Message secret pour Algernon.Jour Premier

De son bureau au deuxième étage du Palais Episcopal, dont la fenêtre était à la verticale de l’entrée, Almaurry de Marle pouvait admirer le temple dédié aux cultes de la nature, des moissons et de l’eau. A gauche de la place, des ruelles partaient en désordre à l'assaut de la forteresse et des quartiers en contrebas. Deux rues plus larges étaient souvent encombrées de chariots, l'une montant directement vers le château, alors que l'autre descendait vers le fleuve et les quartiers plus populaires d'Horbourg. A droite de la place, une rambarde en pierre courrait tout le long, et permettait d'admirer la ville, plusieurs dizaines de mètres plus bas.
Si la vue du bureau d'Almaurry était excellente, la contrepartie en était son exposition aux brouhahas venant de la place. Mais il n'aurait laissé ce bureau à aucun autre, à cause de sa situation géographique dans le palais épiscopal : Le bureau d'Erard de Lormoy, l'évêque, se situait juste de l'autre côté d'un couloir.

Le secrétaire de d’Almaurry frappa, puis entra quand il y fut invité. Il apportait une pile de courrier, mais signala comme à son habitude la plus importante : « Monseigneur, vous trouverez une demande signée du Chambellan, Ruyl. Il vous propose une entrevue au château en fin de matinée, ou demain matin à la première heure, ou encore dans deux jours, après le repas. L’ordre du jour concerne la découverte dans les marais près d’Hagetlande. Le coursier attend votre réponse. »
Almaurry de Marle avait bien sûr entendu parler de cette affaire très récente. Une créature mi-humaine mi-araignée attirait des habitants des airials dans les marais, pour les dévorer. Elle avait fait de même avec des hommes-lézards, qui, pour une fois, étaient hors de cause dans l’histoire. On avait parlé d’un vieux monument découvert, mais il semblait que cette information était peut-être fausse.

Message secret pour Viadoq.Le brouhaha matinal ne fâchait pas toujours le grand-vicaire. Si le bruit était parfois une gêne à la réflexion, il lui arrivait souvent de contempler le panorama qu'offrait sa fenêtre et d'écouter de son mieux, dans l'espoir de capter quelque chose du pouls de la cité dans les inflexions de la rumeur qui montait jusqu'à lui. Sauf cas extrême, l'exercice était illusoire, mais au-delà même de l'espoir que ses sens s'affinent quelque jour, le caractère symbolique de cette communion de début de journée avec la ville avait un attrait suffisant sur Almaurry pour l'ériger en quasi-rituel, qu'il accomplissait presque chaque matinée qu'il passait dans son bureau. C'est donc debout près de la fenêtre que le trouva son secrétaire particulier, le jeune Helyot Favieres, en entrant avec le courrier.

Almaurry écouta l'annonce qui lui était faite. Aucune obligation extérieure inscrite à son agenda ce matin-là, ni aucun intérêt personnel (tout au contraire), ne le poussait à différer l'entrevue demandée.

« C'est fort aimable au Chambellan de me laisser le choix. Cependant, mon cher Helyot, si l'exactitude est la politesse des rois, il revient aux serviteurs d'y ajouter l'empressement ; et je suis le serviteur de Monsieur le Chambellan... sinon en tous points, du moins suffisamment. Faites dire au coursier que je me rendrai au Château avant la midi, je vous remercie. »

Resté seul, Almaurry médita quelques instants sur la raison qui poussait le Chambellan à le convoquer pour parler de cette affaire, qui ne comportait guère de composantes religieuses à première vue. Ou peut-être était-ce parce qu'il était plus ou moins originaire de la région ?...


Puis, il se plongea dans la lecture exhaustive de la correspondance apportée par Helyot ; après quoi, selon une autre de ses habitudes, il irait s'entretenir avec l'évêque ; mais l'âge n'avait pas tendance à rendre Mgr de Lormoy particulièrement matinal, et à moins d'une urgence pour chambouler l'ordonnancement des jours, le grand-vicaire avait généralement le temps d'abattre une heure de travail à son bureau avant de rejoindre son supérieur pour le petit déjeuner.

Message secret pour Algernon.Almaurry était perplexe : Effectivement, à première vue, il ne pouvait établir un lien direct entre ce qu’il connaissait de cette affaire près d’Hagetlande et lui-même, à part son origine. Mais peut-être était-ce pour cela qu’on le mandait ?

