Célia avait donc pris la route depuis les montagnes du nord. Quand la question du déplacement sur les terres de Vigil s'était posé, c'était d'un commun accord qu'elle et Minaithnir avait décidé de louer des chevaux. Voir un dragon voler dans le ciel, aussi petit soit-il, aurait pu avoir des conséquences désastreuses et la jeune femme ne tenait pas vraiment à être accueillie avec des fourches et des torches à son arrivée à l'est. Ebelern, telle était sa destination, l'endroit où semblait se cristalliser l'attention de la défense.

A chaque village qu'elle traversait, elle écoutait les rumeurs qui circulaient. Une parlait d'une armée de Sanctuaire venue renverser le roi, une autre de la même armée venue les aider voir aider les orques, le Justicar Dunworth avait tué le roi et pris sa place, la mère Michelle avait perdu son chat bien avant son mariage... Mais partout, elle pouvait constater le désarroi qui habitait la populace. Les relations entre le roi et l'église étaient à couteaux tirés et les conséquences sur le bas peuple s'en ressentait: prêtre dévot exhortant à la destruction de l'inhumain et du sorcier, jeunes inconscients partant sur les routes en quête de gloire pour rejoindre l'armée, brigandages, accusations et exécutions sommaires, tel était désormais le quotidien du peuple de Vigil.

Son voyage se déroula ainsi, apportant son aide comme elle le pouvait quand elle le pouvait et à mi-chemin entre deux villages, ceux de Basse-branche et Verte-pomme, alors qu'elle surplombait les innombrables vergers qui parsemaient les environs qu'elle entendit la voix d'un homme non loin, en provenance d'un bosquet un peu plus touffu:

« Vous pouvez partir d'ici sur vos deux jambes ou pourrir sur place. C'est votre décision, pas la mienne... »

Seuls quelques rires gras répondirent aux propos tenus...

Célia tira sur les reines de son cheval, faisant signe à Minaithnir de rester légèrement en arrière. Ce dernier était d'une humeur maussade suite à leur parcours équestre, ne goûtant que moyennement ce mode de transport improvisé. Célia comprenait sa frustration, mais malheureusement, les circonstances ne leur laissait que peu de choix. Par les temps qui couraient, mieux valait être le plus prudent possible, et bien que loin d'être sans défense, sa jeune charge était encore vulnérable à bien des périls.

Toute à ses préoccupations, Célia avait été prise par surprise par la voix qui retentit soudain. Si les inconnus tenant des paroles vaguement inquiétantes depuis un buisson ne laissaient pas forcément la meilleure première impression, au moins avaient ils eu la décence de se signaler... non?

« Aaah... Je comprends que les temps soient rudes, mais nous sommes malheureusement pressés par le temps. Sûrement, nous pouvons parvenir à un accord? »

Célia s'arrêta un instant, le temps de se rendre compte du ridicule achevé de la scène.

« Hum... peut être pourriez vous... sortir, s'il vous plaît? Ça fait étrange de parler à un buisson... »

La dernière remarque fut ponctuée d'un rire nerveux. Ugh... Elle pouvait difficilement parler, pour ce qui était de laisser une bonne première impression...

Le silence s'installa puis la même voix reprit un peu plus bas:

« Euh... Ce n'est pas à vous que je m'adressais. Navré... »

Une autre discussion s'enchaîna:

« Merde, une autre... On fait quoi? On la capture? »

« Bah ouais, elle ira rejoindre les autres... Faut bien qu'on s'amuse, nan? On s'occupe de la petite pédale, là et après, on va s'occuper de notre nouveau jouet... »

Un concert d'approbation résonna tandis que la première voix reprenait:

« Je suis là, vous savez... Mademoiselle, je vous conseille de partir, pendant que je m'occupe de ces trous du cul... »

Le bosquet semblait sombre et profond. S'y aventurer à cheval semblait impossible mais Célia percevait quelques silhouettes au loin, 6 hommes commençant à encercler un autre homme, celui-ci ayant derrière lui un groupe de jeunes femmes apeurées, n'osant pas bouger...

