Nakan secoua doucement la tête.
« Je ne connais pas ces noms, je regrette. Il faudrait plutôt demander à Murmure-du-ciel ou un autre ancien, si vos ancêtres étaient de la tribu ou d'une autre.
Je suis fils de Teetonga », ajouta t-il au cas où ça aidera.

Puis, après une très courte pause, l'étranger ajouta :
« J'ai peut-être un peu mal expliqué ce que je connais du rôle du soigneur. J'aurais donné une impression exagérée. Je n'ai jamais assemblé d’attelle, par exemple, même si je connais le principe.
Tout ce que je peux vraiment faire, c'est soigner les blessures, par magie. »

Le clan des Lyrune-Quahs regroupait de nombreuses tribus. Nakan ne devait pas provenir de la même que Tamira et Istas, voilà tout. Donc, peu de chances d’être cousins, ou alors très éloignés.
« Oui, c’est bien de cela dont je parlais. Des capacités magiques de soigneurs. »

La belle regarda Lakan dans les yeux, vivement intéressée. Précédemment dans la journée, elle s’était demandé si elle disposait elle aussi des mêmes pouvoirs magiques que son arrière-grand-mère. Selon son oncle Falthryr, Tamira avait pu profiter des pouvoirs de son aïeux sans en être pervertie. Pourquoi pas elle ?
« Et vous faites ça comment ? Je veux dire... la magie... tout ça... »

« Euh .. »

Nakan ne s'attendait pas vraiment à cette question. Non, ce n'était pas qu'elle lui avait jamais été posée, mais plutôt qu'il n'avait jamais su, pour l'instant, y trouver une réponse qui le satisfasse.

« C'est .. dur à raconter. Je me concentre, encourage la magie en moi à prendre la forme que je désire, au final .. ce n'est qu'un souhait. Une manifestation d'un vœu.
Ça a toujours été en moi. Je ne sais pas comment ça peut être pour ... pour les autres.
Si j'étais privé de magie, ce serait comme si on me privait de ma vue ou de mon ouïe. Je peine à imaginer. »

Après avoir eu l'air embêté, le visage du nomade s'éclaire et il poursuit :
« En revanche j'en connais l'origine ! Ma mère, Gabriela, a formé un pacte avec une licorne. Cela a renforcé sa magie propre et par la suite, la mienne. Et mes tatouages la renforcent encore davantage. »

Ces tatouages dont il parle, qui courent sur son torse et jusqu'à ses coudes, si Chorune y avait prété attention au début, elle remarquerait qu'ils étaient subtilement différents maintenant. Ici, une ligne déplacée, là, deux petits traits de cet bleu omniprésent semblaient s'être ajoutés. Symboles géométriques et petits bonhommes, une fresque très lentement vivante. Et immobile, inchangé, mais central, le dessin d'une chouette.

La mention des tatouages renvoya Chorune sur l’admiration de ce torse nu. Pas très musclé, mais si viril.
« Heu... oui... c’est beau... et... heu, je veux dire, c'est chouette... enfin, ce n'est pas parce qu'il y a une chouette... Pardon, hum, une licorne, c’est bien... » Chorune avait machinalement approché sa main des lignes bleus, comme pour en suivre le tracé.
Un éclair traversa son cerveau. Un sentiment mêlant rage et déception. Aussi, une infinie félicité. Dans un flash lumineux, elle vit le démon en elle, le visage déformé par la souffrance. Légèrement hébétée, elle retira sa main promptement, comme si elle avait été brulée.

Gênée de ses propres réactions, Chorune ne savait quoi dire. « Désolée... »
Mais tout était clair. Lakan avait été envoyé par les dieux pour la rencontrer. Pour l’aider à combattre son ancêtre démoniaque.

« Désolée ? Pourquoi ? »

La jeune fille en face de lui paraissait blessée par quelque chose. Comme lorsqu'un contact entre deux personnes provoquait un choc, mais Nakan n'avait rien ressenti.
Chorune paraissait ... gênée.
Il fallait lui changer les idées, l'émerveiller. En tout cas, Nakan se dit que ça ne ferait pas de mal.

