Héléa observa tout ce manège avec un manque d'intérêt total. Son père lui avait laissé une lettre, lui expliquant la raison de son absence et ses consignes succinctes quand à l'attitude qu'elle devait tenir, et il fallait dire qu'elle n'était pas à l'aise avec ça. S'amuser et se détendre ne faisaient partie ni de ses priorités ni de ses habitudes et se retrouver dans une ville en fête ne pouvait la ramener qu'à une chose: sa différence avec les gens du commun.

Mais au moins, il lui avait laissé une bourse bien remplie et elle n'avait plus qu'à se trouver une belle auberge, avec une cave bien fournie et, pourquoi pas, un peu de compagnie pour égayer ses nuits.

S'arrêtant à coté d'un groupe de femmes, elle leur demanda:

« Bonjour, pourriez-vous m'indiquer une bonne auberge, s'il vous plait? »

« D'accord, merci bien. »

Abandonnant les dindes à leurs gloussements, Héléa se dirigea donc vers le Dragon Rouillé. L'humeur festive autour d'elle ne l'apaisait pas vraiment, elle se questionnait toujours sur les raisons de son père de la laisser seule... Attendait-il vraiment d'elle qu'elle s'amuse? Souhaitait-il qu'elle reprenne sa vie d'avant? Qu'elle parte de son coté? Tant de questions et tant de réponses potentielles...

Héléa observa la jeune femme avant de reporter son attention sur la grande salle, en répondant:

« Je viens pour le gîte et le couvert. Une belle chambre bien douillette, de bons repas et du bon vin. Surtout, du bon vin. »

« Non, rien à raconter. Rien qui ne vous intéresserait en tout cas. »

La prêtresse sortit 6 pièces d'argent de sa bourse et les déposa sur la table. Oh, ça, elle en avait des choses à raconter... Mais elle ne tenait pas vraiment à faire fuir la tenancière...

« Deuxième réponse »

Héléa continuait à manger mais se doutant que la tenancière ne la lâcherait pas tant qu'elle n'aurait pas quelque chose à se mettre sous la dent, elle s'expliqua:

« Je suis venue pour me détendre à Pointesable, j'ignorais qu'il y aurait un festival. Je ne sais pas encore combien de temps je vais rester, j'attends que mon père revienne, en fait. Vous avez une liste des endroits à éviter dans le coin? »

« Merci bien. Non, ça devrait aller... Encore que... »

La jeune femme eut un léger sourire:

« Si vous entendez parler de choses intéressantes qui sortent de l'ordinaire, faites-moi signe, d'accord? Et j'espère que la présence de mon chien ne posera pas problème. »

Elle fit glisser une pièce d'argent de plus sur la table vers la tenancière, en jetant un oeil vers la teigne qui venait de faire son entrée avec des clients. Poils court, une oreille manquante et quelques cicatrices, le molosse observa la scène avant de se diriger vers sa maîtresse la langue pendante. Celle-ci le caressa affectueusement derrière son oreille restante et lui fit glisser les os de son poulet qu'il entreprit de mâchonner, le claquement des os dans sa gueule ayant un petit air sinistre...

« On verra... Je ne vous raconterai que quand je jugerai l'histoire suffisamment... propice à une écoute de votre part. Pour peu que ce soit une chasse au poulet, je doute que ça vous intéresse, non?

Alors, vous avez quelque chose pour moi? »

Héléa rempocha la pièce et observa son interlocutrice avec curiosité.

« Merci bien. Bonne journée à vous. »

Héléa remercia l'aubergiste et acheva son repas, seule, réfléchissant à ces histoires. Elle irait jeter un oeil à l'île au nord de la ville, ça ne coutait rien de vérifier et puis, ça la promènerait si rien ne venait à se montrer...

Prenant une moue dégoûtée par le rôt, Héléa observa le triste sire avec hésitation. Devait-elle écraser son poing dans le visage de l'homme? Le laisser parler? Partir sans rien dire? Un regard vers la Teigne montra que le chien grognait à l'approche de l'homme, aussi la jeune femme fit la seule chose qui lui sembla correcte avec un large sourire:

« Oui, mais pas la votre. Alors si vous pouviez débarrasser le plancher, je vous en serai gré. Et je vous en prie, ne me forcez pas à vous faire déguerpir. J'y prendrais bien trop de plaisir... »

Le ton était amical et serein. La main d'Héléa s'était refermée sur le pied de la table, prête qu'elle était à la soulever légèrement pour faire basculer l'homme en équilibre instable, si il avait le malheur de faire quelque chose qui lui déplairait.

Et il en fallait peu pour déplaire à Héléa...

C'en était trop. Héléa savait être patiente, enfin pas tant que ça mais là, l'homme l'insupportait. Attrapant le poignet au vol, Héléa parla d'une voix ferme:

« Ôte ta sale patte de sac à vin aviné de mon visage. »

La poigne du gantelet se fit plus pressante sur l 'articulation tandis qu'elle continuait en haussant le ton

« Je suis Héléa Parthenios, vindicatrice de Gorum, et tu oses me faire des avances? Misérable chancre abject qui aurait du sécher sur la cuisse de ta catin de mère. Comment oses-tu? »

La jeune femme tira sur le poignet pendant que son autre poing, fermé, se dirigea vers la mâchoire de l'homme.