► Afficher spoilerJorge se tourne vers le royse.
« Dans l'absolu, vous n'avez pas tort. si vous n'avez pas d'intérêt pour ces domaines, ils vous sembleront arides, ennuyeux, et inutiles. Pourquoi apprendriez-vous ce qui ne vous attire pas ? Qui ferait une telle chose et comment pourrait-il appliquer ce qu'il a appris dans la douleur ? C'est exactement ce que les ennemis de Chalion veulent que vous pensiez. En effet, rien de plus facile pour un intriguant que de rouler un ignorant dans la farine... Quand ils voudront se jouer de vous en vous faisant signer des actes donnant à leurs favoris des terres riches et convoitées, ils sauront que vous ne les connaissez pas et vous diront qu'ils ne s'agit que d'endroits désertiques et incultes. Comme vous n'aurez rien retenu de vos leçons, vous serez forcés d'être d'accord avec eux, pour sauver la face, et vous perdrez non seulement des terres fertiles, mais aussi votre réputation, car tout le monde à la cour saura que vous n'êtes qu'un roya de paille, qui ne connaît de son royaume que ce qui lui plaît. Et quand un intriguant voudra en votre présence faire des remarques désobligeantes sur vous à ses complices, il n'aura qu'à parler dans une langue qui vous est étrangère, et déblatérer à l'envie et commenter votre personne sans crainte, et vous, vous ne pourrez que rougir de honte sans pouvoir rien prouver, et à nouveau on vous prendra pour un idiot et un simplet.
Voyez, Royse, chaque fois que vous abandonnez ou négligez une leçon, vous donnez une arme à vos ennemis, et croyez bien que vous en avez, aussi retors que puissants. Ils n'ont pas attendu que vous soyez prêts pour déjà agir et déchirer votre futur royaume. Chaque fois que vous bâillez en classe, ils applaudissent et remercient votre faiblesse. Je suis sûr que vous appréciez plus de vous entraîner aux lames et aux feintes d'armes, mais vous ne voyez pas que cela ne pourra vous défendre, quand vous aurez donné votre royacie à des gens plus instruits que vous et que vous serez vu par tous vos sujets comme un bouffon et un idiot.
Alors, oui, ces sujets sont ennuyeux, mais ce sont les armes d'un roya face à ceux qui veulent détruire son royaume. Ces armes sont aussi fatiguantes à porter et à manier qu'une lourde épée à deux mains, mais c'est tout ce qui fera obstacle aux intriguants de la cour. Je ne me permettrrais pas de vous ordonner quoi faire, Royse, mais la prochaine fois que vous râlerez sur une leçon de vocabulaire ou d'histoire, vous saurez exactement ce que vous êtes en train de faire : vous aiguisez la lame qui vous percera le ventre. Un Roya sans connaissances au sein de sa cour est comme un guerrier désarmé sur la champ de bataille : il peut faire belle figure un instant, mais il sera étalé, les tripes à l'air, l'instant d'après...
Je me permettrai aussi de vous faire part de mon expérience. Cela fait des années que j'étudie l'art de guérir, et je dois vous dire que cela n'est pas toujours facile ou agréable. Entre l'étude des selles, le broyage d'herbes nauséabondes, le raccommodage de plaies ouvert0es et la lecture de récits sur les démons qui m'ont empêché de dormir des nuits entières, j'ai souvent pensé à abandonner cette voie et me diriger vers des domaines plus plaisants. Et puis je me rappelle pourquoi je le fais : quand j'étais plus jeune, j'ai perdu ma grand-mère, ne pouvant la sauver car je n'en avais pas les connaissances. Sa mort me ronge à chaque minute, et seule la Mère et son voile de consolation m'empêchent de mourir de chagrin. Quand je n'aime pas une tâche que je fais, je me rappelle à qui je dois de survivre. Je ne vis pas pour moi, mais pour que d'autres ne subissent pas le sort de ma grand-mère. Pensez à tous ceux qui ont donné leur sang pour Chalion, c'est pour eux que vous devez vivre. chaque fois que vous refusez de vous armer pour devenir roya, vous piétinez leurs cadavres, et vous serrez la main de leurs meurtriers. A vous de choisir qui vous voulez devenir, mais sachez ce que vous avez choisi. Que la Mère vous bénisse. »