Célia arborait un sourire résigné.

« Je me doutais que vous diriez quelque chose du genre. J'avoue qu'aussi égoïste que cela puisse être, c'est un soulagement d'avoir quelqu'un sur qui compter dans cette situation. »

Elle se retourna ensuite vers la fenêtre pour s'adresser aux villageoises.

« Vous avez aussi mes remerciements. Je vous en prie, ne prenez pas davantage de risques pour nous et rentrez. Je ne peux pas vous promettre que les choses vont bientôt changer, mais, que les dieux m'en soient témoins, je compte bien essayer. »

Enfin, elle s'adressa à son compagnon de voyage.

« Seigneur Minaithnir, j'aimerais vous demander un service. Si vous pouviez mettre à profit le temps dont nous disposions pour récupérer l'équipement qui nous a été confisqué, cela pourrait être très utile. Bien sûr, ne prenez aucun risque inutile, si la chose s'avère impossible. Essayez simplement de rester à proximité lorsque les épreuves débuteront... Quelque chose me dit que dévoiler votre vrai visage pourra être utile avant la fin. »

Célia avait conscience des risques associés à une telle action, mais aussi des avantages. Si Minaithnir venait en aide aux villageois sus sa forme véritable, peut-être s'agirait t-il d'un premier pas sur le long chemin de la réconciliation entre deux espèces. Et puis, ajouta une part plus pragmatique de son esprit, avoir un dragon dans son camp pouvait toujours être utile, la paladine pouvait en attester.

« Oh, et pour cette épreuve de la Flamme, peut-être pourriez vous nous donner un peu d'aide, si cela n'est pas trop demander... »

Les deux femmes opinèrent et laissèrent Minaithnir parler:

« Je vais faire ce que je peux. »

Le trio à l'extérieur partit alors, laissant donc Célia et Moren ensemble. Le lancier demanda alors:

« Vous comptez faire quoi alors? Aller voir Jéryn et lui taper sur les doigts? »

« Hmmm. Quelque chose comme ça, oui. »

Parler de plan aurait, à la vérité, été une grossière exagération. Célia était arrivée jusqu'ici grâce à un mélange de conviction, d'improvisation, et une endurance physique et mentale hors du commun. Pour l'heure, mieux valait se concentrer sur les épreuves, et tirer au mieux partie des occasions qui seraient présentées. Si elle parvenait à triompher des tortures préparées par le prêtre corrompu, cela pouvait ébranler sa crédibilité ; et un règne uniquement maintenu par la terreur pouvait s'effondrer aussi vite qu'un château de cartes dès lors qu'un grain de sable viendrait se glisser dans l'engrenage.

« Je ne sais pas si vous êtes croyant, mais si vous vénérez un dieu en particulier, c'est peut-être le moment de lui adresser une prière... Je déconseillerais Céloth, par contre. »

« Pas la peine. Elle a d'autres choses à penser en ce moment, j'imagine... »

Le jeune homme soupira avant de s'installer confortablement sur le lit pour piquer un somme. Ce ne fut que tard dans la soirée, alors que la nuit était tombée, que la porte fut ouverte, laissant apercevoir les gardes qui jetèrent un sac de vêtements dans la pièce:

« C'est l'heure. Mettez ça et suivez nous, sans faire d'esclandre... »

Célia ramassa le sac d'un œil suspicieux, avant de se tourner vers son compagnon de cellule, essayant tant bien que mal de lutter contre le rouge qui lui montait aux joues.

« Sire Moren, je compte sur votre... discrétion. »

Après s'être assurée qu'il ait le dos tourné, elle entreprit de se changer, le plus rapidement possible.

« Et la leur? »

Il pointa les gardes qui observaient la jeune femme avec des sourires mauvais. Il attrapa la couverture et alla se placer de manière à bloquer la vue de la porte. Quelques commentaires crus émanèrent des gardes jusqu'à ce qu'une voix les coupe:

« Suffit. Laissez-la se changer en paix. »

Les gardes grommelèrent quelques insultes vis à vis de l'importun mais le calme revint bien vite, laissant le temps à Célia de se changer. Moren lui tendit alors la couverture:

« Mon tour. Même si j'imagine que j'aurais moins de succès que vous... »

Le jeune homme se devêtit alors, rangeant ses affaires dans un coin. Une fois prêts, les deux furent escortés jusqu'à la place devant le temple. La foule était réunie, silencieuse et ils furent amenés jusqu'au prêtre, rejoignant l'homme qui les accusait et la jeune femme qui les avait défendu. Jéryn avait revêtu sa tenue cérémonielle, se tenant derrière un petit autel, et s'adressa à tous:

« Mes chers enfants, nous sommes ici pour résoudre une sombre histoire. Ces deux personnes sont accusés de crimes odieux par cet homme et sont défendus par cette femme. Ne pouvant déterminer qui a raison et qui a tort, ils doivent se soumettre à l'Epreuve de la Foi...

