Martou accorda une accolade sincère à son frère avant de tranquillement répondre d'un ton grave :
« La troupe est là pour remettre un peu d'ordre en ton pays. Il n'est pas bon de s'opposer trop fortement aux intérêts du royaume. »
En disant cela, les yeux de l'intendant se font insistant sur Alessandro.
« Je vais devoir faire des exemples et le sang va couler mais pour l'heure j'ai à t'entretenir en privé et en attendant que ma tente ne soit montée et à défaut de palais, marchons un peu veux tu. »
Une fois éloignés de toutes oreilles indiscrètes, il enchaîna :
« Cela fait quelques temps que je dois remettre de l'ordre dans tout le royaume et je n'ai décidé ce voyage qu'il y a peu.
Mais avant de te parler politique, il faut que tu saches que la vie dissolue de Dondo vient de connaître une fin tragique. »

Cette révélation faite, l'intendant observe attentivement la réaction de son frère.

1. Il faut encore quelques minutes et beaucoup d'explications pour qu'Alessandro comprenne que Dondo a trépassé.
   Les circonstances lui paraissent très suspectes et il finit par demander franchement :
   « Quelles sont tes conclusions ? Et quelle est la version officielle pour le peuple ? Doit-il y en avoir d'autre? (s)?
   Que murmure le peuple ? Et les autres ? »
   
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   Martou reconnaît bien dans ces dernières questions la perspicacité politique (qui manquait si souvent à Dondo) de son cadet.
2. « remettre de l'ordre ? », « faire des exemples ? », « ... »
   Alessandro semble soucieux « Que se passe-t-il ? », il demande prudemment « quel sang veux-tu faire couler ? »

« Dondo a triché toute sa vie et s'est fait beaucoup d'ennemis à tel point que l'un d'eux a donné sa vie lors d'un rituel de mort pour qu'il périsse.
Je n'ai pas su trouver de qui il s'agit mais de toutes manières son sort était déjà celé.
J'avais trois suspects mais ils me sont apparus bien vivants. »
Manifestement cela était encore un sujet de contrariété pour l'intendant.
Il reprit sur les questions politiques :
« Les Roknaris menacent le nord et les différentes provinces se croient autorisées à ne pas payer les impôts.
Orico ne sera pas éternel, le royaume est attaqué de toutes parts.
La situation est à deux doigts de m'échapper.
Je sais que tu t'enrichis via de la contrebande et tant que cela reste à une échelle limitée, je peux fermer les yeux mais les routes ne sont plus ni entretenues, ni sûres dans ta contrée.
Ce problème peut-être rapidement résolu en faisant quelques exemples.
Donnes moi quelques truands à pendre car il me chagrinerait de devoir m'en prendre à toi. »
Cette dernière réplique devait sûrement être de l'humour... sûrement.

1. Martou n'a pas pleinement répondu, mais son cadet comprend les priorités de son aîné.
2. Alessandro est réceptif.
   • « Combien de têtes veux-tu ? »
   • « Mes routes ?! C're blague ! J'ai 2 pov'routes prétendument commerciales qui sont gelées les 3/4 de l'année et boueuses le restant du temps. De la piste en terre soit-disant tassée. Ni pavées, ni même empierrées, impossible à entretenir .... à moins que tu ne me fournisses une armée de cantonniers, leurs soldes et tous les matériaux nécessaires pour installer quelque chose d'au moins potable. La seule voie commerciale véritablement utilisable, c'est ce fleuve sur lequel tu te balades. ». « La véritable prouesse de mes contrebandiers, c'est de pouvoir s'adapter au terrain et réussir à apporter des marchandises là ou personne d'autre n'arrive à aller. Ils sont autorisés à contourner les péages dans la mesure où ils parviennent à le faire sans être repérés. Le préjudice pour la couronne est minime : leurs cargaisons se limitent généralement à 1 sac à dos, éventuellement une mule ou deux, pas plus ... »
   • « Je sais bien que Laguardia ne te verse pas autant que ce que les registres exigent, mais je ne sais pas ce qu'avait picolé le comptable qui a estimé que cette province pouvait rapporter le montant indiqué. Je te reverse 90% de mes recettes. Je ne vois pas comment on pourrait faire plus.
     Ça ne sert à rien de pressurer une pierre, tu n'en tires que de la poussière, et encore moins de production ensuite. »
     « Laguardia est une province pauvre, pierreuse, montagneuse, impraticable, et presque complètement stérile. Il y a quelques petits élevages de chèvres malingres, un tout petit peu d'activité forestière -mais qui se cantonne à fournir en grumes ta Daroca qui en tire tous les bénéfices- et même pas assez de maraîchage pour assurer la pitance de ses habitants, »
3. « Ma baraque à Sacedón est sympa, je dis pas ... Les gens y sont plutôt civilisés ... surtout par rapport à ailleurs en Laguardia.
   J'apprécie ma place. Mais ne t'imagine pas que je roule sur l'or ... Tout ce que je possède là-bas vient de l'ancien proprio. »