Célia cligna des yeux. Apparemment, la situation n'était pas... exactement celle qu'elle avait imaginé au premier abord. Mais en un sens, elle était pire. Elle pouvait difficilement prendre ombrage d'être arrêtée par quelques malheureux ayant recours à des mesures désespérées pour survivre. Mais la scène qui se déroulait sous ses yeux... paraissait nettement plus sinistre. Jugeant l'approche montée hasardeuse, la paladine mit pied à terre, avant de jeter un regard implorant à son compagnon.

« Seigneur Minaithnir, pourriez vous patienter quelques instants? J'essayerais de ne pas être longue. »

Puis, avançant d'un pas décidé vers l'attroupement, ses yeux s'illuminèrent brièvement derrière son heaume.

« Je vous remercie pour votre conseil, mais j'ai bien peur de ne pouvoir fermer les yeux sur ce qui se passe ici... J'imagine qu'il n'y aucune chance pour que toute cette affaire soit une simple méprise? »

« Comme tu veux. »

Minaitnir descendit de cheval et alla se poster sur le bord de la route. Il observa les fleurs qui poussaient dans le coin, n'accordant pas d'importance à ce qui se passait de l'autre coté. Célia obtint pour seule réponse d'un des gaillards:

« Non mais on va s'arranger, on est très doux, tu sais... »

La femme en armure discernait les armes tirées par chacun. L'homme seul maniait une lance tandis que les autres arboraient épée courte et dagues, se dispersant autour de lui pour l'encercler...

Le heaume de Célia masqua sa gêne par rapport à la réplique qui lui avait été adressée. Raffermissant sa prise sur sa lance, elle prit une grande inspiration, continuant à s'approcher du groupe.

« Je... je déteste devoir juger les gens sur leur apparence, mais... vous n'inspirez guère... confiance? Vos actions me semblent en tout cas peu dignes. Si vous insistez pour vous en prendre à cet homme, ou à menacer ces femmes visiblement sous sa protection, je me dois de vous prévenir que je serais tenue de leur prêter assistance. »

La paladine espérait être parvenue à donner à son ton une inflexion sévère, mais elle savait d'expérience que c'était rarement le cas. Quelle était l'expression qu'avait employé Moghren, l'autre fois? Ah oui, "une voix aussi terrifiante que le miaulement d'un chaton". C'était embarrassant, vraiment. Néanmoins, elle se devait d'essayer. Son ton se fit presque suppliant.

« Je vous en prie, baissez vos armes. Bien assez de sang a coulé ces derniers jours. »

« Elle est lourde, celle là... On fait quoi? »

« Occupez-vous en. Pas grave si elle est abimée, tant qu'elle est encore chaude, ça m'va... »

3 des hommes se séparèrent du groupe et se dirigèrent vers Célia pendant que le lancier les hélait:

« Hé mais c'est moi votre adversaire! Qui vous a dit que vous pouviez me tourner le dos? »

Les 3 adversaires restants se jetèrent alors sur lui, frappant de taille et d'estoc pour le faire reculer et trébucher sur les jeunes femmes derrière lui. Célia aurait bien voulu l'aider mais elle avait aussi fort à faire de son coté...

Les hommes s'écartèrent et commencèrent à encercler Célia. Ils se lancèrent alors vers l'avant, l'un d'entre eux courant droit devant pour être cueilli par un moulinet de la lance qui lui coupa le souffle mais ne le laissa pas pour autant sur le carreau. Les deux autres approchèrent alors plus prudemment, évitant les attaques:

« Et béh, va falloir la décortiquer avant de s'amuser... »

3 attaques tombèrent sur la jeune femme mais ne firent que riper sur son armure, la laissant indemne.

Parant les attaques pleuvant sur elle, Célia se mit en garde, tout doute écarté de son esprit. Si il y avait pu y avoir la moindre ambiguïté sur la situation présente, elle avait été levée par les dernières paroles de ses assaillants.

« Je suppose que vos intentions sont claires. Je suis navrée, mais, compte tenu des circonstances, je ne retiendrais pas mes coups. »

Indifférente aux assauts des bandits, la paladine se fraya un chemin au milieu de leurs rangs, avant de pivoter, tout ses mouvements semblant subitement s'accélérer.