Lequel de vous veut commencer? »

L'accusateur se porta en avant:

« Moi, mon père. »

Le prêtre opina du chef avant d'indiquer le baquet:

« Voilà l'Epreuve de la Respiration car seul le pur n'a pas le souffle coupé par l'eau purifiée et bénie de Celoth... Souhaites-tu recevoir ma bénédiction? »

L'homme accepta avant d'aller s'agenouiller devant le prêtre, celui-ci entonnant alors une petite prière et utilisant son goupillon pour asperger le visage du suppliant d'eau bénite:

« Puisse la Volonté de Celoth se faire et la Vérité être révélée! »

L'accusateur se releva alors et alla se placer devant le baquet avant d'y plonger le visage. Les secondes passèrent, 10 puis 20 puis 30... Et au bout d'une minute, le garde en faction au baquet tapota sur l'épaule de l'homme et celui-ci se releva, reprenant sa respiration par à-coups. Jéryn déclara alors:

« Il a réussi l'Epreuve de la Respiration! Sa parole est pure! »

Se tournant vers les 3 restants, il demanda:

« Qui veut passer ensuite? »

Célia s’avança d'un pas.

« Très bien. Finissons-en. »

« Très bien... »

Le prêtre indiqua le baquet avant d'ajouter:

« Étant donné que vous êtes l'une des accusés, je ne peux vous accorder la Bénédiction de Celoth, le juste et pur dont le Nom ne saurait être associé à des criminels en puissance. Cette épreuve sert à déterminer votre valeur et votre pureté à Ses Yeux... »

Célia plissa les yeux en identifiant la "bénédiction" du prêtre.

Je suppose que ça explique la facilité apparente de cette épreuve...

Son expression laissa cependant rapidement place à un visage en apparence dépourvu de toute émotion, hormis la curiosité.

« Vous avez parfaitement raison, bien sûr. Il serait inutile de solliciter les faveurs du tout puissant Céloth pour une épreuve qui déterminera justement à qui il accordera sa grâce. Cependant... »

Elle marqua une pause.

« Cela ne vous a cependant pas empêché de l'accorder à un autre accusé, et ce d'un crime tout aussi atroce. Avez-vous donc si peu confiance dans le jugement de votre propre dieu? »

Puis, sans hésiter, elle plongea la tête dans le baquet.

Célia plongea son visage dans l'eau et la minute s'écoulant, elle put se redresser sans peine. Moren prit le tour suivant, y plongeant le visage pendant que Jéryn se dressait à coté de Célia:

« Accusé de rien il n'est... Pour le moment. Ces épreuves sont là pour déterminer qui a raison et qui a tort... Mais je comprends vos réticences, jeune fille. Ne voyez pas dans ces actes une manière de vous défavoriser mais bien de tous vous départager pour déterminer qui a raison et qui a tort... »

Le jeune homme s'agita légèrement mais resta en place puis au bout d'une minute, ressortit la tête de l'eau. Ses cheveux s'étaient raccourcis et son visage était marqué d'irritations profondes. La jeune femme avança alors et demanda au père sa bénédiction, qu'il lui accorda. Elle s'avança alors confiante vers l'eau, y plongea le visage et se redressa au bout de quelques secondes en hurlant:

« Ça brûle! Ça brûle! »

Elle se débattit en se griffant le visage, le garde tentant de la ceinturer mais dans leurs ruades, le baquet fut renversé, l'eau éparpillé et la femme finalement jeté au sol avant que le garde ne l'assomme en lui frappant le front contre le sol. Moren voulut se précipiter vers lui mais fut pris de court par un autre homme, arborant une armure différente des autres gardes qui gifla le malotru avant de soulever doucement la jeune femme pour l'emmener, pendant que le prêtre reprenait la parole:

« Bien, bien, bien... Voilà qui nous en dit long sur la véracité des propos de Pella... Gardes, conduisez-la en cellule, elle a menti devant notre Dieu et mérite un châtiment exemplaire... »

Mirp affichait un sourire triomphant avant que Jéryn n'enchaîne:

« Toute cette agitation ne nous prouve qu'une chose: Pella a menti... Mais pour autant, ces personnes sont-elles coupables des actes qu'on leur impute? Les autres épreuves le détermineront... »

Le sourire disparut sur le visage de l'accusateur pendant que le prêtre indiquait 4 feux aux flammes vives:

« Passons à la suite, voulez-vous? Nous prendrons l'ordre inverse, cette fois. Sieur Moren, c'est à vous de passer en premier. Au cœur de ce feu se trouve un symbole de l'Eglise de Notre Père à Tous que vous devrez récupérer, pour prouver la véracité de vos propos... Allez-y, je vous prie... »