Le vieil évêque salua aussi chaleureusement que d’habitude son ancien bibliothécaire quand ce dernier vint le trouver dans son bureau. « Almaurry, vous êtes toujours aussi matinal. Allez-vous bien ? » demanda-t’il poliment, avant de jeter un coup d’œil sur la missive en haut de la pile.
Un serviteur vint apporter les éléments du petit-déjeuner, qui comprenait comme toujours un pot de confiture de groseille, l'un des pêchés gourmands de l'évêque.

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« Très bien, et vous-même ? » demanda le vicaire.

Il s'assit familièrement en face de l'évêque pendant que celui-ci répondait. Puis :

« J'avoue que je dors bien mieux depuis que cette affaire avec la prétendue mystique de Sharess s'est résolue pour le mieux, et que je n'ai plus à craindre d'être tiré de mon lit chaque nuit par un nouveau scandale. » poursuivit-il avec un large sourire. « Il n'y aurait eu que des affaires courantes à expédier le matin, si ce n'était que j'ai reçu une étrange convocation de la part de notre chambellan. Il dit vouloir s'entretenir avec moi au sujet de cette histoire de chasse au monstre dans les marais d'Hagetlande. Je ne vois pas en quoi cela nous concerne. Auriez-vous une idée sur la question ? »

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L’évêque se réjouit de la santé de son ancien protégé devenu Vicaire.
« Ho, le Chambellan a du mal à traiter toutes les informations qu’il souhaiterait, avec sa charge. Je crois qu’il passe déjà la plupart de son temps libre – et celui de ses apprentis - à retrouver des informations sur de possibles démons dans la région. Il craint que le portail du relais de la passe du rocher fantôme ne soit pas le seul existant dans la Baronnie » dit-il avec une pointe de lassitude. Même si Célestes et Démons étaient souvent reliés aux prêtres, l'évêque ne semblait pas faire cas des inquiétudes de Ruyl.

Almaurry avait bien sûr entendu parler de ce portail, trouvé dans l’ancien relais désaffecté par l'équipe de "héros" dont tout le monde parlait. Un démon, le « prince de sang », aurait souhaité profiter d’un alignement planétaire pour réapparaitre sur le plan matériel.
Pour retracer l’histoire, Almaurry avait étudié, sur les rares parchemins qui la décrivaient à l’Abbaye de Valirée, la guerre entre les gobelins et les orques dans les collines du Nord, il y avait cinquante ans. Pour ce qu’il avait pu en lire, les gobelins, perdant d’abord du terrain, décidèrent d’utiliser une magie puissante afin d’appeler à l’aide des créatures démoniaques pour les aider. Si le cours de la guerre fut bien inversé, les démons finirent par prendre le contrôle des gobelins et de leur magie, faisant encourir un grand danger hégémonique sur l’ensemble du royaume de Mascar. Inquiets, les dieux Célestes ont envoyés plusieurs escadrons, ré-équilibrant les forces. La fin de la guerre était obscure, à part que les gobelins finirent par gagner et que quelques tribus orques rejoignirent la Baronnie. De Célestes et de Démons, plus de traces connues d’Almaurry.
A part cette Eryn de Sangris, paladine de Tyr, amie de Clostriana de Laurencis, qui descendait certainement d’un céleste. Peut-être n’était-elle pas la seule.
La découverte au relais remettait donc en lumière une menace éteinte depuis cinquante ans…

Mais cela n'apportait aucune réponse à la question d'Almaurry : Pourquoi le Chambellan le convoquait-il au sujet de la découverte à Hagetlande.

Message secret pour Viadoq.Le grand-vicaire laissa un moment son imagination dériver au gré de ces associations d'idées. Toutefois, cela ne menait à rien de concret pour le moment, et il ne servait à rien de chercher à devancer, surtout de façon aussi incertaine, les intentions du chambellan. Aussi Almaurry s'enquit-il auprès de l'évêque de toute charge supplémentaire qu'il aurait à lui confier ou recommandation qu'il aurait à lui faire, prévoyant, si ce n'était pas le cas, d'expédier ensuite les affaires courantes avant de se rendre vers onze heures au rendez-vous qu'il avait accepté.

Message secret pour Algernon.L'évêque ne confia que d'autres « affaires courantes » à son vicaire, qu'il put expédier par une délégation à un membre de la curie.

