Tandis que Ju commençait péniblement à rouvrir les yeux et à se remettre de ses émotions, l'état de choc de Brandon risquait de ne pas aller mieux dans l'immédiat puisque aucune voix mentalo-végétale ne résonna dans sa tête : En effet, et sans mauvais jeu de mots, l'Edonia restait aussi vive qu'une ordinaire plante en pot. Contrairement à Madame M. qui, après avoir retrouvé l'usage de ses sens, ne tarda guère à réagir en considérant à la fois l'état vaseux de tous ses élèves ainsi que celui globalement bordélique de la salle de classe.

« Quelque soit le coupable, vous pouvez le remercier de vous avoir empêché de goûter à un plat d'exception.
Le cours de cuisine est... annulé, mais ce n'est pas pour ça qu'on ne va pas mettre la main à la pâte pour autant : On s'y mettant tous, cette salle sera nickel en moins de deux.
Prenez des gants pour les bouts de sckrukük, on ne sait jamais ! »

Malgré quelques réticences, le nettoyage commença après que la prof eut montré soi-même l'exemple.

« elohel. »

Zelda lâcha un simple mot au vu de la baguette, digne d'un épisode de Gigi, avant de simplement la ranger de nouveau dans son sac. C'est que ce genre de gadget allait de bon aloi chez une fillette de 5 ans mais, spoiler alert, Zelda avait 5 ans depuis plus de 11 ans désormais et ça risquait de nuire à sa réputation...

Bon, c'est vrai que sa réputation laissait à désirer mais...

Bon, sa non réputation.

Le petit robot chien le plus mignon de l'univers qui était maintenant sans papattes ? Ça représentait quelque chose de clairement terrifiant pour Aleethëa. Et surtout, pour elle qui avait partagé un moment le corps de Poll-I, elle était capable d'imaginer l'horreur que cela pouvait représenter pour son compagnon artificiel. Aussi, voulant éviter à Poll-I de vivre ainsi, Alee fit le choix empathique de ne pas le redémarrer immédiatement. Après tout, la majorité de ses systèmes n'étant pas endommagés, ça ne représentait pas non plus un cas de conscience vraiment difficile. En attendant, elle trimballait donc le corps inanimé et diminué du petit robot avec elle, le temps de trouver où le stocker.

De son côté, Zelda avait fait une découverte carrément chouette. En tout cas du point de vue de l'IA qui avait admiré un temps la baguette de sa camarade, des étoiles dans les capteurs infrarouges. Et même que, comme à son habitude, elle avait fait partager son ressenti à qui se trouvait à portée sonore. C'est-à-dire un rayon de bien 10 mètres.

« He mais c'est super classe ! Non ? »

Faut dire qu'elle avait encore parfois du mal à décider rapidement de ce qui était Cool ou non sur Terre. Elle avait beau avoir accumulé moult données sur le sujet histoire de nourrir son processus de décision, restait qu'il lui faudrait encore probablement pas mal de temps et beaucoup plus de données avant de ne plus faire d'erreur. Sans compter que les humains eux-mêmes ne semblaient pas être d'accords sur le sujet. Par exemple, elle avait fini par comprendre que ce que Zelda, en tant que première humaine rencontrée, lui avait présenté comme cool, ne faisait pas forcément l'unanimité.

Mais bon hein fallait pas déconner, son expérience de la culture terrienne avait beau avoir été relativement limitée aux centres d'intérêt de son hôte, pour le coup là elle était à peu près sûre de pas se tromper. Genre au moins à 60% sûre. Et il aurait été dommage de louper l'occasion de dire quelque chose avec une probabilité de vrai positif aussi forte :

« Mais attends ça veut dire que t'es une magical girl non ? C'est trop bien ! »

Puis, comme si un événement qui paraissait aussi majeur à Aleethëa il y a deux secondes était déjà oublié, cette dernière ajouta à l'attention de la lycéenne :

« Ah tiens au fait tu peux mettre Poll-I dans ton sac ? L'est cassé. »

La deuxième partie de la requête se voulait purement informative mais elle devait probablement surtout passer pour rassurante auprès de la lycéenne quant à sa tranquillité espérée.