(en céleste) « Aremeh a nde nalutuv nariènëa anir meto... »

A peine sa prière achevée, Célia passa à l'offensive, sa lance fendant l'air si vite que ses mouvements en devenaient difficilement perceptibles à l’œil nu.

Le déluge d'attaque que la jeune femme fit pleuvoir eut presque raison de deux de ces adversaires mais en se déplaçant, elle ressentit la morsure cruelle d'une des lames, trouvant une faille dans son armure. Un sang chaud et bouillonnant se mit à couler le long de sa jambe et bien qu'elle sentit ses capacités de guérison se mettre en marche, elle savait qu'elle ne se fermerait pas comme ça pour autant.

2 des hommes avancèrent alors prudemment vers elle pour continuer leur oeuvre, le premier arrivant et lui portant 2 attaques successives mais sans grande réussite. L'autre pensa profiter d'une ouverture mais laissa son flanc sans protection pour autant.

Le 3eme, quand à lui, commença à reculer doucement, un pas après l'autre, serrant la blessure que Célia venait de lui infliger.

Dans le bosquet, le lancier se battait avec les 3 hommes, évitant leurs coups adroitement mais se concentrant principalement sur sa défense, ne cherchant pas à se risquer dans une attaque qui l'empêcherait de s'interposer entre les femmes et ses ennemis du moment.

Célia grimaça lorsqu'elle sentit la morsure de la lame, mais maintint sa concentration ; le blessure était douloureuse, mais pas handicapante, et sa première passe d'arme lui avait permis de prendre la mesure de ses adversaires.

« Je sais que ce ne sont pas vraiment mes affaires, mais vous auriez sans doute dû effectuer des choix de vie différents... Hum, mais je suppose que c'est un peu tard? »

En prononçant ses paroles, l'arme de la paladine s'était mise à briller d'une lumière inquiétante, comme animée d'un soudain afflux d'énergie sacrée. Faisant un nouveau pas en arrière pour mieux manier sa lance, Célia se relança dans une offensive, donnant cette fois plus de puissance à ses coups.

La paladine frappa de droite et de gauche et acheva ses deux adversaires avec aisance, sous le regard terrifié du troisième. Celui-ci tenta bien de prendre ses jambes à son cou mais fit quelques pas avant de s'écrouler lui aussi. Dans le bosquet, les hommes avaient assisté à ce qu'il s'était passé et en voyant l'un des leurs tomber en plus, il ne demandèrent pas leur reste et partirent sous les invectives du lancier:

« On avait pas fini que je sache! »

Le lancier attendit quelques instants que les hommes aient disparu pour se tourner vers les femmes:

« Ca va aller, ils ne vous feront aucun mal, maintenant... »

Poussant une grande inspiration, Célia laissa la tension du combat s'évacuer progressivement. La douleur de la blessure subie précédemment était toujours là, mais elle pouvait sentir ses plaies se refermer progressivement. Elle ne put s'empêcher d'éprouver une pointe de regret vis-à-vis des trois hommes qu'elle venait d'abattre. Sans doute avaient ils mérité leur sort, mais les dieux seuls savaient ce qui avait pu les pousser sur cette pente. La paladine ne pouvait qu'espérer que l'autre monde leur serait plus clément. L'heure n'était cependant pas à se soucier des morts, d'autres méritaient une attention plus immédiate.

« Est-ce que tout le monde va bien? Personne n'est blessé? »

« Non, non, ça a l'air d'aller. »

Le lancier se tourna et observa Célia un instant avant de tendre la main:

« Merci pour le coup de main. Vous m'aidez à les ramener? »

Retirant son heaume, la jeune femme offrit un sourire réconfortant aux réfugiées, avant de hocher la tête à la demande de leur protecteur.

« Bien sûr. Donnez moi juste le temps d'aller chercher mon compagnon. »

Célia attrapa la main tendue du mystérieux lancier, échangeant avec lui une poignée de main formelle. Qui que soit cet homme, il était visiblement habile avec son arme, et semblait posséder un esprit chevaleresque, si ses actions étaient un bon indicateur. Elle aurait pu tomber sur bien pire comme compagnon de route... comme ceux qui venaient de déserter la scène. Secouant la tête, elle se redirigea vers la grande route pour aller récupérer sa monture et appeler Minaithnir, lorsqu'elle se rendit compte de son oubli.

