Message secret.Satisfaite. Joyeuse. Heureuse, même. Tous ces qualificatifs auraient pu désigner Clostriana jusqu'à cet instant précis. Flottant sur son petit nuage de béatitude personnel, elle flânait avec Sylas, ayant echange la main pour le bras de son protecteur, auquel elle s'accrochait fermement quand elle ne farfouillait pas dans les étals. Alors qu'elle venait de quitter l'échoppe d'un tisserand aux magnifiques etoffes, le jeune homme posa la question qui la fit chuter de haut:
« On fait quoi, maintenant? »
La question n'était pas mal intentionnée ni même ne portait sur ce qu'il se passait entre eux, Sylas cherchant juste à savoir vers où elle souhaitait aller ensuite. Mais pas pour elle, cette même question innocente renvoyant Clostriana à ses propres doutes et incertitudes quand à la conduite à tenir ensuite, qu'elle avait bien volontiers tu ces derniers temps quand une étrange sensation avait commencé à fleurir en elle. Mais il revenait désormais à la charge, suffisamment violemment pour ébranler la détermination de la guérisseuse.
Son père était de la vieille école et voyait d'un mauvais œil les unions entre nobles et roturiers. Que dirait-il s'il découvrait que sa propre fille s'était laissée emporter dans une romance avec un homme qu'il avait lui même engagé! Il en serait fou de colère et, vu son âge, cela pouvait s'avérer problématique. Elle ne pouvait décemment accepter l'idée d'avoir causé du souci à son père en se laissant aller. Elle se moquait bien de son titre ou même de sa supposée noblesse mais son père... Il était sa seule famille proche. Le perdre lui semblait inacceptable. Et pourtant... Elle était prête à prendre le risque.
A ça s'ajoutait le fait que son attitude ainsi que son respect des traditions l'avait privée d'une quelconque expérience en matière de sentiment amoureux. Les rares nobles et bourgeois célibataires que son père avait tenté de lui présenter comme de bons partis s’étaient brisés les dents sur sa détermination à vouloir continuer a aider les autres et à ne pas être une jolie dame juste vouée à s'occuper de la maisonnée et des enfants, qu'on sortirait dans les grandes occasions ou pour épater la galerie. Et le simple fait de flirter lui avait toujours semblé inenvisageable, ce n'était pas le genre de choses qu'une dame de bonne famille devait faire, comme on lui avait appris durant son adolescence. Mais ce n'était qu'un détail. Elle sentait bien que Sylas ne serait pas le genre d'hommes à vouloir en faire une femme au foyer... Ni à vouloir précipiter les choses entre eux. Il avait eu son lot d'occasion de la surprendre en tenue indécente lors de leurs voyages mais jamais il n'avait osé. Il la respectait, elle le savait.
Non, tout ça n'était que broutille comparé à sa dernière constatation qui acheva de détruire l'instant magique qu'elle vivait: ils partaient pour une mission dangereuse où des sentiments pourraient s'avérer problématique. Si Sylas était blessé ou directement menacé, que ferait-elle? S'il était tué? Serait-elle capable de garder la tête froide envers et contre tout? Si elle devait choisir entre le sauver lui ou Eryn? Le laisserait-elle mourir pour sauver quelqu'un d'autre ou inversement? Elle avait passé tellement d'heures à les étudier mais ne comprenait finalement que maintenant l'une des leçons de ses vieux livres à l'école de médecine: la distance.
Les mains de la guérisseuse s’étaient desserrées, le bras relâché et la magie dissipée. La réalité venait de reprendre pied brutalement dans leurs vies. Sylas fut surpris et s'arrêta pour observer la guérisseuse. Le regard rougi où des larmes cherchaient à poindre bien qu'elle les refoulait, elle regarda son camarade et ajouta faiblement:
« Je ne peux me permettre de trop m'attacher à ceux que je vais ou serai amenés à soigner. Si j'échouais... Les conséquences sur moi... Je ne dois pas me laisser aller aux sentiments, pour mon bien et celui de mes patients.
Je suis navrée, Sylas. »
Clostriana se retourna et avança pour rejoindre la porte Est sans l'attendre. Sylas était déçu. Déçu et blessé. Il avait entendu les mots qu'elle avait prononcé et si l'idée qu'ils soulevaient lui avaient réchauffé le cœur un instant, ce n'était que pour le briser dans les secondes qui avaient suivies.
Il aurait voulu argumenter. Hurler son désaccord. Mais à quoi bon? Il avait vu la profonde tristesse qui emplissait le regard de la médecin et en rajouter ne ferait que la blesser plus cruellement. Et il avait juré de ne laisser personne lui faire de mal, ce qui l'incluait lui également... Il opina du chef faiblement et emboîta le pas de sa protégée. Il avait toujours un devoir à accomplir, après tout.
Message secret pour Baloo, Bahamut.Clostriana avait finalement rejoint la porte Est, suivie non loin par Sylas. Elle portait ce qui semblait être un petit panier garni de friandises et chercha un endroit où s'installer pour attendre la venue de ses camarades de route. En attendant, elle picorait des pâtes de fruits sans grande motivation, se frottant machinalement ses yeux rougis, le regard perdu dans le vide de sa réflexion.