« Nononononon, je ne suis pas Gigi ni autre Sakura. J'suis Griselda Caine! Ah ah. Tais-toi. »

Zelda observa Alee en mode "si tu causes, je te branche en série sur un grille-pain" avant d'attraper Poll-I:

« Pas d'problème, je vais le garder avec moi. »

Très gênée par sa métamorphose involontaire, mais heureuse que personne ne semble l'avoir remarqué, Ju se dépécha donc de récupérer ses armes et de faire semblant de ranger comme tous les autres étudiants, se permettant même de relever une table dans l'espoir de partir plus vite.

Brandon était toujours choqué par l’explosion, et son effet sur l’Edonia. Il se dirigea vers la professeur, pour lui signaler à voix basse le décès de la plante qu’il tenait à bout de bras tremblant. « Madame M. ... Je ... Ben la plante est morte, tuée dans l’explosion. Il ne reste plus que cela. »
Il n’attendait qu’une chose : Qu’on le libère de ce fardeau trop lourd à porter. C’est que tout cela était triste. On a beau être un beau gosse, on peut avoir un coeur, quand même.

« Alors jetez-là, qu'est-ce vous voulez que je vous dise ? » répondit Madame M. à Brandon sans même lever son visage à cause d'un reste d'acide de Sckrukük récalcitrant. C'était cruel mais c'était ainsi, la prof n'ayant apparemment le pouvoir de ressusciter les choses ou les gens. Ainsi va le cycle de la vie extraterrestre, où les vaisseaux se font shooter par des êtres tentaculaires avant de se faire charmer une Edonia qui se fera souffler ses pétales à la moindre explosion d'origine inconnue. La boucle est bouclée.
Mais assez philosophé, passons aux choses concrètes.

Dans la salle de cours, ou plutôt l'ex-salle de cours, la plupart s'activaient à tout nettoyer, bien que la motivation consacrée à cette tâche était à géométrie variable selon les personnes. A titre d'exemple purement pris au hasard, celle de Zelda, Alee et même Ju-en-mode-masculin dans une moindre mesure se révélait si peu visible que la prof, pourtant très occupée, avait fini par s'en apercevoir.

« Allez fini de rêvasser, cette salle ne va pas se nettoyer toute seule et il y a encore du pain sur la planche ! »

En effet, il y avait encore à faire entre les tables renversées, les éclats de vitre à ramasser, et les morceaux de poisson alien empestant la pièce. De son côté, Brandon commençait à finalement se résoudre à s'approcher de la poubelle. Il n'y avait que cinq pas à faire et pourtant, ceux-ci devaient faire parti des plus lourds de sa jeune vie : Un...deux...tro..deux et demi...trois...

« Let's rock! »

Zelda attrapa une des tables puis commença à vouloir la redresser. Une fois sa tâche accomplie, elle commencerait à ramasser les objets épars alentours dans un état encore utilisable pour les mettre dessus et laisser les gens faire le tri sans se baisser.

« Oh my god ! » (*) s’exclama Brandon. Quelle ne fut pas la surprise du jeune homme lorsque, vers la fin de sa marche funèbre vers la poubelle, décider à inhumer symboliquement la petite plante, il entendit la voix tant attendue de l’Edonia résonner dans sa tête.
Le cœur chamboulé, allant du haut vers le bas puis remontant bien plus haut, il prit conscience de l’énorme erreur qu’il était sur le point de commettre : Il allait enterrer vivante une plante dans la poubelle ! Remarquez qu'enterrer les graines des plantes, ça les fait pousser. Enterrer une plante, ça n'a rien de la connotation définitive et mortuaire que l'on donne quand on enterre un être humain. Mais Brandon, ému, ne réfléchissait pas à ça à ce moment-là.
Faisant trois pas de recul pour s'éloigner de la poubelle-tombe, il s’adressa à l’Edonia mentalement : « Ils se foutent tous de toi, ici. La prof comme les autres. Je vais m’occuper de toi, il ne t’arrivera plus rien. Et pour ta tête, ça va repousser, non ? » Brandon, pour la première fois de sa vie, prenait une responsabilité pour quelqu’un d’autres. Il en eu une larme à l'oeil. Venait-il de devenir, lors de cet évènement, plus "adulte" ?

