Je suis devant l’atelier de l’orfèvre. Les passants sont nombreux aujourd’hui. Les gens parlent, crient et les roues de charrette grincent sur les pavés de la rue. Une approche plus discrète est de mise. J’examine les lieux et j’aperçois la clôture qui sépare l’arrière-cour de la ruelle à côté. Une haute palissade de 2 mètres est érigée pour éloigner le regard des curieux. Plus qu’à avoir une échelle prête sous la main. Les rues sont propres, rein ne traine, rien pour me servir à escalader cette muraille. Peut-être qu’il aura une caisse abandonnée dans la prochaine rue marchande.
J’atteins la prochaine rue via la ruelle, une planche de 1,5 mètre sur le bord d’une maison retient mon attention. Je file m’en emparer et retourner dans la ruelle. Je peux certainement m’en servir comme tremplin ou comme perche. Je doute de la force de mes bras pour la perche. Le tremplin me semble la meilleure solution. Je dispose de la planche en l’appuyant sur la clôture. Je me recule de l’autre côté de la ruelle. Je m’élance, pose un pied sur la planche et agrippe le bord de la palissade pour me tirer dans la cour. Je me redresse, l’atterrissage a été douloureux. J’observe la cour rien de particulier ne retiens mon intérêt. Je me dirige vers la porte et frappe doucement.

Une fillette d'une dizaine d'années ouvre la porte.
Fronçant le nez devant le solliciteur, elle piaille : « On donne rien aux mendiants. Allez-vous-en ! »

Je regarde la petite fille.
- Je ne suis pas un mendiant, je suis un lépreux, Maître Parabrien est prévenu de ma visite. Tu n’as qu’à aller m’annoncer. J’attendrai qu’il vienne. Ne te fis pas qu’à tes yeux, ils peuvent te tromper.

Grimaçant de façon assez comique, la fillette réfléchit à ce qui de lui être dit....
Puis, elle déclare « Je vais voir ! » et claque la porte.

L’orfèvre rouvre la porte lui-même peu après.
« J'ai été averti de votre visite.
Passons donc à mon atelier... »

L'atelier donne sur la cour et l’artisan ferme soigneusement toutes les portes avant de demander à son visiteur :
« Alors, que puis-je pour vous ? »

Je fouille dans ma poche et lui tends un bout de papier.
- Tenez. Je veux la plus grande discrétion. Moins on en sait, mieux on se porte. J’aimerais que ce travail soit terminé d’ici la fin de novembre.
La feuille dans ses mains contient les sceaux des provinces de Caribastos, Salvatierra, Gudar, Thistan, Daroca et Yarrin. Les emblèmes avaient soigneusement été dessinés par moi-même.
- Quelqu’un viendra chercher ma commande à la fin du mois avec votre rémunération. Il demandera par «la commande du Lépreux». Vous serez payez pour votre service et votre silence. Ceux qui ne gardent pas leur langue, la perdent.
Il acquiesce. Je pars vers la cour et croise la petite fille de tout à l’heure. Elle joue toute seule.
- Tu n’as pas d’amis pour jouer?
- Pas aujourd’hui. Et toi?
- Moi, je n’ai jamais eu d’amis.
- C’est triste.
- Pas du tout. Un ami est quelqu’un qui est ton égal. Moi, je poursuis mon rêve. Quelqu’un qui poursuis son rêve et se tient à mes côtés serait un ami et je me tiendrai aussi à ses côtés, mais jamais nous ne devrions abandonner nos rêves.
- Des rêves. Comme quoi?
Je me rapproche de la clôture, monte sur un baril près de celle-ci.
- Ce que tu veux. Les rêves des Hommes n’ont pas de limite.
Je saute de l’autre côté et repars vers le château.

Le bureau de ma chambre croulait sous les papiers et documents en vue du festival. Les prévisions pour cette année sont fantastiques, des centaines de gens de partout vont venir. Les rumeurs d’Izokin vont se propager à grande échelle.

1er novembre 1466.

