoth tenta bien de leur mettre des bâtons dans les roues, allant même jusqu'à appeler l'un de leurs célestes défenseurs mais rien ne semblait arrêter le petit groupe. Après avoir passé un marché avec un vampire, ils rencontrèrent Tara Aüraniel, héritière d'Ebelern, qui s'avéra traquer la même personne qu'eux. Ils découvrirent le pot aux roses:

Une liche dénommée Marlak, avec le concours(voulu ou non? La question restait en suspens) de l'inquisition, réunissait des objets de grands pouvoirs pour les offrir à son maître. Son maître? Rien de moins qu'Asmodée, le roi des neufs enfers(et des jeux de société mais là n'est pas la question).

Un autre démon fut nommé... Et oublié. Forts de leurs connaissances, le groupe apprit que l'ennemi était parti, emportant avec lui les objets et ses secrets vers l'île maudite. Cherchant un moyen, Ichabod et Alessa réussirent à convaincre des membres du culte de Fureur de les aider tandis que les autres allaient et venaient en ville, sauvant une elfe enceinte et son orque d'époux, avant de quitter la ville à leur tour.

S'ensuivit une course poursuite, mâtiné de révélations et de discussions mais aussi de questions. Vint qu'un jour, l'un des poursuivis vint leur faire face et qu'ils affrontèrent Marlak lui-même, et Jéricho, son protecteur. Le navire céda sous les coups de ces héros(et sous le poids de la glace), laissant leur navire en proie à un autre piège, des bombes vivantes sous la forme de matelot s'étant infiltré à bord... Mais ils furent sauvés par les efforts conjugués du Célothien et de l'elfe. La matinée avait été dur, chacun s'en alla donc chercher un repos bien mérité.
Sania dans les airs avec Ergoth.
Grimm dans la cambuse avec son sac invocateur de charcuterie
Duke et Sylas autour d'une bouteille de vin
Alessa entre les mains d'Evaine, spécialiste en ravalement de façade.
Aravilan dans sa cabine avec sa soeur et son époux.
Tara dans sa cabine avec Brent.
Ichabod avec les matelots, accueillant leurs excuses et prières.

Et lorsque le soir fut venu, un repas était prévu
Les héros réunis autour d'une table...

Une bouteille vola alors, mettant fin à la chanson dans la demande de quelque chose de plus gai et le barde souffla avant de commencer à entonner "elle n'était qu'une fille de halfelin"

C'était donc cent ans avant, sur un bateau au milieu des flots, un petit bateau qui en avait vu de belles ce jour-là, et n'était pas passé loin d'en vivre.
Un petit bateau, sur lequel se trouvait actuellement Sania des Ferar, ou Narea Firas, ou peu importe après tout, car si son nom ne changeait guère son apparence variait grandement, et une apparence est publique, tandis qu'un nom peut se conserver.
Bref, une femme normale sur le bateau des disciples de Fureur, mercenaire et voleuse à gages, actuellement engagée par des elfes et pour son déplaisir, contrainte d'abandonner sa calme vie de rapines pour partir à l'hasardeuse aventure.

Heureusement il était temps de manger, se reposer après une trop longue journée. Tant mieux, son ventre sonnait la charge. Et toute à son estomac, elle ne se préoccupait guère des discussions autour d'elle, ou c'est du moins l'impression qu'elle donna.

Enfin un peu de calme. Personne pour la réveiller à grand renfort de seaux d'eau, pas un chat dans la cabine pour venir se faire les griffes sur le sommier et le ronflement de la mer, lent et paisible.
Aussitôt que Brent fut ressorti, Tara se laissa aller d'un sommeil de plomb. Rattrapant de la sorte les heures de sommeil perdues la nuit précédente, et la fatigue accumulée par son corps suite à la bataille et l'entraînement de la journée d'avant.

De l'après-midi, on ne vit trace de la guerrière rousse. Elle ne reparut qu'au moment de préparer le dîner, lors-qu’assaillie par la faim, elle se leva pour aller aider Evaine à préparer le dîner. Pour se révéler pratiquement aussi douée que Duke... Les mots "maladroite" et "potiche" ne s'étaient jamais aussi bien appliqués à quelqu'un dans la cambuse de La Dague.