Ainsi, un peu avant onze heures, libéré de ses contraintes journalières, Almaury gravit la rue animée montant vers l'entrée du château. Les meilleurs tailleurs de la baronnie disposaient d'une échoppe dans cette rue, et on pouvait y trouver les vins les plus fins ainsi que les objets les plus beaux. Une bijouterie permettaient l'achat des travaux des meilleurs artisans-joailliers de Cuvalier, et une boutique odorante présentait des épices de tout le royaume de Mascar, et même au-delà.

La haute muraille sur le piton rocheux ajoutait à inaccessibilité de son contenu. Almaury, connu en ces lieux, n'eut pas besoin de s'identifier auprès des gardes pour pénétrer dans l'enceinte. Laissant de côté la fontaine soi-disant miraculeuse dont l'eau n’arrêtait pas de s'écouler sans provenir d'aucune source – cette eau alimentait d'ailleurs deux établissements de thermes en contrebas du château – il pénétra dans le bâtiment massif de deux étages à la façade au style riche et aérien, quoique chargé. Les bureaux du chambellan étaient situés au-dessus de cette bibliothèque.

Almaury fut introduit par un secrétaire dans le bureau de Ruyl, aussi ponctuel que le vicaire. Si le vieil homme au visage poupon avait été occupé avant onze heures, rien ne l'indiquait sur son bureau. « Bonjour, cher vicaire. » Le ton était chaleureux, même si ces deux hommes n'avaient en commun que leur érudition. « Merci d'être venu si vite. Prendrez-vous quelque chose à boire? »

Message secret pour Viadoq.Comme chaque fois qu'Almaurry se retrouvait en présence du chambellan, le secret de son apparemment éternelle jeunesse (probablement le secret le mieux gardé de la baronnie) titillait la curiosité intellectuelle de l'adorateur d'Oghma ; mais il n'en laissa rien paraître.

« Si vous en prenez vous-même, je prendrai la même chose que vous ; sinon, rien, je vous remercie. De même que c'est moi qui vous remercie, par ailleurs, de me faire l'honneur de penser à moi pour vous rendre service.

Encore qu'en toute franchise, » ajouta-t-il après un petit temps de pause, comme pour fermer la parenthèse des amabilités protocolaires, sans rupture de ton mais avec un souci de passer à une partie plus "efficace" de la conversion, « j'avoue ne pas bien deviner en quoi je peux vous être utile, quant à l'affaire dont votre coursier m'a fait savoir que vous désiriez m'entretenir. »

Message secret pour Algernon.Ruyl choisit un petit d’alcool léger, censé mettre en appétit pour le repas qui suivrait l’entretien. Almaurry fut également servi. Quelques biscuits salés furent disposés entre les deux hommes, assis dans deux fauteuils confortables autour d’une table basse, de l’autre côté de la cheminée par rapport au bureau.

Ruyl attendit que son serviteur soit parti pour répondre au vicaire. « Cela peut sembler étrange, en effet, mais vous ne disposez pas de toutes les informations, ni de tous les recoupements que j’ai eu l’occasion de réaliser. Sinon, vous auriez de vous-même déterminé que vous étiez parmi les personnes les mieux placées de la Baronnie pour le service que je vais vous demander. Si votre charge le permet, bien entendu. »

Ruyl laissait une porte de sortie élégante à Almaurry, au cas où celui-ci ne se montrerait pas intéressé. Le regard plus perçant de Ruyl jaugeait son interlocuteur, comme pour évaluer si celui-ci accepterait la mission. Son inspection devait être favorable, car il continua.
« Il convient de commencer par le début. Vous êtes au courant des événements de l’année dernière au relais de la Passe du Rocher Fantôme. Alors que nous envoyions une simple équipe d’éclaireur prendre possession de ce lieu désaffecté depuis cinquante ans, avant qu’une troupe plus complète lui succède, celle-ci tomba sur deux « meutes » de Malar, l’une humaine l’autre gobeline, associées pour invoquer un démon, le Prince de Sang. Ils comptaient utiliser un portail circulaire et vertical permettant de transférer ledit démon d’un plan inconnu vers le nôtre. »
Il porta le liquide rosâtre à ses lèvres. Le goût de roses sauvages, peut-être trop sucré, capitonna sa bouche. « Vous faites partie des rares personnes de la Baronnie qui comprennent l’existence de ces « plans ». »

Message secret pour Viadoq.Ainsi le cher Erard avait raison...