« Les rapports indiquent qu'il est couramment pratiqué le détroussage des voyageurs isolés dans les auberges.
Les tenanciers de relais ont en outre pour mission d'entretenir les routes.
Je n'ai pas les moyens de fournir une armée de cantonniers mais il y a sûrement des solutions pour rendre praticable ces routes boueuses avec tous les cailloux qui poussent en ces contrés. »
Martou marqua une pose pour susciter l'attention de son frère et reprit :
« Je n'irai pas par quatre chemins, tu as beaucoup plus de sens politique que notre regretté Dondo.
J'ai besoin de reprendre la main et je suis prêt à te nommer provincar de Laguardia avec une charte avantageuse te permettant d'arrêter de jouer au chat et à la souris avec tes contrebandiers. Les Aubergistes qui seront reconnus coupable de piraterie, finiront la tête sur une pique en guise d'exemple et tu seras libre de mettre des hommes à toi dans les relais.
Les dits relais seront restaurés et doté de trois soldats/cantonnier à demeure libres de fonder une famille.
Qu'en dis tu ? Avec ces quelques mesures, crois tu qu'il soit possible de faire prospérer les routes commerciales, faire rentrer quelques deniers dans le trésor du royaume et t'assurer le train de vie que tu mérites ? »

La balade se prolongea un peu en silence, laissant à chacun le loisir de savourer leurs retrouvailles et d'envisager tous les tenants de la situation.
Alessandro n'avait pas montré un enthousiasme débordant à l'idée de devenir provincar.
90% de ses recettes : soit il gagne bien peu, soit il me pipeaute, soit il y a détournement...
« Combien as tu versé cette année ? J'ai l'impression qu'il y a un peu trop d'évaporation en route. »
Martou envisageait toutes les possibilités.
Le train de vie fastueux de Dondo pourrait-il justifier des détournements massifs ?

« Cette année ?!
Mais je ne suis en place que depuis l'hiver dernier ! » s'offusque le frangin.
« Voyons ... je n'ai pas les chiffres exacts en tête, mais je dirais .... pour la fête de la Fille, je t'ai envoyé environ 1 300 couronnes, presque 2 000 pour la fête de la Mère et 1 500 pour le jour du Fils. »

Martou joua carte sur table avec son cadet et lui lâchât l'implacable vérité des chiffres.
« Je veux bien admettre que ce territoire soit pauvre et qu'éventuellement, il soit judicieux de revoir le montant de l'impôt mais il reste que ce qui part d'ici, n'arrive pas dans le trésor du royaume.
Je sais que notre frère s'arrangeait pour avoir les moyens de sa vie festive mais il ne pouvait quand même pas dilapider des milliers de couronnes.
As tu des idées ? »

Martou n'exclut pas la possibilité qu'Alessandro puisse le balader et guette quelque chose qui pourrait le trahir (attitude, contradiction dans ses explications ou invraissamblances)

Alessandro est très surpris des chiffres annoncés par son aîné.
« Fffffiou !
Je me doutais bien qu'il était capable de se servir au passage, mais là ... ça fait vraiment beaucoup .... »
Embarrassé, il ajoute
« Je ne voudrais pas être à ta place !
Il va falloir que tu te coltines une méchante enquête pleine de chiffres et de paperasses ...
Et vu que Dondo risque d'être concerné, tu ne peux décemment pas la confier à un sous-fifre. »
Devant le regard inquisiteur de son frère, il s'empresse de secouer les mains devant lui en signe de dénégation
« nonononoonnon ! N'y pense même pas ! »
« Je ne suis pas l'homme de ta situation. »
« Désolé frangin.
Je veux bien t'aider pour des trucs ... mais des choses qui sont dans mes cordes. »
« Ton histoire de relais et de routes, par exemple .... ok .... »
« On s'accorde sur un budget, un planning, des priorités, ....
Et je m'organise pour te le mettre en place. »
« Mais ne compte pas sur moi pour m'user l'échine et les yeux sur des rapports comptables.
Surtout que, tel que je le connais, si c'est Dondo qui est l'auteur de ces fuites dans le Trésor,
il va les avoir camouflées sous des intitulés parfaitement probables ou légitimes sacrément difficiles à repérer ! »

jeudi 26 octobre 67,
l'heure du déjeuner approche
Martou et Alessandro sont au niveau de la barge d'honneur