Moren observa les alentours en grommelant, jetant un regard mauvais en direction des hommes armés, avant de s'avancer vers le feu. Il en fit le tour plusieurs fois, s'accroupissant, cherchant quelque chose avant de finalement plonger sa main entière dans les flammes, retournant les cendres. Les secondes s'écoulèrent et le visage de Moren, d'abord impassible, vira au rouge sous l'effort, sa bouche se crispant de douleur jusqu'à ce qu'il ne sorte un symbole de Céloth rougeoyant et ne le jette au sol, avant que quelqu'un ne vienne s'occuper de sa main. Le prêtre observa Célia et ajouta en souriant:

« Voilà qui prouve sa valeur. A vous de prouver la votre, ma chère... »

Célia fit face aux flammes, cherchant à scruter ce qu'il pouvait y avoir en leur sein. Prenant une grande inspiration, elle fit un pas en avant...

Célia plongea la main dans les flammes et se mit à chercher. Les secondes passèrent, lentement mais finalement, la jeune femme réussit à mettre la main sur un objet de métal. Le relevant, elle se rendit compte qu'il s'agissait du symbole de Celoth et put le sortir librement.

Le prêtre opina du chef:

« Bien, bien, voila qui nous prouve votre pureté. Mirp, c'est à vous... »

L'homme acquiesça et s'agenouilla devant Jéryn, souriant:

« Pourrais-je avoir votre bénédiction, mon père? »

L'homme d'Eglise lui tapota la tête:

« Vous l'avez déjà reçu, mon fils. »

L'homme parut étonné voir effrayé et observa le feu avec appréhension. Se relevant, il se dirigea vers son emplacement et tenta d'approcher sa main des flammes mais recula précipitamment. Déglutissant, il jeta un regard impuissant vers Jéryn, celui-ci affichant un sourire moqueur:

« Et bien? Vous ne pouvez pas, mon fils? »

Mirp observa le feu et le prêtre, passant de l'un à l'autre, avant de plonger la main dans les cendres... pour la retirer instantanément dans un terrifiant hurlement de douleur. Sa main était vide mais il avait pu tirer le symbole, celui-ci toujours en partie dans le feu. Jéryn s'approcha calmement de lui:

« Êtes-vous impur, mon fils? Auriez-vous menti durant le jugement? »

Tenant sa main grièvement brulée, il hésita longuement et acquiesça. Jéryn soupira puis se retira vers Moren et Célia, pendant que deux gardes venaient se saisir du blessé:

« Bien, vous voila donc innocentés. Les gardes vont vous ramener jusqu'à vos appartements, en espérant que ces légers désagréments ne vous auront pas causé de problèmes...

Sur ce, je vous souhite une bonne soirée... »

Il se retourna alors et retourna à l'intérieur du Temple...

Célia cligna des yeux, surprise par le dénouement subit de la situation.

... juste comme ça? Est-ce qu'il a choisi de sacrifier son complice pour éviter plus d'ennuis?

Il était entièrement possible que Jéryn avait préféré arrêter les frais et se distancer d'un individu par trop suspect, plutôt que de prendre le risque de voir deux inconnus réussir la troisième épreuve, au risque de soulever des questions embarrassantes. Elle se tourna vers Moren, jetant un œil inquiet à son visage et sa main, qui portaient encore les traces des deux épreuves.

« Ça va aller? Je peux vous soigner, si vous le voulez... »

Elle jeta un dernier regard vers les portes du temple, désormais closes.

« Qu'est-ce que vous pensez de tout ça? »

« Je dois avoir un baume dans mon sac, ne vous en faites pas... »

Le visage du jeune homme restait crispé par la douleur et il s'éloigna du temple calmement. La foule laissa passer les deux compères avant de se disperser pour rentrer. Arrivant à l'auberge, ils purent récupérer leur paquetage et Moren se décida à répondre:

« Je pense qu'il a obtenu ce qu'il voulait... Il a pu affermir son emprise sur le village, se débarrasser d'un gêneur et montrer à tous que même un innocent n'est pas à l'abri de sa "justice"... »

Il attrapa une grosse noisette de baume qu'il déposa sur sa main blessée avant de grommeler quelques insultes bien senties à l'égard du prêtre:

« Il va me falloir plusieurs jours avant de pouvoir me servir de ma lance... »

L'expression de Célia se fit songeuse.

« Le garde qui a raccompagné Pella... Il ne portait pas la même tenue que les autres. Vous avez reconnu son armure? »

L'homme n'avait pas semblé enthousiasmé par la façon de procéder de Jéryn et de ses sbires. Peut-être que s'entretenir avec lui pouvait se révéler instructif.