« Euh... Evaine ? Les champignons, il faut les mettre au début c'est bien ça? Y'a une drôle de couleur là... »

Le dîner fut malgré tout servi en temps et en heure, et Tara, très fière d'avoir participé à ce genre de tâche, refit surface dans la petite société du navire avec le sourire, d'excellente humeur et après avoir passé une robe bleue empruntée à la suivante d'Alessa.


« Alors, ces prisonniers, ils vous ont appris quelque chose ? »

Aravilan avait sombré dans un sommeil profond mais court, épuisée après la décharge magique causée par ses soins et qui l'avait plus vidée qu'elle ne l'aurait cru.

Elle alla s'écrouler dans sa cabine, aidée par les occupants, dérangés lors d'auscultations matrimoniales, mais ne vit trop rien du fait qu'elle sombrait déjà.

Progressivement, ses objets magiques se réactivaient un à un et rediffusaient l'énergie nécessaire à la faire tenir éveillée, mais elle ne commença a réouvrir les yeux qu'en début de soirée.

Encore légèrement amorphe, elle vérifia par réflexe ses habitudes avant de comprendre avec horreur que quelque chose n'allait pas... Dans l'urgence, elle corrigea le tir, espérant qu'il ne serait pas trop tard, avant de sortir rejoindre les autres pour le repas.

Après le départ d'Evaine pour rejoindre les cuisines, Alessa resta seule jusqu'au soir, sans donner le moindre signe de vie. Elle ne réapparu qu'à l'heure du souper, radieuse et resplendissante. Les tristes marques de ses déboires s'étaient évanouis, les embruns iodés avaient laissé la place à des fragrances camphrées, et son teint comme ses parures avaient retrouvé l'éclat des premiers jours.

Elle prit place discrètement à la tablée au milieu des discussions, laissant son tabouret se reculer de lui-même avec prévenance pour accompagner le mouvement.

« Je crains que les informations détenues par les marins ne soient bien maigres. Je les ai quittés en compagnie d'Ichabod qui s'assurait de leur état. Peut-être a-t-il reçu leurs confessions au passage. »

Son regard se posa un bref instant vers Tara, saluant d'un sourire ses nouveaux penchants vestimentaires.

« Eh », dit Sania entre deux bouchées, « Pareil pour moi. J'suis partie avant. Pas vu la fin. »
Et bouchées est entendu ici, ce ne sont pas des bouchettes minuscules, non, pas de chichis. Sania ne s'encombre pas avec de telles âneries, pas quand elle pose sous sa vraie identité, avec une apparence qui est très sûrement la vraie, et surtout que les repas soient si espacés. Parce que, à l'exemple de sa mère, elle avait l'habitude de conserver quelques provisions dans son sac, mais elle, Sania, ne s'en servait pas pour stocker des gigots entiers, juste du fromage et quelques autres aliments du moment.

Sania, élevée ailleurs que dans les salons de thé, savait que manger sans perdre de temps, sans se presser pour autant, était bien plus qu'une question d'élégance. C'était parfois une question de vie ou de mort.

Bien sûr, une personne autre que Sania ayant souvent une opinion opposé voire contraire. Mais elle s'en moquait, elle aux apparences si variées qu'elle se moquait bien de les sauver.

Ichabod, après s'être occupé des matelots capturés et avoir prié avec eux, avait rejoint la table. Il portait désormais la tenue qui seyait à son rang : robe ecclésiastique et étole pourpre. Tout en se servant, il tenta de répondre aux interrogations de ses camarades.