« Je peux te faire voir un peu de magie, si tu veux », proposa le shoanti d'un air doux, tout en se mettant à tutoyer sa vis-à-vis.

Se concentrant sur sa magie, il retrouva et "tira" mentalement sur un fil de ses tatouages. Étrangement, le dessin de chouette se mit à gonfler et se remplir entièrement d'encre, formant rapidement une chouette complète qui se détacha de Nakan. Le rapace, étrangement bleu, comme les tatouages dont il était issu, fait pivoter son cou pour mieux observer les alentours. Ce n'était pas la forêt à laquelle le mâle était habitué. Pas beaucoup de rongeurs visibles dans ce lieu fermé.

« Chorune, je te présente Miashan. Mon familier. »

Bien sûr, Chorune avait déjà vu de la magie, et de nombreuses fois. Cependant, elle ouvrit des yeux ronds face à cette démonstration. D’abord, pour essayer de comprendre comment la magie fonctionnait. Ensuite, parce qu’elle n’avait jamais vu un animal sortant du torse d’un magicien.
« Salut, toi. T’es mignon, Miashan. »

« Attends, je vais essayer » répondit-elle à Nakan, sans même s’apercevoir qu’elle aussi était passée au tutoiement. Il fallait que Chorune s’essaye à la magie. Elle sentait que c’était le moment. La blonde inexpérimentée tendit les mains devant elle, ferma les yeux, renversa légèrement sa tête en arrière, et se concentra. Fit une prière silencieuse à Sarenrae, sans succès. Elle en appela à son grand-père, Salfon Camovar, sans plus de résultat.
Elle relâcha sa pression. Peut-être n’avait-elle aucun pouvoir magique. Ou peut-être s’y prenait-elle mal. « On... on peut faire quoi, par magie ? » En fait, elle savait que les différents magiciens et prêtres ne lançaient pas forcément les mêmes sortilèges. Peut-être qu’elle n’avait pas encore trouvé sa voie.
Subitement, elle eut peur. Si la source de son supposé pouvoir provenait d’un être démoniaque, et non d'une licorne comme Nakan, avait-elle vraiment envie de savoir quelle était sa voie ? « Ce pacte avec une licorne, c'est bien » en conclut-elle.

La chouette hulula en réponse au compliment de Chorune, avant de s'envoler d'un bond sur une autre table, à la recherche de quelque chose.

« Il part chasser », commenta Nakan. Il observa silencieusement les efforts de la blonde face à lui, gagné par la curiosité. Mais non, aucune magie n'apparut. C'était peut-être pour le mieux. Le shoanti n'avait guère envie de finir avec du feu au visage.

« Ce que la magie peut-être ? Plein de choses, et je n'en maitrise qu'une toute petite partie.
Par exemple je pourrais, si je voulais », dit-il en pointant du doigt une chope avant de prononcer un mot de pouvoir, « colorer ce récipient en vert », ce qu'il venait donc de faire.
« Faire apparaître des lumières, créer une couche glissante sur le sol, soigner les blessures, murmurer un message à des gens éloignés pour pouvoir communiquer pendant une moitié d'heure sans être entendu par sa proie, créer des boules de lumières qui frappent le cerf qui s'enfuit, ce ne sont que des exemples de ce que la magie permet. À chacun sa magie, à chacun sa manière de l'utiliser. »

Ce qu'il garda pour lui, c'était que la plupart des gens n'étaient pas capables de se servir de magie. Même les bardes capable de mettre ou les magiciens récitateurs de formules étaient formés par un entraînement qui ne pouvait être suivi par n'importe qui. Chorune avait l'air contente et intéressée, inutile de doucher ses espoirs tout de suite. On ne savait jamais.

« Ho ! » fit Chorune, surprise, en voyant la chope changer de couleur sur la simple évocation de Nakan.

