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Rien de notable ne se passa, passée la petite sauterie de Dondo. Un bref passage au bateau d'Udezhies, le temps de se débarrasser de cet horrible pourpoint un poil mal ajusté, de retrouver ses vieilles fripes et son... matériel de travail, suivi d'un retour aux appartements alloués à Ser Payo... La journée de demain allait être très certainement riche en découvertes diverses et variées...


C'est aux premières lueurs de l'aube que Javier se dirigea vers la boulangerie de la veille, cape rabattue pour lutter contre la fraîcheur matinale de ce mois de mars...
Empruntant quelques détours via certaines ruelles biscornues, il marchait d'un pas assuré, tel un citadin cardegossien au fait de sa destination.

Javier gratifia la vendeuse d'un sourire, et traversa la salle d'un pas décidé. Il poussa la porte d'une légère pression de sa main, et chercha des yeux le patron en question.

Javier l'observe fugacement et cherche dans ses souvenirs s'il lui rappelle quelqu'un...

« Mes hommages, messire. Javier, pour éventuellement vous servir. »
« Très belle enseigne, au passant. Mais sa couleur m'intrigue... Etes-vous tombé à court d'indigo pendant son élaboration, ou bien la maison a-t-elle connu une malheureuse scission ces dernières années ? »
« La nouvelle venue de concurrents trop ambitieux ou l'apparition de nouveaux marchés peut parfois provoquer de si regrettables choses... »


« Bref, l'on m'a fait comprendre que la maison chercherait quelqu'un de doué avec ses mains. Tout dépend de la tâche, mais... peut-être pourrais-je vous apporter mon aide ? »

Haussant un sourcil, tout en plissant exagérément un œil, Javier répliqua.

« Toujours mieux de rester en vie... Il y a des moment où cela dépend, j'aimerais dire. »
Je connais bien certains rameurs qui auraient un avis bien tranché sur la chose...

« Avant de continuer de parler travail... je ne vous apprend rien en vous dévoilant que j'accompagne en ce moment un personnage très friand de spécialités chalionaises. »
« La moitié de Cardegoss doit déjà être au courant de sa présence au sein de la capitale... »

« Il se trouve que j'ai eu vent de l'existence de petits fours et de biscuits... savamment "épicés", très en vogue dans les soirées données par sieur Dondo dy Jironal. »
« J'aimerais m'approcher du confectionneur ou du pourvoyeur de ces fabuleuses épices. »

« Si tant est que cela ne porte pas préjudice à votre maison. »

« Le Maître des Divertissements connaît et applique les méthodes qui ont prouvé leur efficacité depuis toujours. »

« C'est bien ce que j'ai cru comprendre en arrivant ici. Un orteil piétiné équivaudra à un pied aplati en retour... »
« Je lui conseillerai de porter des bottes de velours lorsque cela s'avèrera être nécessaire. »

Javier continua, d'un air entendu.
« La Maison s'occupe donc de tout ce qui se rapporte à l'organisation de ces soirées ? »
« Etonnant, au vu de la concurrence féroce qui a toujours régné entre… boulangers à Cardegoss. »
« Comment ce rôle de fournisseur officiel a-t-il été obtenu ? Pas de concurrent trop présomptueux qui se met en travers de cette route du pain d'épices ? »

Javier grommela, son visage assombri par une mimique de désapprobation.

« Une situation qui m'a tout l'air d'être désastreuse pour la confrérie boulangère toute entière. »

« Mobiliser tout son petit personnel pour répondre aux fantaisies d'un client tyrannique et de son escroc de fournisseur... »
« Les miettes laissées au sol ne doivent pas être bien grosses… A se demander comment tout le monde se débrouille pour subsister. »

Il s'accouda à la table, fixant l'artisan dans les yeux.

« Vous savez ce dont la communauté aurait besoin ? »

« Elle aurait besoin d'un négociateur prêt à parler sérieusement avec ce fournisseur. Quitte à le faire comprendre de force que ses méthodes ne sont pas acceptables. »

« Un négociateur indépendant, non impliqué dans les affaires de la boulangerie cardegossienne de ces dernières années. »
« Un négociateur qui comprenne le besoin de vivre du petit peuple qui se démène ici bas. »
« Un négociateur qui comprenne les risques qu'il prend en commençant à s'attaquer à la racine du problème qui gangrène les locaux. »

« Un négociateur comme moi. »
« Mais encore faudrait-il que ce négociateur sache où trouver les individus responsables de cette flambée des prix de la farine, et à qui s'adresser pour trouver d'éventuels alliés pouvant discrètement le soutenir dans son effort. »

« Tout ceci, dans le respect des intérêts de la Maison, bien entendu. »

Le boulanger sourit de toutes ses dents
« pour les éventuels alliés, c'est compliqué.
Il va nager dans un sacré purin, le négociateur ... »

« Le farinier est très bien organisé ...
on connait quelques uns de ses moucherons
Mais pas moyen de remonter à la source ... »

« Il y aurait bien une aide improbable à essayer,
mais sa situation est précaire ...
Il y a un espadon qui vient d'arriver en ville, il ne loge pas au panier de crabes, et il est venu avec une petite armée.
Il se murmure qu'il aurait récolté des papiers, des preuves, des erreurs dans des cahiers de comptes ... »

« Il a un grand nom et une province entière tout à lui.
Mais ça suffira pas à le protéger s'il veut vraiment piétiner ces orteils-là ... »

lesquels ?

Le boulanger se garde bien de la moindre parole compromettante.
Aucun nom
Aucun lieu
Aucune date
Même la conversation générale est codée de façon à être encore plus anodine
....

Serait-ce sa façon d'indiquer à Javier « quelque chose » ?

Le silence volontaire du maître pétrisseur jurait avec le reste de la conversation. Passé le stade de l'échange de banalités quotidiennes, les oreilles des murs risquaient de se transformer en couteaux.


« Et oui. Sacré temps, et fichue époque. »

« Quoi qu'il en soit, ce fut un plaisir de discuter un peu avec vous, messire... ? » Il ne se rappelait pas avoir eu vent de son nom...
« Je réfléchirai à postuler dans votre arrière-boutique à tête reposée. Le travail ne manque pas, les produits confectionnés sont nobles, mais c'est un métier très physique, et parfois ingrat... »

« Dans tous les cas, je n'hésiterai pas à passer de temps en temps chez vous. Le temps de prendre quelques biscuits, et une belle miche de pain de campagne. »
« C'est bien votre produit d'appel, c'est-ce pas ? Une belle croûte parfumée, une mie brune aérienne... »
« On dit parfois que la texture de la mie raconte l'état d'esprit du boulanger qui l'a confectionné ! Des on-dits d'anciens qui cachent certainement quelque part un soupçon de vérité. »
« Dans tous les cas, votre produit d'appel a toutes les chances de me rappeler d'ici peu, au vu sa qualité. »

Javier lui tendit sa main.
« En vous souhaitant une bonne journée productive. »

Il sortit ensuite de l'échoppe, non sans avoir dépensé une poignée de pièces de cuivres pour une belle poignée de brioches, et s'en retourna à l'appartement de l'ambassadeur...