Le grand-vicaire avala une gorgée du spiritueux, et s'il le trouva un peu trop sirupeux pour son goût, rien n'en transparut derrière le parfait sourire qu'il adressa au Chambellan.

« Sans fausse modestie... il est vrai que le sujet n'est pas très populaire. Mes propres connaissances sur le sujet sont d'ailleurs elles-mêmes fort lacunaires, j'en ai bien peur. »

De fait, Almaurry de Marle avait eu plus d'une occasion de constater que l'étude des plans, dans le clergé local, faisait figure de savoir hautement ésotérique. L'apprentissage de la langue céleste ou infernale (bien plus rarement encore les deux, comme c'était le cas pour Almaurry) était le fait d'une "élite" restreinte d'érudits, et fort peu d'entre ceux-là mêmes allaient au-delà d'une approche purement linguistique, uniquement utile au déchiffrement de textes anciens, pour s'intéresser à tout ce qu'il y avait derrière, la grande arborescence des plans au-delà du plan matériel et ce qui les peuplait. Dans le meilleur des cas, la chose était vue comme le genre de "spéculations métaphysiques" que l'on se réservait pour de "vieux jours" toujours repoussés.

« L'essentiel de ce que je sais, je le tiens du Frère Ymbelet qui était à l'abbaye de Vallirée au temps où j'y faisais mon noviciat. - Un visionnaire, dans tous les sens du terme. - Et ce que je ne tiens pas directement de lui, je le tiens des livres qu'il avait amassés sur le sujet. Mais à l'entendre, l'ensemble restait très parcellaire. Il n'était pas toujours très facile de savoir si les connaissances qu'il évoquait, comme allant au-delà de ce qui était présent dans les volumes sur place, ressortaient d'autres volumes qu'il avait vus dans d'autres régions du royaume, ou de ses propres... expériences mystiques ; l'homme n'était pas toujours facile à comprendre, si passionnante que fut sa conversation. Sans nul doute, il eut été le meilleur expert que vous eussiez pu trouver sur la question, mais hélas, il nous a quitté il y a un an et demi. La Mort vient pour nous tous... »

Hum ! Pour certains moins vite que pour d'autre, comme l'attestaient le visage semi-adolescent et même la seule présence du Chambellan Ruyl.

« Pour ce qui regarde cette affaire du relai, j'en ai évidemment entendu parler, comme tout le monde... et même un peu plus, considérant l'importance que le clergé a joué dans cette affaire. Et le prix qu'il y a payé. Monseigneur de Lormoy a été très affecté, vous le savez, par le sort de la Semeuse d'Aube Ellinde, qu'il avait lui-même recommandé... Une perte tragique, considérant le jeune âge et le potentiel de la malheureuse. »

Aussi, quelle idée d'aller attaquer seule une bande de mercenaires, quand on est si douée pour l'enluminure...

« Toutefois, j'aurais eu tout lieu de penser que l'affaire était désormais classée, si votre évocation du sujet ne laissait pas entendre autre chose. Mais la Passe du Rocher Fantôme est bien loin de Hagetlande, monsieur le Chambellan. »

Qu'est-ce que tu ne me dis pas ?

Message secret pour Algernon.Ruyl laissa le silence planer, ménageant un petit effet.
Satisfait de ce léger délai d’attente, le Chambellan déroula un parchemin sortit de sa manche presque par magie. « Le portail portait sur son pourtour, gravé dans la pierre, plusieurs inscriptions, dont voici une copie. » Un ensemble de runes, disposées en cercle, présentait un assemblage hétéroclite de traits et de courbes. Négligemment, le magicien balaya la plupart des inscriptions - « Celles-ci forment une formule classique de distorsion de l’espace… » - pour s'attarder sur trois particulières. « Mais ces trois-là me sont inconnues. » Les trois runes étranges, aux lignes élancées et courbes, formaient des motifs complexes, différents des runes identifiées comme faisant partie de la formule citée, aux lignes plus « brutes ».
« Surtout, ces lignes semblaient plus anciennes. Les trois pierres qui portaient ces signes étaient des pierres de récupération d’un autre lieu. »

Ruyl déroula un autre parchemin apparu comme par enchantement dans sa main pendant qu’Almaurry étudiait les premiers symboles. « Et ces trois-là faisaient partie de la dalle de pierre retrouvée non loin du marais d’Hagetlande. »
Un peu comme un test, il demanda : « Qu’est-ce que vous pourriez en conclure ? »

Message secret pour Viadoq.
Le grand-vicaire se pencha légèrement sur les deux parchemins, et ses yeux passèrent rapidement de l'un à l'autre pendant quelques secondes.

