« Entre, jeune fille. »Répondit l'intendant sans plus de fioritures.
« Je voulais que tu me dises comment ça se passe avec le prince.
Parles sans craintes, ne me cache rien et n'invente rien non plus car tôt ou tard, je m'en apercevrai. »

« Heu ....
Pardon, Messire ...
Je sais bien que vous auriez apprécié que je plaise au Royse Teidez ... mais ... » balbutie la femme de chambre
« Il m'a dit comme ça tout à trac « C'est pas la peine de minauder, tu me servirais à peine à me soulager si j'étais raide bourré, et encore ...
T'as pas de formes, pas de charme, t'es trop jeune et trop mal foutue ! » ... alors ... vous comprenez ... »

Martou digéra l'information en se lissant la barbichette d'un geste machinal.
Teidez le déconcertait : Cruel envers son précepteur, indifférent à la beauté de la jeunesse, admirateur de Dondo...
On ne pouvait pas dire qu'il manquait de caractère, ce qui pour un futur Roya était indéniablement une qualité.
Personne ne lui demandait d'être un humaniste mais son indifférence au sort de ses sujets n'était pas un gage de stabilité pour le royaume et sans stabilité point de prospérité.
Le courant passait mal entre eux et qu'adviendrait-il de l'intendant lorsqu'il n'aurait plus l'oreille d'Orico... Pourrait-il gouverner à sa guise avec ce prince?
Il serait toujours temps de le faire disparaître mais l'inverse pouvait être tout aussi vrai.
« Bien, » reprit-il à l'intention de Piatra,« il ne servirait à rien que tu lui coures après, cela ne ferait qu'augmenter le dédain qu'il pourrait te porter.
Que penses tu du sergent Ronald ? Crois tu que ton ambition soit suffisante pour lui offrir de partager ta couche ?
Une fois que Teidez comprendra qu'il ne pourra plus t'avoir, son désir pour toi sera attisé et si ce n'est pas le cas, il y a pire comme sort pour une fille comme toi que d'être avec un sergent. »

« Heu ... » balbutie la jeune fille
« Je préfèrerais quelqu'un avec ... heu ... plus de cheveux ...
Beldrom, par exemple, serait plus à mon goût ... »

Martou soupira à ces considérations esthétiques :
« Beldrom n'est qu'éclaireur et je ne suis pas sûr que l'intérêt du prince soit piqué par cette aventure...
Je vais m'entretenir avec lui pour savoir ce qu'il pense de cette manœuvre et je t'indiquerai ce que j'aurai décidé. »
Il congédia la jeune servante.
« Va maintenant et ne raconte à personne nos petits arrangements. »

Pour avoir le rapport de Beldrom, il faudrait attendre que celui-ci soit rentré de sa virée avec le prince et en plus le temps tournait à l'orage.
La pluie et la vie sous tente... misère.

Alors que Martou profite avec une savoureuse nostalgie du spectacle changeant mais régulier produit par le sillage du bateau s'éloignant sur le Zangro(1) à chaque instant davantage de Cardegoss et du Zangre(2) où il a ancré ses habitudes et assis son pouvoir ....
Se délectant de cette douce déchirure qui ne rendra que plus enthousiasmant son prochain retour ...
Martou est tiré de sa rêverie par un son lointain ...

L'intendant tendit l'oreille pour tenter de définir ce que pouvait être ce bruit.

lundi 02 novembre 1467, milieu de matinée ...

Une corne ... un signal ... des modulations ...
Martou n'est pas certain du sens à leur donner mais ...
!!! Teidez est parti avec Beldrom en éclaireur !!!
...

Le prince n'est pas en territoire ennemi mais bon... ce serait fâcheux qu'il se retrouve en mauvaise posture.
« Toi, » dit-il au premier baltringue venu : « cours dire à la capitaine que je la veux à la tête de ses cavaliers immédiatement. »
Martou s'équipa de sa rapière et avança de son pas souverain, à la rencontre des événements à venir.

Le marin allait rétorquer vertement à cette apostrophe quand il réalisa (juste à temps) « qui » l'interpellait ainsi.
Ravalant sa réplique en un grognement informe, il s'élança vers la proue ...

Si le bruit vient du fleuve, Martou reste sur son embarcation, s'il vient des terres, il descend.

Le bruit vient de l'amont ... porté par le fleuve ...

Martou se dirige donc vers la proue.

Une délégation portant les couleurs familiales (dy Jironal, « de Gueules au faucon d'argent », emblème principal*) remonte le long du convoi terrestre ...

*

Martou identifia ses couleurs et se réjoui donc de voir son cadet mais il mesura aussi que celui-ci le défiait ouvertement.
Malgré sa mine inflexible habituelle, il n'en fulminait pas moins.
Il donna les instructions suivantes :
- Fin de la marche du jour et mise en place du campement.
- Dépêcher un éclaireur pour ramener le prince au campement en évitant de rencontrer la délégation de son frère.
- Indiquer à ce dernier qu'il est occupé et qu'il le recevra plus tard.
- Mise en place d'une garde de cinq hommes ayant pour consigne d’empêcher quiconque de monter à bord de sa barge.
- Officiellement, on ne le dérange sous aucun prétexte, officieusement, Martou est informé de tout ce qui se fera.

L'intendant avait rapidement pris ses décisions et allait se retirer pour reprendre l'avantage lorsqu'il aperçu qu' Alessandro dy Jironal, Beldrom et le royse Teidez chevauchaient déjà côte à côte.
Il souffla longuement pour essayer d'évacuer son exaspération.
Un instant il se dit : Il faudra que je l'achète ce petit domaine auprès du lac de montagne loin de tout ce cirque.
Changeant son arbalète d'épaule, il s'avança tranquillement à la rencontre de son cadet.
« Alors jeune briguant, c'est heureux de te rencontrer arborant mes couleurs pour annoncer ma venue en ces terres provinciales. »
Le ton ferme et courtois ne laissant rien entrevoir de la lutte de pouvoir qu'il menait pour qu'Alessandro resta à sa place.

« Très cher frère ! »
« J'ai sorti tes couleurs pour te faire honneur et me joindre à toi ...
« bien évidemment »
Alors, où allons-nous ?
Aurais-tu engagé toute cette troupe pour te porter à ma rencontre ?
Je pensais te rencontrer dans ton salon, en notre palais à Cardegoss ... »