« Si les détournements ne sont l’œuvre que de Dondo, tout devrait naturellement rentrer dans l'ordre et il ne sert à rien de pleurer sur le passé.
Je vais mettre une nouvelle organisation en place pour que ce soit des hommes à moi qui viennent chercher l'impôt et éviter ainsi tout détournements.
Dans un premier temps, je pourrais aussi faire suivre ton prochain versement en essayant que cela permette de remonter la filière.
On dit que l'or n'a pas d'odeur mais il existe un conte où un guerrier rusé reconnaît des pièces qui ont séjourné dans un chaudron grâce à une odeur d'oignons.
Nous pouvons facilement faire de même avec un peu de graisse parfumée à l'oseille. »

Martou caressa sa barbichette dans un geste machinal qui l'aidait à réfléchir.« Ces détournements massifs représentent des sommes colossales et il serait des plus utile de mettre la mains sur ce qu'il peut en rester.
Où crois tu que Dondo pouvait l'entreposer ? Au palais à Cardegoss ? »
« Passons à table si tu veux bien » dit-il en invitant Alessandro à monter sur sa barge.

Natzari dy Rinal tu ne perds rien pour attendre, je saurai te tirer les vers du nez.

« C'est toi qui le cotoyais le plus ! Et vous viviez aux mêmes endroits ...
Je ne connais pas ses cachettes .... »

Teidez tel une mouche sur de la crème arrivait justement vêtu de ses habits de prince.
Agacé, Martou ne pu éviter de le mettre dans l’embarras :
« Alessandro, je ne te présente pas notre jeune prince, si tu l'as pas reconnu de toi même, il n'aura pu se retenir de revendiquer son rang au mépris de toutes règles de sécurités.
S'il n'avait eu la chance de tomber sur un noble cœur comme toi, il eut pu se retrouver en bien faucheuse posture.
J'essaye de le former à la gestion du royaume mais il trouve cela par trop ennuyeux.
S'il est un jour au pouvoir, il s'empressera de m'évincer pour pouvoir être libre d'écouter tous les beaux parleurs qui auront vite fait de lui planter une lame dans le dos.
Peut-être faut-il que jeunesse se passe. »

C'est d'un rire franc que son cadet accueille les remarques acerbes de son aîné :
« Il est plein de fougue et d'esprit, ce petit !
Un peu jeune et trop impatient de montrer sa valeur
et plus intéressé par l'action que par la gestion ...
C'est bien naturel .... »

« Jamais Messire Dondo n'aurait permis que vous parliez de moi ainsi ! » se vexe le jeune Teidez
« Il avait du respect pour moi, lui, au moins ! »

Sensible au « Monseigneur » dont Martou le gratifie, Teidez relève le menton et gonfle perceptiblement le torse, le tout à son insu semble-t-il.
Ce changement de posture n'a pourtant pas échappé à Alessandro qui lance un coup d’œil avisé à son aîné, tout aussi perceptif que son cadet.

Le repas servi, Teidez attaque son assiette avec la voracité d'un manant affamé.

Alessandro égailla le repas d’anecdotes truculentes concernant des histoires de contrebandiers ou de chasses qui captivèrent forcément Teidez au point que Martou se demanda s'il ne serait pas judicieux de s'en débarrasser en le confiant à son frère. L'avantage incontestable étant de le garder loin de la cour.

Le voyage repris et l'intendant continua à s'occuper des affaires du royaume et organisa notamment la surveillance du sieur Natzari dy Rinal par le barde Borjovar qui reçoit la mission de découvrir ce que sont devenus les sommes détournées par Dondo.
Il a carte blanche pour se rapprocher de lui qui doit être bien en peine d'avoir perdu son protecteur...
En parallèle, Martou demande au roublard Kitron de surveiller le palais des Dy Jironal.