« On retrouve la même rune au centre des deux séries ; la troisième de la série de la Passe du Rocher Fantôme et du marais d'Hagetlande sont presque identiques entre elles, à une "fioriture" près ; les deux autres sont plus différentes, mais indubitablement de la même source. Les deux inscriptions sont dans la même langue, de nous inconnue ; ou le même système, tout du moins. Mais vous n'aviez évidemment pas besoin de moi pour observer ça. »

Le regard d'Almaurry se perdit dans le vague un instant ; puis, il se rassit au fond de son fauteuil, croisa les mains à hauteur de son torse, et fixa le chambellan.

« Vous avez mentionné que les trois pierres de la Passe étaient des pierres de récupération d'un autre lieu. J'ignore quels éléments vous ont mené à cette déduction, et vous n'avez pas mentionné quel lieu ; à votre façon de présenter les choses, il ne s'agissait en tout cas pas du marais. Nous parlons donc d'un ensemble, peut-être d'un réseau, de pierres inscrites, vraisemblablement en un même point, et déplacées, vraisemblablement par la suite, dans un certain nombre de points cachés à travers les terres - au moins deux ou trois et sans doute plus.

On peut faire l'hypothèse que ces runes et ce réseau de façon générale servent un même propos. La très grande similarité des symboles, voire leur communauté partielle d'un groupe à l'autre, dans des séries trop courtes pour qu'il s'agisse d'une coïncidence, peuvent faire penser à une formulation rituelle. Attendu du but que poursuivaient les forces qui ont été arrêtées à la Passe du Rocher Fantôme, ça n'est pas, vraiment pas, une bonne nouvelle.

Vous mentionniez "la dalle retrouvée près du marais". J'en déduis qu'il s'agit d'une pièce de ce monument dont certaines rumeurs ont parlé, et dont d'autres rumeurs ont contredit l'existence. Pardonnez mon audace, mais je suis tenté d'en déduire, par la même, que VOUS avez activement cherché à étouffer la connaissance de cette découverte par le public. Il serait de mauvaise politique que le peuple de la baronnie se mette à penser qu'il vit potentiellement sur - quoi ? une espèce de sceau géant ? en lien d'une façon ou d'une autre avec les plans infernaux...

Ce qui m'amène au dernier point, qui me chiffonne. S'il s'agissait "seulement" (pour ainsi dire) d'invoquer un démon, la langue infernale serait un choix évident. Or, vous ne l'ignorez pas, je parle cette langue, et le langage ou le code de ces runes m'est aussi inconnu qu'à vous. »

Message secret pour Algernon.« J’arrive à des conclusions similaires. Etrange, n’est-ce pas ? » répondit le chambellan, un sourcil levé. « Votre concept de portail géant englobant toute la baronnie est intéressant, bien qu'effrayant. » L'attitude de Ruyl exprimait cependant qu'il ne pensait pas à une telle extrême.

« Pour ce qui est d’étouffer une quelconque affaire, ce n’est pas le cas. Peu de personnes sont capables de faire le lien entre ces événements. Plus de cinquante personnes ont pu observer les symboles sur le cercle de pierre au relais, mais combien d'entre elles les ont retenus ? Même si on parle d'écrits sur le sol découvert près d'Hagetlande, qui va se soucier de ce que cela représente, alors que la créature qui y habitait a provoqué la mort de quatre personnes ? » donna-t’il comme vague explication.
« La provenance des pierres, au relais ? Je pense qu’elles provenaient d’une autre source que les autres car ces trois runes étaient en partie effacées par le temps, et les pierres érodées : Elles ont été taillées à une époque beaucoup plus ancienne. Plusieurs centaines d’années au moins. Peut-être plus. Par contre, il s'agissait de matériaux qui auraient pu être taillés dans la région : La matière n'est pas inconnue, par ici. »
Almaurry fit un rapide calcul. A cette époque, la Baronnie n’avait pas encore été colonisée par l’homme. Les dieux seuls savaient qui pouvait occuper les abords de l’Aurole à cette époque. Ou des races qui auraient une espérance de vie supérieure à celle de l'homme ?