« Ils savent peu de choses. Ils ont beaucoup souffert du voyage et je les crois sincèrement soulagés d'être parmi nous désormais. D'après ce que je sais, nous poursuivons bien deux navires : le Poing de Céloth et son escorteur. En plus de l'équipage et des troupes de Céloth, une soixantaine d'hommes au total, l'expédition est dirigée par Neige, ce que nous soupçonnions déjà et deux prêtres de Céloth. Parmi leurs passagers se trouvent un homme sinistre qui porte une faux et un masque de corbeau, une famille et une jeune fille qui ressemble fort à Alessa et son grand-père. »

Le prêtre tourna alors son masque vers Alessa :

« De la famille à vous ? »

La fourchette de la jeune femme s'immobilisa à mi-chemin, le regard dans le vague.

« Et cette homme sinistre qui se dissimule derrière un masque, vicaire, est-il de la vôtre? »

Tournant finalement son visage vers la face factice du célothien, elle poursuivit.

« J'ai déjà donné ma réponse aux marins en votre présence, Ichabod, vous devrez vous en contenter, je n'en ai pas d'autre à donner. Que Marlak s'amuse de l'apparence des sbires qui composent sa suite pour abuser les marins est une chose, mais se méprendre au point de me confondre avec de pareilles aberrations est blessant. Je ne connais pas ces choses, et si l'occasion m'est donnée de vous prouver mes dires en les renvoyant à la poussière, je m'en ferai un plaisir. D'ici là, j'espère ne plus avoir à reprendre cette discussion. »

Ce point éclaircit, elle reprit son repas bien que son appétit se soit déjà en bonne partie envolé.

Alors occupé à siroter une énième coupe en méditant sur le manque de rationalité de la vie, Duke eut un hoquet qui se transforma en petite quinte de toux lorsqu'il entendit les propos du prêtre.

« Un homme avec un masque de corbeau dis-tu ? Ce voyage risque d'être plus intéressant que prévu. »

Puis, se tournant vers Alessa pour se raccrocher à la discussion en cours :
« Et ne t'en fais pas, je suis sûr que notre ami de Celoth n'exigera pas de toi que vous réduises à néant une jeune fille et son grand-père pour nous prouver quoi que ce soit. Une telle déclaration, si catégorique, risque au contraire de lui faire croire qu'il tient une piste, ce qui serait idiot, comme tu t'emploies à l'en convaincre... »

Alessa laissa échapper un soupir de lassitude.

« Oh mais naturellement, Marlak a sans doute pris à sa suite une simple petite fille et son gentil grand père pour les emmener en croisière...
J'apprécie vos efforts pour m'accuser de mensonge, mais je n'ai rien à prouver à quiconque. Leur seule existence me déplaît et leur présence à la suite de Marlak suffit à les condamner.

Qu'en est-il de notre homme-corbeau? »

Corbeau ? Sania se redressa d'un bond, d'une action, d'un mouvement, d'un déplacement, en fait elle se redressa péniblement et lentement. Mais elle dressa l'oreille d'un air alerte non, endormi plutôt.
« Un corbeau ? Je vous jure, j'ai rien à voir avec cette histoire. Et Ergoth non plus. D'ailleurs je ne sais même pas de quelle histoire on parle. »
Elle avait croisé ses bras, de façon assez relâche. Mais au moins, elle clamait son innocence.

« Bigre, il suffit d'être sur le même bateau que Marlak pour mériter la mort à tes yeux, Alessa ? Si c'est le cas, nous avons une tripotée de marins explosifs qui n'attendent que toi pour se faire égorger. N'hésite plus ! Et si à un moment je t'ai semblé convaincu de ta duplicité crois bien que je regrette, je ne mets certainement pas en doute tes paroles. »

Mon ton est jovial, et il est clair que je m'amuse beaucoup. Sauf quand la question du Corbeau revient sir le tapis. Ma mâchoire se serre et mes yeux reprennent leur éclat d'acier.