« Quoi qu'il en soit, il est hors de question de repartir tant que Pella et... Aurélia, il me semble? Seront encore en danger. Jéryn doit répondre de ses actes. »

« Un Archonte. Il doit être sur le chemin du front, comme nous... »

Moren soupira avant d'ajouter:

« Qu'a fait Jéryn de mal? Après tout, il suit les lois de son pays et de son dogme... Comprenez-moi bien, j'ai très envie de lui botter le derrière mais...

Bah, après tout, ma tête est déjà mise à prix alors ça en plus ou en moins... »

« Hmm hmm. Excusez-moi... »

Célia s'empara délicatement de la main blessée du lancier, avant de fermer les yeux et de se concentrer. Une douce chaleur s'échappait de sa paume, fiasant progressivement disparaître la douleur. Tout à son œuvre, la paladine répondit aux songeries de Moren.

« Ce qu'il a fait de mal? Vous voulez dire, à part exécuter des innocents à seule fin d'affermir son influence, justifier la torture en lui donnant une apparence sacrée, truquer de supposés "jugements divins", et couvrir des criminels de la pire espèce? Si là est la loi de Céloth, dans ce cas, j'ose espérer que tout homme de bien saura s'insurger. Mais je doute que Jéryn serve son dieu, seulement sa propre gloire. »

La voix de Célia s'était animée au fur et à mesure de sa tirade. Visiblement, c'était un sujet qui lui tenait à cœur. Par dessus tout, elle abhorrait ceux qui estimaient que leur mission était de faire respecter leurs commandements divins par la force. Les dieux étaient multiples, et avaient laissé aux mortels le choix de leurs destinées. Quel homme pouvait donc prétendre choisir pour autrui la religion qu'il suivrait, quand même les divinités s'en étaient abstenues? Inspirer par l'exemple n'avait rien à voir avec la conversion par le fer et le feu.

Le cours de ses pensées fut brutalement interrompue lorsqu'elle prit conscience de la position vaguement embarrassante dans laquelle elle et Jéryn se trouvaient, les mains liées. Célia relâcha aussitôt son étreinte, comme si la main du lancier s'était subitement métamorphosée en serpent venimeux, détournant le regard au passage.

« Euh... je... j'espère que ça ne fait... Hem. Vous ne devriez plus éprouver de douleur, je pense? »

Toujours incapable de regarder Moren en face, Célia s’efforça de retrouva un semblant de contenance.

« Bref! Je vais essayer de retrouver Minaithnir, et nous pourrons prendre une nuit de repos... séparément! Avant de réfléchir à... la suite. »

« Je ne tiens qu'à dire que nous sommes seuls dans un endroit où la Loi est ainsi faite, aussi moche soit-elle... Et croyez-moi, Jéryn sert bien son dieu, pour ce que j'en sais.

La situation n'est pas aussi simple qu'il n'y parait mais... Bordel, où est Ichabod quand on a besoin de lui pour expliquer ça clairement... Ce que je peux dire, c'est que Celoth n'est pas ce qu'il parait être... Ne me demandez pas de vous expliquer comment, ça n'est ni le lieu ni l'endroit... »

Le jeune homme observa sa main, sifflant en voyant le résultat:

« Pas mal. Ça tire encore un peu mais ça va vite disparaitre... Faisons donc ça, vous cherchez le petit de votre coté, je m'occupe des chambres et repas... Et faites attention... »

L'expression froide qu'arborait Célia paraissait plutôt déplacée pour quiconque connaissait son tempérament habituel.

« Ah? J'avoue ne pas avoir beaucoup lu de textes traitant des préceptes de Céloth. Mais si tout ce que j'ai vu ici est effectivement cautionné, je vais devoir réparer cet oubli au plus vite. »

Poussant un soupir, elle reprit.

« Mais ce n'est effectivement ni le moment ni l'endroit pour ce genre de discussion. Je vous rejoint au plus vite. »

Sur ces paroles, la paladine se mit à la recherche de son compagnon de route. La maison ou elle l'avait vu apporter du bois semblait être un point de départ évident, en espérant que les recherches de Jéryn ne l'avait pas forcé à trop bien se dissimuler...

Célia partit donc à la recherche de son jeune protégé et ne mit pas longtemps à le trouver. Celui-ci se tenait au milieu des enfants du coin, racontant quelques histoires ponctuées de quelques tours de passe-passe bien conventionnels. Apercevant la paladine, il se releva de suite et se dirigea vers elle, ne continuant pas son histoire au grand désespoir des enfants:

« Ville étrange que celle-ci, ils ne connaissent même pas l'histoire de leur peuple... Vous avez l'air en forme, vous avez été libérée? »