J’ai passé les quatre derniers jours à travailler sur le festival, plus précisément, j’ai supervisé la construction de l’estrade. Celle-ci sert à faire les annonces des festivités, au discours officiels et aux représentations artistiques. Aujourd’hui est le commencement du festival. Je vais dans la salle à manger, mon père et ma mère sont présents. Mon père est paniqué à l’idée de faire son discours comme à chaque année. Et comme à chaque année, ma mère est là pour le rassurer et l’encourager.
- Olgas, ne te fais pas un sang d’encre pour si peu. Je suis certaine que tu seras parfait comme chaque fois.
- Mais si je rate cette année.
- Il n’y a aucune raison que tu rates.
- Mais…
- OLGAS! Je n’ai pas épousé un trouillard de bon à rien. Alors, tu vas me faire l’obligeance ce comportement tout de suite.
Mon père se redresse comme un soldat en formation.
- Très bien.
S’il y a une chose que mon père a plus peur que les discours en public, c’est ma mère.
- Oh Hatomi! Que viens-tu faire ici?
- Je venais encourager Père, mais il semblerait que cela soit inutile.
- Tu sais très bien comment il est. Ça me rappelle notre mariage.
- Il était nerveux?
- Son cœur allait exploser. Pareil au mariage de ta sœur.
- Hatomi! Sauve-moi! Va faire ce discours!
Je me retourne vers mon père, étonné. Il me met une feuille entre les mains.
- Quoi?!?
- Tiens, voilà le discours.
- Tu cherches à te défiler.
- Il sera provincar lui aussi. Autant qu’il se pratique à faire des discours.
- D’accord, mais vous me revaudrez ça, Père.
- Tous les conseils sur comment j’ai charmé ta mère.
Ma mère lui lance un regard noir. Je lis le discours et tente d’en comprendre l’essentiel.

« Le Fils » est la divinité de la saison en cours.
Ces festivités qui célèbrent l'Automne sont un prétexte pour honorer Le Fils sur plusieurs jours (contrairement au Jour du Fils qui n'en dure qu'un seul). C'est également une vaste Fête des Moissons qui clôture les vendanges.

Rouge et Or (ou jaune vif) et brun et orange sont les couleurs du Fils, celles de l'automne, et donc les couleurs majoritaires signant ce festival. Les animaux forestiers à fourrure (écureuil, lapin, renard, ...) de même que feuilles d'arbres, fruits forestiers (champignons, châtaignes, ...) ou automnaux (pommes, poires, raisins, ...) sont les élément figuratifs couramment utilisés pour tout décorer ... les diverses bordures de cape, de col, les nappes etc ...

Les attributions du Fils concernent la chasse, ce festival devrait donc comporter des activités telles que courses, concours de tir à l'arc, ...
Mais comme il s'agit aussi d'une fête des vendanges et de l'automne, les concours de bucheronnages divers, de recettes d'automne, etc
et les foires d'artisanat local et de ventes de bestiaux y ont également toute leur place ...

- Très bien. J’enfile mon costume de cérémonie et je serai là pour l’ouverture.
Je monte à ma chambre pour me préparer. J’enfile un pantalon brun strié d'orange, des bottes noires cirées, une chemise rouge brodée d’or ainsi qu'une cape brune contourée de vignes jaunes. J’hésite sur un couvre-chef lorsque j’entends cogner à la porte.
- Qui est-ce?
J’entends une voix familière qui me répond.
- C’est Basti, Jeune Maître.
- Entre, Basti.
Le secrétaire entre dans la pièce et referme la porte derrière lui. Il reste bien droit au milieu de la pièce.
- Quel chapeau serait le plus adapté avec ma tenue, Basti?
Je commençais quelque peu à désespérer devant le choix de chapeau.
- Celui-ci serait adéquat. Large rebord et belle forme, couleur orangé qui s'accorde avec votre pantalon. Certains mettent une plume à ce type de chapeau. Peut-être remplacer la plume par une feuille d’automne pour représenter le festival.
- Merci, Basti. Je crois aussi que c’est un excellent choix.
Je remarque que Basti semble un peu agité.
- Qu’y a-t-il?
- Puis-je vous poser une question, Jeune Maître.
- Bien sûr.
- Pourquoi n’avoir rien fait durant les derniers jours? Vous auriez pu commencer à rechercher des alliés potentiels.
- Je compte faire cela durant le festival. Il est fort probable que Ser dy Sanda est reporté ma lettre. On me surveille très certainement. Ils cherchent probablement à voir ma réaction face à l’insulte envoyée.
Le visage de Basti s’éclaire.
- Vous cherchez à passer inaperçu durant le festival. Avec tout ce qui s’y passe, personne ne vous remarquera.
- Exactement. Cache un arbre en pleine forêt et des bruits qui courent dans le vacarme d’une foule.
- Brillant, Jeune Maître.
Je le regarde dans les yeux.
- Pour ce qui est de la tâche que je t’ai donné…

Le secrétaire sourit et s'incline avant de livrer ses réponses :
« Izokin me charge de vous faire savoir qu'il a trouvé un colporteur qui pourrait convenir à votre demande. »
dit-il en guettant la réaction d'Hatomi.

