Herk'lachner avait été surpris de la demande. Il ne se sentait pas spécialement à sa place à un spectacle au milieu du gratin. Mais il avait compris aussi qu'un adepte de Calistria devait pouvoir se mouvoir dans tous les milieux. Il se fit une raison. et cela lui permettrait sans doute de retrouver la bande d'aventuriers avec laquelle il s'était aventuré dans le Pic du Chardon et envers qui, mais il ne se l'avouerait jamais, il s'était attaché.
Il réfléchit à comment s'habiller pour une telle occasion, secoua la tête en regardant son arbalète lourde. Il enfila tout de même son armure de cuir clouée, mais celle-ci, dorénavant enchantée par le culte de la Douce Piqure, était de belle facture. De même que la cape protectrice noire au liseré jaune, couleur de sa déesse, qui lui conférait une certaine allure. Il prit bien évidement son fouet, mais cela ne détonnerait pas, porté par un adepte de Calistria.
il se mit en route pour le spectacle, avec plus d'appréhension que la situation aurait dû engendrer. Mais l'inquisiteur se serait senti plus à l'aise à traquer une proie dans les égouts, que d'aller socialiser avec la haute société.

Fascinée par l’activité permanente de Magnimar, Chorune ne savait où donner de la tête. Accompagnée de Nakan, elle parcourait inlassablement les artères de la ville. De jour, elle passait d’échoppes en échoppes, admirant le travail des meilleurs couturiers de la région. De nuit, elle descendait dans les tavernes, retrouvant parfois ses compagnons d’aventures. Peut-être grâce à la présence de son ainé shoanti, elle n’avait pour l’instant jamais « dérapé » au point d’être soûle. Héléa disait qu’elle ne savait pas s’amuser, mais elle n’avait tout simplement pas envie de cet amusement-là à ce moment-là.
Sans se l’avouer, la compagnie de Nakan devenait de plus en plus essentielle pour Chorune. Comme un guide, ou un repère, l’adolescente mûrissait à son contact. Il lui parlait des mystères de la magie, et elle s’abreuvait de ses récits sur les Lyrune-Qua, peuple dont elle descendait mais qu’elle n’avait jamais connu. En sa présence, elle essayait parfois les tours de magie qu’elle connaissait. Et qu’elle maîtrisait de mieux en mieux au fur et à mesure de ses passages au temple de Sarenrae et des connaissances d'Héléa. L’enseignement des prêtres lui était profitable, même si ceux-ci ne la reconnaissait pas vraiment comme l’une des leurs, d’ailleurs.

La rencontre avec la famille Camovar de Magnimar fut assez décevante, mais Chorune s’y attendait. A peine les plus anciens se rappelaient du nom de Falthryr, son oncle, maintenant le chef de famille à Pointesable. Lorsqu’elle retournerait à Pointesable, elle leur signalerait son départ, mais elle se doutait que cela ne leur ferait ni chaud ni froid.

Helea grommela:

« Moi qui espérais un rendez-vous en tête à tête... me voilà servie... »

De dépit, elle se jeta sur le plateau de petit four et en enfourna quelques uns avant de déglutir bruyamment et de se tourner vers Chorune:

« Alors? Soirée en amoureux avec Nakan? Veinarde... »

Et un petit four de plus disparut dans la bouche de la prêtresse.

Finalement Nakan ne faisait pas trop habillé, dans la foule amassée pour ce spectacle. Il 'était un peu posé la question originellement, n'étant pas sûr de savoir à quel type de personnes cela s'adressait.
Et il se dit que pour l'occasion, il avait eu raison de parier sur la mode maternelle plutôt que paternelle.

Il se montra ravi de revoir Laurel et le salua amicalement, et s'il exagérait franchement en complimentant les jeunes femmes, ce que le barde leur chuchota attira autrement l'attention de Nakan.

Laurel partit, Héléa lançant ses bêtises, Nakan tourna la tête vers Chorune, pour qu'elle réponde et détrompe la prêtresse. Pendant ce temps, il alla lui aussi au buffet, pour sauver un peu de nourriture des griffes de la morfale, et en ramena pour sa cousine.