« Egalement, j’ai trouvé ce cristal dans l’une des pierres, lorsque nous avons détruit le cercle. »
Ruyl sortit d’une poche intérieure de sa robe une petite boite en plomb. Il l’ouvrit avec précaution, révélant un cristal bleuté. De façon étrange, celui-ci semblait irradier une légère lumière alors que sa surface était sombre. « Les propriétés de cette matière sont étonnantes. Elle est certainement d’origine magique. »
Le cristal fut déposé toujours dans son étui sur la table basse. Le chambellan fit un geste d’invitation vers Almaurry : Celui-ci pouvait utiliser des sortilèges s’il le souhaitait pour analyser le minéral.

Message secret pour Viadoq.Almaurry préféra ne pas s'attarder pour le moment sur les implications du fait que le chambellan promenait sur sa propre personne, sans autre sécurité apparente qu'une boîte en plomb, un morceau de cristal magique trouvé sur le lieu d'un rituel visant à invoquer un démon. Se penchant à nouveau comme il l'avait fait pour les parchemins, il se concentra sur l'étude de l'objet en question.

Message secret pour Algernon.La lumière émise, ainsi que l’obscure roche, étaient d’origine magique, c’était un fait certain. Almaurry de Marle n’avait même pas besoin de sortilèges pour détecter la magie qui en rayonnait ! Cependant, malgré la multitude d’hypothèses jaillies dans l’esprit d’Almaurry, aucune n’expliquait l’existence de ce cristal. Aucun des sorts passés en revue ne lui permettait de créer une telle chose. Enfin, le vicaire ne se souvenait pas d’histoires évoquant un tel objet.

Le chambellan observait le vicaire. Ne faisant aucune observation sur le cristal, il résuma la situation à ses yeux : « La Baronnie, et tous ceux qui y vivent, est peut-être en danger. Ce danger n’est pas de la même nature que d’autres : Pas de questions de revendication de frontières, ou de succession dans tel rang de noblesse. Mais des démons aux menaces destructrices et expansionnistes, comme l’a dit le Prince de Sang avant de disparaitre. Pour moi, il ne s'agit pas d'une menace ne concernant que le pouvoir temporel. » Sous entendu "et que le pouvoir spirituel, qui est éternel, peut négliger". « Dites-moi, quelle est la position de l’évêché sur ces questions ? »
Almaurry nota immédiatement que la question lui était posée en l’absence de l’évêque en titre. Si Ruyl avait déjà posé cette question à Erard, Almaurry n'en savait rien. Il connaissait par contre la position de son mentor, plutôt désinvolte – négligente ? – sur le sujet.

Message secret pour Viadoq.Almaurry réfléchit un court instant à la meilleure façon possible de répondre à la question, sans paraître repousser la perche évidemment tendue, mais sans paraître non plus trahir l'évêque.

« Je PENSE, en effet, » commença-t-il, regardant le chambellan dans les yeux, et espérant ne pas planter un couteau dans le dos d'Erard, « que la position de l'évêché ne saurait se tenir à l'écart de tels enjeux, à la lumière de ces éléments nouveaux.

Il en va après tout aussi bien de la sécurité matérielle que spirituelle des habitants de la baronnie... Et puis l'équilibre des cultes régulés est déjà assez compliqué sans que des démons ne viennent se manifester et réclamer une part. » ajouta-t-il avec un sourire forcé afin de détendre l'atmosphère.

Le vicaire général laissa passer un moment avant de demander :

« Concrètement, quelle aide souhaiteriez-vous recevoir de l'évêché dans cette affaire ? »

Le chambellan avait évoqué un peu plus tôt la compréhension qu'Almaurry avait de l'ordre des différents plans, et le vicaire doutait que ce fut uniquement pour comparer des jeux d'inscriptions. Mais s'agissait-il seulement de mener des recherches académiques, ou Ruyl attendait-il autre chose ? Almaurry préférait ne pas s'avancer et laisser à son interlocuteur la responsabilité d'exposer ses désirs.