« Je ne sais pas s'il s'agit du même mais j'ai déjà vu un homme avec un masque de corbeau et une faux. Mais je ne le connais pas plus que cela. La seule chose utile que je pourrai ajouter c'est que sa faux n'est pas faite pour les blés. Mais ce n'est sans doute pas lui, je ne vois pas bien ce qu'il ferait sur un navire. »

Puis j'ajoute, comme pour moi-même :
« D'un autre côté il y a quelques semaines je ne me serai pas vu non plus en pleine mer... »

« Ahah », ricana Sania. « Parles m'en y don'. J'suis tranquille à l'autre bout du pays à déménager un bijou de rien du tout, et j'finis recherchée sans raison apparente par le royaume entier, et engagée par des elfes pour aller chercher un oeuf et une couronne magique. Enfin pas l'oeuf, ça c'est moi qui ait fait la connerie de dire que je participerais.
Beuh...
J'aime pas la mer, ça m'rend malade. Malade au moral. » Disant cela, elle s'était renversée sur sa chaise, la tête pendue en arrière à observer le plancher du haut, autrement dit le plafond.

« Voyez le bon côté des choses, vu la rapidité des réparations effectuées, nous n'aurons pas à perdre le moindre jour inutilement dans cette traversée »

Alessa poursuivit à l'attention de Vernard.

« Capitaine, avez-vous une idée du temps qu'il nous prendra pour rattraper le fuyard dont nous avons coulé l'escorteur? »

Aravilan était plutôt silencieuse quand elle rejoignit la tablée avec les autres.

Outre les banalités d'usage dans les conversations, elle ne se mêlait que peu de la discussion sur Marlak et les "marins" attitrés dans leur quête de poursuite.
Principalement parce qu'à part la réputation de la liche, elle n'en savait que très peu jusqu'à aujourd'hui.

Son attention se portait plus sur l'état de santé de sa soeur et de l'évolution de sa grossesse.

De toute façon, elle préfèrait voir au jour le jour pour ce genre d'évènements, car parfois à trop planifier le résultat n'en était pas meilleur.

La capitaine réfléchit un instant avant de répondre à Alessa:

« Si les conditions restent telles qu'elles sont, nous ne les rattraperons pas. Notre navire est plus lourd et eux bénéficient également de l'appui d'un prêtre pour avancer plus vite. Mais il nous reste encore une semaine de voyage et les conditions peuvent changer très vite, ici... »

Chapelain, grignotant tranquillement, demanda:

« Et pour ce qui est de cette famille? Des indices? »

Sentant des regards revenir dans sa direction, la jeune femme repoussa un peu son assiette d'un air las comme pour couper court à la question.

« Je crains qu'après les évènements de ce matin, la fatigue ne m'ait rattrapée, je vous laisse à votre repas. »

Elle accorda un discret signe de tête à l'attention d'Evaine pour lui signifier qu'elle n'avait pas besoin de ses services, et se leva lentement pour prendre congé.

« Indices, indices, tout dépend de leur configuration », grogna Sania sans faire de sens. Elle sourit en voyant Alessa fuir avec une pauvre excuse.

Finalement prenant sa lyre, elle commença à chantonner, menée par l'ennui et l'envie.
« Captaine, captaine, ô mon captaine,
est-ce que tu sorais qui, qui,
qui qu'on va manger,
est-ce qu'tu saurais ?

C'était un gros bateau lourd comme un cachalot,
qui tanguait, risquait d'tomber à l'eau,
et il voguait, tranquillement sur les flots,
et puis soudain, ben, il sombra l'bateau,
hého hého ! »
L'envie de dire des aneries manifestement. On voyait bien qu'elle improvisait, marquant une courte pause à la fin de chaque vers (non pas verre).

Elle s'arrêta après deux couplets pour passer sur une chanson plus sérieuse, et heureusement.
« Dans le Val de Bise, la pluie s'est élevée en fumée,
l'eau remonte les pentes tellement déterminée,
qu'en haut des monts elle s'est accumulée,
froids monts couverts de grands glaciers,
et les poissons suivent bien forcés,
ou périr dans des lacs asséchés,
dans les monts sont montés,
fuyant la prédite destinée,
aux poissons menacés,
de finir désséchés,
et l'poisson finit con-g'lé. »

Elle s'arrêta de chantonner d'un bon train, regarda les autres et leur déclara : « Sinon, des idées à écouter ? Pas forcément dans le même registre, n'est-ce pas. »