Le beau gosse leva la tête pour chercher un endroit où poser la fleur, le temps de prendre ses affaires pour s’éclipser et éviter la corvée de nettoyage. S'il se faisait prendre par la professeur en flagrant délit de fuite, il prétexterait devoir jeter la plante ailleurs que dans la poubelle.
C’est là, "sa" plante dans les mains, la tête relevée pour chercher de droite et de gauche un lieu sans danger, qu’il remarqua la concurrence. Un autre beau gosse était présent dans la classe. Blond, yeux bleus... S’il n’y avait pas cette petite apparence féline, on aurait pu croire que c’était lui. D’où il vient, çui-là ? C’est qui ? « Heu... Ju ? »

(*) Note du Talentueux Traducteur : in ingliche in ze texte.

Aleethëa regarda Zelda un moment. La fixa même de l'ensemble de ses capteurs visuels. Ce qui ne renvoyait finalement que peu d'informations à son interlocutrice quant aux réactions de l'IA. Ce qui permettait alors à Alee de pouvoir agir en toute subtilité si besoin. Subtilité généralement complètement détruite puis piétinée par son hologramme quin luin retranscrivait l'ensemble des émotions artificielles de l'araignée avec une rapidité encore plus forte que celle d'un organique. Et le "visage" de l'hologramme justement passa par plusieurs états émotionnels : surprise de la réaction de l'humaine puis sourire quand elle se dit que ça ne devait être qu'une blague puis re-surprise parce que quand même pourquoi elle réagissait comme ça et enfin effroi vu qu'elle faisait un poil flipper là en la regardant de cette façon. Et si d'autres auraient sans doute préféré répondre à un regard aussi menaçant par un autre regard tout aussi menaçant pour se lancer dans un duel autant intense qu'aux conséquences imprévisibles, ça n'était pas là le genre d'Aleethëa. Aussi choisit-elle plutôt une autre façon de mettre fin au conflit :

« Oki ! »

Après quoi elle assista les autres élèves pour ranger la salle. Ou en tout cas essaya. C'est qu'elle n'était pas la mieux bâtie (littéralement) pour ce genre de tâches. Aussi tenta-t-elle autant que possible d'user de ses capacités télékinétiques pour relever, ramasser et ranger ce qui était suffisamment léger pour qu'elle puisse le soulever. Avec beaucoup d'entrain donc mais peu de résultats.

Ju, de son côté, se contentait de ranger, de façon nettement plus assidus depuis l’éclat de la prof, dans la plus pur tradition de « je-ne-vois-pas-de-quoi-vous-parlez-mais-en-tout-cas-ça-ne-me-concerne-pas. »

Sous l’œil attentif de la prof, la salle se rangea lentement mais surement. Ce fut long, ce fut chiant, ce fut douloureux pour certains à cause des résidus d'acide, mais ce fut fait, et ce fut donc qu'avec à peine quinze minutes de retard par rapport à l'heure de sortie habituelle que toute la classe put enfin sortir du lycée afin de vaquer aux occupations de leur choix. Yeah !

Brandon, sa fleur vacillante dans les mains, paniquait un peu. Comment ça se soigne, ça, une plante ? Il n’en avait aucune idée. Et ça ne s’apprenait pas dans les vieux films ou dans les jeux vidéos, ce truc.
Il chercha parmi ses connaissances laquelle saurait s’occuper d’une fleur en danger de mort, et s’orienta vers Alison. Cette fille était une connaissance plus qu’une amie. Bosseuse, elle ne faisait pas partie de la bande des filles les plus cools du lycée, ni des plus jolies, et n’avait jamais été vraiment dans le radar de Brandon. Elle avait été dans sa classe pendant deux ans, c’était tout. Mais il lui semblait qu’elle s’occupait d’un potager familial, c’était ça l’essentiel. L’Edonia était une plante donnant des fruits, ça ne pouvait donc pas mieux tomber !