Chorune soupira. Tout cela ne lui apprenait rien sur la façon dont elle devait appréhender la magie, ni même si elle pouvait ou non disposer des même pouvoirs que son arrière-grand-mère.
Une autre fois
« Ce n’est pas encore le jour où je trouverai ma manière de l’utiliser, on dirait » conclut-elle. « Si je dois en avoir une, bien sûr. »
« Utiliser la magie pour soigner, par exemple, c’est très bien. »
Il restait de cette soirée une discussion agréable avec un jeune homme, d’origine Shoanti, du même clan qu’elle, qui avait parcouru toutes ces lieues à la demande des dieux. « Un autre verre de vin ? »

« Des fois, on a besoin de se laisser un peu de temps », voulut aider Nakan. Qui accepta gracieusement le verre de vin.
« Comment vis-tu, ici ? Tu as de la famille au village ? »

Chorune accepta le changement de conversation.
« J’habite avec ma mère dans notre ferme, un peu à l’extérieur de Pointesable, mais toute la famille du côté de ma mère habite dans le village. Mon grand-père faisait partie des premiers colons. Mon cousin, Vic, est dans la garde. »
La blonde sirota son verre de vin. « Je suis aussi couturière. La vie n'est pas facile dans les champs, alors en plus, quand il y a des gobelins qui viennent embêter... Là, je suis obligée de rester au village avec ma mère, c'est trop dangereux de rester seules dans la campagne. »

« Je vois .. je vous souhaite, à ta mère et toi, de retrouver vos champs intacts.
Et donc comme tu avais marre de coudre en attendant que les gobelins repartent, tu as pris l'épée et décidé d'éliminer ceux qui approchaient trop près de la ville ? »

Nakan savait que ce n'était pas vraiment ainsi que les choses s'étaient passées, mais il souhaitait entendre la version de Chorune.

« Pffff. » Chorune ouvrit des yeux ronds. « Ben... ch’sais pas comment je me suis retrouvée là-dedans. C’était le moment du lâcher de machaons, et j’avais arme et armure, comme toute la famille quand il y a des fêtes. Ca, ça me vient de mon grand-père, Salfon Camovar, qui était général à Korsova. Alors, quand il y a eu des cris, j’y suis allé. C’est tout. Il y avait aussi Laurel, Mérisiel, Héléa... »
Chorune se gratta la tête. D’autres avaient tendance à enjoliver tout cela, alors que finalement, cette histoire était plutôt simple. « Après, la maire nous a demandé de rester en ville, pour rassurer les gens. On a aussi retrouvé des gobelins qui tentaient de creuser un sous-terrain pour une nouvelle attaque, on a détruit un mini-démon qui énervait tout le monde dans un temple sous la porcherie... » La blonde fit un moulinet du poignet, comme pour indiquer que tout cela n’était finalement pas des exploits en soi. « D'ailleurs, j'ai fini blessée, complètement dans le cirage, de ce combat, alors... » Le ton employé pour cette dernière phrase semblait vouloir indiquer que c'était bien la preuve qu'elle n'avait pas fait grand chose d'extraordinaire.

« Un démon ? » répéta Nakan, étonné de n'avoir pas entendu parler de ça plus tôt.
« Je .. d'accord ... et tu as été soignée, ou tu es encore blessée ? Pas d'infections j'espère ?

C'était la première fois que tu te battais ?
Je n'aime pas trop Korvosa. Magrimar est bien plus agréable, d'après moi.
Ton grand-père a bien eu raison de partir. Sablepointe est plus sympathique qu'aucune des deux cités. »

« Non… Heu… enfin… oui, contre des gobelins, c’était la première fois » mentit Chorune à moitié. Pas la peine d'expliquer comment elle avait rossé trois garçons s'en prenant à elle quelques mois plus tôt. « Et puis, le démon, il était tout petit » expliqua-t’elle, en mimant une forme d’environ cinquante centimètres de haut. C’était l’excuse qu’elle avait fourni à sa mère. Ca ne l’avait pas vraiment rassurée, mais elle la resservait quand même.

« Je ne connais ni Korsova, ni Magnimar » soupira Chorune. L’envie de voyager la prenait parfois, même si sa condition de paysanne l’obligeait à rester proche de sa ferme.