Herk'lachner arriva un peu plus détendu au théâtre. Il se recita quelques mentras sur le chemin, histoire de s'apaiser. L'inquisiteur servait Calistria ce soir, il n'était pas là pour son plaisir. Sa ferveur saurait lui montrer la voie. Ainsi lorsqu'il sentit des attention appuyé sur lui, il joua son rôle, essayant de ne pas fusiller les bourgeois du regard.
Il se montra plus content de revoir ses compagnons qu'il ne le pensait. Il essaya de refouler ce sentiment, avoir des attaches n'était pas une bonne choses. Il serra sont fouet quand le larbin vint les voir, hors de question de se séparer de celui-ci, qui était autant un objet de culte qu'une arme.
Lorsqu'ils furent seul, il sourit intérieurement de retrouver les piques d'Helea. Ne pas s'attacher, ne pas s'attacher.
Il se dirigea aussi vers le buffet, mais sans prendre d'alcool, il désirait garder el contrôle quelle que soit la situation.

« Cet endroit pue autant que les bas-fonds, autrement mais autant.
Oui, je suis toujours aussi sympathique.
Vous profitez de la grande ville ? Elle apporte son lot de pêcheurs, il y a du boulot. »

« Hey! Laissez m'en un peu! »

Helea ne quittait pas la table mais elle s'efforça de répondre à Herk:

« Oh bah, tu sais, la grande ville, c'est surtout le temple que je vois. M'entrainer, martyriser les novices, me faire martyriser en servant d'arme à un instructeur de très grande taille, la routine quoi. J'ai aussi été promu. J'sais pas pourquoi, ils doivent manquer de gens compétents...

Heureusement qu'il y a les soirées de veillées, ça permet de se divertir. On se retrouve entre disciples et on partage nos histoires de combat. J'aurais bien aimé que Laurel soit la, ça lui aurait filé du matériel...

Au fait, malheureusement, concernant Haldir, malgré toute ma bonne volonté, il est toujours vivant, ce trou du cul.

Et toi? Tu t'es bien amusé pendant tes vacances? »

Helea avait déclaré la guerre aux hors-d'oeuvre. Une guerre totale, qui ne s'achèverait que par l'annihilation d'un des deux camps.

Chorune observait discrètement les tenues des personnes nobles, influentes ou riches de Magnimar : Quelles beautés ! Elle avait envie de toucher elle-même les tulles et les dentelles, de regarder de plus près ces points de croix ou ces points d’esprit… « Tu as vu comment ce chapeau fait pour tenir sans armature ? C’est le « point de piqure » sur un tissu froncé qui fait ça » informa-t’elle Nakan. La tête de la couturière lui tournait tellement il y avait à voir. Elle prit une inspiration profonde : Il fallait qu’elle se couse une telle tenue, si elle souhaitait participer à d’autres représentations de charité un jour. Avec sa robe rouge à trois pièces d’or – déjà une fortune pour une robe – elle était loin de pouvoir rivaliser.

La beauté de la tenue n’était visiblement pas le soucis d’Héléa, remarqua-t’elle quand elle la rejoignit. Elle s’attendit à ce que Nakan démente le soupçon de liaison entre eux, mais il ne le fit pas. Cela ne le dérangeait donc pas ? Cela fit plutôt plaisir à Chorune. Elle répondit effrontément et gaiement : « Si c’était le cas, ça te regarderait ? » Elle se rapprocha de l’ensorceleur.

Les cachoteries de Laurel éveillèrent l’attention de Chorune, mais pas assez pour qu’elle ne profite pas de la représentation.

Après le passage d’un serveur, elle se retrouva avec un verre dans une main et une sorte de gaufre de potimarron dégoulinante de miel dans l’autre. Comment manger ça sans m’en mettre sur la robe ? se demanda-t’elle, en tentant d’observer Helea, visiblement à l’aise dans l’exercice. Surtout qu'il faut que je m'y mettes, si je veux avoir quelques entrées avant qu'Héléa les finisse...

« C'est qu'elle mordrait, en plus! »

Helea ricana avant d'avaler un petit four de plus.

Nakan ne connaissait à peu près rien à la couture et aux "points de piqure", mais Chorune était tellement enthousiaste, il n'osait rien dire et se contentait de hocher la tête de temps en temps.

La réponse qu'elle fit à Héléa le surprit un peu, mais tout compte fait, ce n'était pas une mauvaise réponse. Tout nier en bloc aura attisé les taquineries de la paladin de Gorum, et ce n'était pas vraiment nécessaire de subir son mauvais humour à longueur de journée. Enfin, plus que déjà.