Ménageant ses effets il poursuit
« Et en ce qui concerne « Aubin dy Sanda » ... mes recherches sont fructueuses ... »
« d'un côté, on peut dire qu'il s'agit du 3e fils d'un baronnet de la province de Baotia ... »
« de l'autre, on peut avancer qu'il s'agit ni plus ni moins que le secrétaire particulier et précepteur du jeune Teydez dy Chalion en personne ... »

- Intéressant, j’ai de plus en plus hâte à ma visite en Valenda. Pour ce qui est de la tâche d’Izokin, j’aimerais le lieu où je peux trouver son colporteur. Maintenant, je dois me préparer pour mon discours.
Basti sort de la pièce et je finis de m’habiller avant d’aller dans la salle à manger voir mes parents. Je décide d’esquiver la salle lorsque j’entends les remontrances de ma mère depuis le couloir. Je me dirige vers la grande place pour monter sur scène et faire le discours d’ouverture à midi.
Plus que quelques minutes avant le discours, l’annonceur me fais signe de monter sur scène. Je prends une bonne inspiration avant de parler haut et Fort.
- Bienvenue habitants d’Hervas et voyageurs d’ailleurs. Bienvenue au festival de l’Automne magique. L’ambiance est à la fête pour les faveurs que le Fils nous a rendues et pour les fruits de votre labeur que vous avez récoltés. Souhaitons un hiver doux et calme pour parfaire cette belle année. Je vous souhaite une nouvelle fois un excellent festival. Je proclame, par l’autorité qui m’a été conféré par le Provincar Olgas dy Thistan, l’ouverture du festival de cette année 1466. Bonnes festivités à tous et que le Fils vous supporte.
Je quitte la scène laissant la place à l’annonceur pour qu’il explique la tenue des activités. Mon père et ma mère m’attendaient tout près.

Est-ce la foule qui est déçue de voir Hatomi au lieu du provincar en personne ou parce que le jeune homme n'a pas encore l'aisance sur scène que l'on attend de lui ? ...
Toujours est-il qu'Hatomi quitte la scène sans être applaudi.
(au moins n'est-il pas hué par la population).

Mon père me sourit.
- C’était une catastrophe, mais j’ai déjà vu pire.
Ma mère le pince à travers ses vêtements
- Tu veux dire que tu as déjà fait pire.
- Je n’aurais peut-être pas dû faire ce discours finalement.
Mon père voit le découragement sur mon visage.
- Ne dis pas ça, mon fils. Ton discours était très bien, tu as simplement manqué de «présence».
Je souris aux paroles de mon père.
- Merci de vos conseils, Père. Mon prochain discours ne pourra qu’être meilleur. Je vais maintenant aller me reposer.
Je quitte mes parents pour retourner au château. Je vais à ma chambre retirer ma cape et mon chapeau. Je m’occupe avec un peu de lecture jusqu’au soir venu. Il est temps que j’aille voir Izokin. J’enfile mon déguisement habituel et me rend à notre lieux de rendez-vous. Les rues sont pleines de gens venus pour le festival. Un groupe de musique performe sur la grande scène tandis que les personnes dans la rue exécutent des danses traditionnelles. Je me faufile à travers la foule pour atteindre les bas quartiers. Je rentre dans la taverne et vais à la table du fond. Je patiente quelque peu avant qu’Izokin vienne me voir.
- Tout de même, Vous auriez pu demander quelque chose à boire.
- Aussi bien commander le contenu d’un pot de chambre, la bière, ici, est répugnante.
- Laissons l’alcool de côté pour le moment. J’ai l’homme que vous vouliez.
- Parfait. J’aimerais son lieu de séjour. Je pourrai ainsi y envoyer la garde.

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