Message secret pour Algernon.La réponse d’Almaurry satisfit Ruyl.
« Quelle aide, demandez-vous ? Nous avons besoin de votre temps et votre esprit » répondit directement le chambellan, plus détendu. Almaurry savait que le Chambellan avait l’habitude de parler à la première personne du pluriel, incluant dans ses décisions le Baron.

« Nous ne disposons pas de l’ensemble des inscriptions de la dalle circulaire de pierre du marais. Il faudrait organiser des relevés sur place. Je pense qu’une ouverture intellectuelle sur l’existence des plans, ainsi que des connaissances en Histoire peuvent permettre d’en savoir plus. Une recherche académique le permettra plus tard, aussi. Egalement, il existe peut-être des informations détenues par les habitants d’Hagetlande. Votre oncle, Alaric, dont les compétences magiques sont connues, pourrait nous aider. »
Cette liste d’éléments désignait Almaurry comme l’une des rares personnes à qui le chambellan pouvait s’adresser pour l’énigme posée par ces inscriptions.

« Je me réjouis de notre collaboration » acheva Ruyl. Le Chambellan serait forcément consulté au moment de la succession de l’évêque, et cette phrase, presque badine mais d’une importance capitale pour Almaurry, n’était certainement pas dite au hasard.

Message secret pour Viadoq.« Moi de même. C'est un honneur d'être utile à la baronnie et à ses habitants. » répondit Almaurry.

Et un plaisir de constater que la connaissance peut être non seulement utile, mais appréciée. Béni soit le Lieur.

« Je suppose que vous avez déjà une idée des délais dans lesquels vous souhaiteriez voir l'affaire traitée, peut-être des actions qui vous semblent prioritaires sur d'autres ? »

Les recherches livresques pouvaient être entreprises pour partie au moins à l'évêché, mais l'éventualité d'une nécessité de se rendre à Vallirée n'était pas à négliger. Le reste des indications du chambellan suggérait au contraire (géographiquement parlant) de prendre la direction d'Hagetlande.

Message secret pour Algernon.Ruyl rangea le cristal dans sa boite en plomb. Almaurry remarqua que l’intérieur était capitonné d’or. « L’or et le plomb semblent bloquer ces radiations magiques » expliqua le Chambellan, comme s’il avait lu dans l’esprit du vicaire.

« Pour le délai… Je ne saurai comment expliquer qu’il faille aller vite. Nous n’avons eu qu’un seul évènement concernant tout cela, c’était il y a un an, au relais. Pourtant, ces mystères qui pèsent sur la Baronnie me donnent un sentiment d’urgence. J’estime la menace du Prince de Sang réelle, et les dieux seuls savent ce qui se serait passé si son invocation avait réussi. »
Le chambellan n’expliquait donc pas l’urgence de la situation par une échéance qui serait rapprochée mais par la gravité de ce qu’il pourrait advenir…
…mais qui pourrait ne jamais advenir.
Almaurry comprenait mieux la désinvolture de l’évêque sur la demande peut-être alarmiste de Ruyl.

« Pour l’ordre des opérations, les informations dont nous disposons concernant le disque de pierre dans les marais sont parcellaires obtenues par l'intermédiaire d'un nain qui n'a aucune compétences magiques ou encyclopédiques, Korgan, qui a recopié à main levé les dessins qu’il distinguait sur un morceau de cuir. Je pense qu’il faut commencer par obtenir la séquence complète des inscriptions, sur place. Qu’en pensez-vous ? »

Message secret pour Viadoq.Hum... Dans le pire des cas, le chambellan a raison avec son "sentiment d'urgence" et la célérité s'impose. Dans le meilleur, il se montre alarmiste sur le calendrier, mais je n'ai plus aucune grosse affaire à traiter dans l'immédiat : autant tout faire pour régler celle-ci avant d'avoir, peut-être, à gérer plusieurs problèmes à la fois.

Le grand-vicaire acheva d'un trait le breuvage que lui avait fait servir Ruyl.

« J'en pense que je n'ai plus revu l'airial familial depuis le dernier Festival de la Lune, monsieur le Chambellan, et qu'une visite de ma part en Hagetlande ne serait pas de mauvais goût. » dit-il en reposant sa coupe. « Y a-t-il des personnes de confiance sur place qui pourraient me mener au monument ? Ce Korgan, peut-être ? Et une dernière question : quel degré de discrétion souhaitez-vous voir maintenu sur cette affaire pour le moment ? »