Brandon trouva l’adresse dans le bottin du Lycée, puis franchit presque au pas de course les trois rues et deux avenues le séparant de sa maison. In extremis, il ravala sa fébrilité et sa nervosité avant de sonner, arborant son plus beau sourire. Après avoir appuyé, il lui vint à l’esprit que si Brandon avait besoin d’Alison à l’instant, l’inverse n’était certainement pas vrai. Bref, ça ressemblait pas mal à une catastrophe à venir, cette rencontre.

« Libre! Enfin libre! Bon, go chez Cupcake & Cie! Aleeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee, tu veux venir ou pas? »

Zelda cherchait du regard l'IAttachiante, histoire de savoir si elle souhaitait venir entendre les potins du moment avec elle et Mel.

Aleethëa termina son rangement avec la satisfaction du devoir accompli. Celui des autres surtout, étant donné que sa participation avait été plutôt minime. Pour rester poli. Mais ça n'était par manque de motivation puisque l'IA n'avait pas hésité à mettre la patte à la pâte, participant comme elle pouvait et surtout encourageant, selon elle, ses camarades. C'est-à-dire essentiellement en sifflotant des ritournelles sensées motiver les autres lycéens et en poussant les tires-au-flanc à participer. Du coup, c'était presque avec tristesse pour elle que sonna la fin du cours. Tristesse qui passa aussi rapidement lorsque Zelda lui proposa de l'accompagner !

« Mais. Car. ré. MENT ! »

Et ça n'était évidemment pas la perspective de manger des cupcakes qui la mettait spécialement en joie vu que, sur ce sujet, elle allait devoir se contenter de regarder. Mais elle avait néanmoins quelque chose de prévu avant de pouvoir se laisser aller au plaisir simple de partager des ragots.

« Ah mais attends avant il faut juste que je commande du Décoll'plus ! J'me dépêche ! »

Et Aleethëa de se précipiter vers la salle informatique histoire de choper une connexion internet.

Ni une ni deux, le beau gosse était bien décidé d'aller affronter Alison dans le cadre de l'opération jardinage extraterrestre d'urgence dans le but de sauver une belle plante. Quel héros des temps modernes, ce Brandon, pas étonnant qu'il ait du succès au lycée.
Le chevalier de l'an 2000 s’était alors dirigé vers le parking de l'école afin d'enfourcher sa fidèle monture mécanique et voler, enfin, rouler vers son destin.
Mais, horreur et damnation, il découvrit avec stupeur que tous les deux-roues du parking avaient été transformé en mini-bus sans permis au design des plus ridicules...à l'exception de son cher scooter, qui avait néanmoins subi un sort peu enviable lui aussi puisque la partie avant avait été littéralement encastrée dans un mur. Un exemple d'art contemporain qu'allait certainement pas plaire à Brandon le chevalier des fleurs.

Loin de tous ces drames mécaniques, Alee -puis les pattes de Poll-I- à la recherche d'un ordinateur. D'ordinaire il y en avait dans la salle de tech, mais, sans doute à cause du cours "sponsorisé" de Mr.Alltek, ils avaient été remisé pour l'occasion (surement pour éviter que les victim...élèves, n'aient leur attention rivée ailleurs durant sa splendide démonstration) . Pas grave, étant donné que la G2 se souvenait avoir vu des PC connectés dans la bibliothèque du lycée, haut lieu d'étude pour les intellos... et repaire de silence par excellence, où le caractère bavard de l'IA allait être mis à rude épreuve.
Les étudiants préférant souvent se détendre plutôt que de jouer les prolongations en révisant, l'endroit était souvent désert et ALTA n'eut de ce fait aucun mal à trouver un terminal dernier cri avec résolution 640x480 et accès internet 56k.
Terrien.
Ah.
Mais cela ne pourrait arrêter une G2 aussi douée qu'Alee, n'est-ce pas ?

Zelda allait-elle attendre sa comparse atachiante ? Ou bien profiterait-elle de son départ pour promptement rejoindre Mel dans le plus grand des calmes ?
Ju, elle, ou plutôt "lui" depuis l'accident en cours de cuisine, n'était en proie à aucun dilemme moral et pouvait donc faire ce qu'il "lui" plaisait.