Il tendit quelques friandises à Chorune, les tenant loin d'Héléa.
« Tiens, avant qu'elle ne dévore tout et ne nous laisse rien. »

Le moment de silence, respect aux morts, que Nakan trouva tout à l'honneur du barde. Ce n'était pas une chose plaisante, mais il trouvait honorable de rappeler le souvenir des morts à ceux qui vivaient encore. Nul doute qu'un homme comme Laurel connaissait encore mieux que Nakan l'importance de ces choses.

Nakan rit lorsqu'il réalisa que ces acteurs, et ces actrices,les représentaient eux, ceux de Pointesable. Certains rôles étaient plus faciles à reconnaître que d'autres, ainsi Héléa était une évidence. Mais il coinça légèrement avant d'identifier Herk en la personne de ce halfelin.
Il s'amusa en voyant celle qui jouait son rôle à lui et ne se retint pas de chuchoter à sa voisine de siège, Chorune.
« Je me demande quelle magie est utilisée pour les papillons. C'est remarquable.
Mais j'étais tous de même mieux habillé. »

Le spectacle, différent de ce qu'il pouvait connaître, mais des plus plaisants, le transporta dans ses souvenirs et en même temps, dans un autre monde, une autre histoire, qui se déroulait devant leurs yeux. L'inclusion d'un orchestre de musiciens était vraiment .. superbe. Oui, superbe.


Une fois fini, une fois réunis avec l'auteur de la pièce, c'était le moment de discuter, et féliciter l'homme du jour.
Nakan jeta un regard aux pièces vendues, par curiosité. N'en n'avaient-ils pas besoin pour les suivantes représentations, ou celle-ci serait unique ? Peut-être avaient-ils des pièces en double. Et puis, s'agissait-il de décors, de tenues, ou ? Il ne voyait pas bien ce qu'il pouvait y avoir d'autre.

« Très bien, merci.
Et merci de nous avoir invité, j'ai vraiment apprécié ces deux heures.
Je dois dire, Laurel, je ne m'attendais pas à cette histoire. La scène a été créée et appris en quoi, moins de trois semaines ? C'est un excellent travail, pour toi et tes acteurs.
Bravo. »

Chorune avait déjà pu admirer des troupes de saltimbanques à Pointesable, mais c’était sans commune mesure avec ce qui se déroulait sous ses yeux. Le spectacle était magnifique, magnifié par la musique, et le récit édulcoré et amélioré pour la scène de leurs exploits prit la jeune femme aux tripes.
Elle s’identifia complètement à cette héroïne bénie de Sarenrae, et remercia mentalement Laurel de n’avoir gardé que le meilleur de ce qu’elle avait pu réaliser il y avait plus d’un mois. Aux moments des combats, ses ancêtres se pressaient dans son corps comme si le danger était réel. Elle s’agrippa machinalement au bras de Nakan, craignant pour les acteurs, et éclata de rire comme le reste de la salle lors des frasques du demi-orque.

Après la représentation, dans la salle du buffet, Chorune remercia Laurel. « Merci pour cette pièce. C’était superbe. Et tu es toi-même en grande forme ! Je vais bien, oui. »

La prêtresse de Gorum avait apprécié le spectacle. Un peu trop même, quand le combat final s'acheva sur la mort du sinistre sire et qu'elle lâcha un tonitruant « Dans ta gueule, Lamashtu! », s'attirant les regards courroucés d'autres spectateurs qu'elle fit rapidement disparaître en portant sa main sur la poignée de Néaloria avec un large sourire. Cependant, un détail la chiffonnait particulièrement, elle savait que l'art était souvent une représentation imagée de ce qu'on percevait et qu'un sens caché s'y trouvait souvent. Aussi, elle avait une question à poser mais elle attendit la fin du spectacle parce que, bon, même pour elle, Héléa savait que monter sur scène en plein spectacle pour enguirlander le compositeur risquait de passer moyen.

Et ainsi, à la fin, quand Laurel vint les rejoindre, elle posa finalement sa question:

« C'était très bien. Mais t'étais obligé de prendre un homme pour me représenter? Je suis censée comprendre quoi? Hmpf! »

Et Héléa s'éloigna en grommelant pour aller regarder les articles du spectacle. L'épée de l'autre y serait peut-être... Au moins, ça l'occuperait et ça lui éviterait de tuer Laurel, pour au moins 5 minutes...