« Oh, j'y pense, je ne me suis même pas présentée. Célia Starkhaven, ravie de vous rencontrer. Puis-je vous demander votre nom? »

« Vous pouvez, oui, je ne peux nullement vous en empêcher. »

Le lancier se fendit d'un énigmatique sourire avant d'aider les femmes en pleurs à se relever et de les aider à se diriger vers la route.

La guerrière cligna des yeux, avant que son expression ne laisse percevoir son embarras.

« Oh... oh! Je suis confuse, je ne voulais pas...Hum... J'espère ne pas vous avoir offensé. »

Certes, il n'en donnait pas l'air, mais parfois, les gens pouvaient avoir des réactions... étranges. Quoi qu'il en soit, si le lancier désirait conserver son anonymat, Célia n'allait certainement pas lui contester ce droit. Saisissant son cheval par la bride, elle appela Minaithnir, visiblement toujours plongé dans son examen botanique. Le jeune dragon pouvait se fasciner pour les sujets les plus ésotériques, parfois. La paladine était néanmoins heureuse que malgré ces temps sombres, il puisse trouver le temps et les moyens de satisfaire sa curiosité.

« Seigneur Minaithnir! Ces personnes ont besoin de notre assistance, il va nous falloir faire un détour vers... »

Elle marqua une pause, avant de jeter un regard hésitant au guerrier.

« ... où vous rendiez vous, au juste? »

« Moi, je vais par là. »

L'homme désigna la direction de l'est avant qu'il ne se tourne vers les femmes:

« Et vous? D'où venez-vous, mesdames et demoiselles? »

L'une d'entre elles répondit, pendant que les autres évitaient de marcher dans les traces de sang laissés par les corps:

« Basse-branche, m'sire. C'est dans la même direction... »

Le lancier eut un grand sourire et enchaîna:

« Et bien, je vais vous raccompagner alors. »

Minaithnir détourna son attention de la plante:

« Hmmm? Ah, des gens. Et des cadavres. Ahem... Célia? Je crois que tu vas avoir une bonne histoire à me raconter, encore une fois... »

L'homme s'avança et confia la bride de sa monture à l'une des femmes:

« Tenez. Vous pouvez y monter à deux, ça sera moins fatiguant... »

La jeune femme se gratta l'arrière de la nuque, un sourire gêné sur le visage.

« Ah ah... j'ai bien peur que l'histoire soit plutôt banale. Des gens cherchant à profiter de personnes vulnérables... »

Malheureusement, ce genre d’occurrence avait été fréquente lors des voyages de Célia, et plus encore ces dernières semaines. La misère et l'incertitude tendait à réveiller les plus bas instincts de certains. Parfois, la paladine se demandait ce que pouvait penser Minaithnir de l'humanité devant ce spectacle. Elle avait plusieurs fois failli lui poser la question, mais le courage lui avait à chaque fois fait défaut ; elle était loin d'être certaine de vraiment vouloir entendre la réponse. Secouant la tête pour chasser ces pensées déprimantes, elle imita le geste du lancier en dirigeant son cheval vers le groupe.

« Vous pouvez également profiter de nos montures. Nous vous accompagnerons jusqu'à Basse-Branche. »

Tout en assistant les villageoises pour les mettre en selle, elle ne put s'empêcher de jeter un oeil en direction de l'homme qui leur était venu en aide. Son air décontracté, sa tenue et la façon dont il maniait son arme dénotait quelqu'un habitué à ce genre de situation. Nul doute qu'il aurait sans doute quelques histoires à raconter, mais il semblait tenir à sa vie privée, et Célia n'allait pas aller à l'encontre de ses désirs. Elle ne pouvait que se réjouir que quelqu'un de son expérience puisse lui aussi éprouver le besoin de venir en aide à des inconnues.

Le trio escorta donc tranquillement les femmes, l'homme sifflotant et racontant quelques plaisanteries pour essayer de détendre l'atmosphère. Il se tourna vers les nouveaux venus et demanda:

« Vous vous promenez souvent en armure complète? Vous allez à Ebelern, vous aussi? »

La mention de la baronnie causa quelques chuchotements parmi les femmes qui échangèrent quelques regards crispés...