Repérant d'un coup d’œil spectral le titre de l'ouvrage détenu par sa sombre comparse, pour peu qu'il ne soit pas écrit en japonais ou, mieux encore, carrément dépourvu du moindre titre, Vitam fit ensuite glisser son regard vers les pages. Y avait-il des illustrations ? Des mots qu'elle pouvaient comprendre ? Ou bien encore...

« Attendez avant de le ranger. Est-ce qu'il y a des noms ? Une date ? D'autres détails sur cette histoire ? Est-ce relaté en tant que fait ou légende ? Mieux vaut ne négliger aucune piste tant qu'ils nous permettent encore de nous laisser mettre les mains dessus. »

Et par "ils" , Vitam pouvait en mettre du monde, tant il semblait que beaucoup avaient décidé de lui en vouloir depuis quelques jours. Manquerait plus que ce soit à cause d'une chose dont elle ne se souvenait plus et ce serait coton pour essayer de reconstituer ce casse-tête (im)mortel !

« C'est une légende remontant à... l'Ere Asuka. Ah ouais, c'est pas tout jeune... C'est une légende assez vieille quand même, presque 15 siècles. Non, pas de noms précis. C'est une légende, les personnages ont constamment changé au cours des ages, jusqu'à nos jours. Enfin, le jour d'écriture de ce livre, qui date quand même d'il y a 200 ans.

Mais du coup, je me demande... »

Trouble lisait tout en suivant la ligne du doigt et elle ajouta:

« Si ça ne vous ennuie pas, faudrait aller lancer une recherche sur le net... Qui sait, si ça se trouve, il y a d'autres histoires sur le sujet... Et moi, les machines, c'est pas mon truc. Elles déraillent quand je m'en approche, c'est pour ça que j'aime les vieux livres...

Et faudrait élargir le critère de recherche. Peut-être que ça ne s'est pas produit qu'au Japon... »

« Ah, j'ai le même problème... mais j'ai peut-être la solution. »

Remarquant la position relativement stationnaire d'une humaine qui devait donc être la bibliothécaire, Vitam la posséda afin de passer outre ses soucis avec la modernité. Fallait juste espérer que la bibliothèque n'était pas construite sur les ruines d'un vieux cimetière appartenant à Inazami !

« C'est moi ou ça sent le moisi ? » demanda t-elle en retroussant le nez de son corps d'emprunt. « Ce doit être moi. »

"L'humaine" se dirigea vers les ordinateurs, puis rechercha tout ce qui avait trait de près ou de loin à la légende mentionnée dans le vieux livre trouvé par Trouble, s'aidant de cette dernière s'il était nécessaire de trouver de nouveaux mots clés sur Google.

Et Vitam chercha. Longtemps. Trèèèèèès longtemps. En fait, non, l'école était bien pourvue informatiquement parlant et elle trouva quelques histoires, parlant de fantômes, de liens et de possessions. Des personnes se retrouvant liées à un fantôme et le funeste destin qui avait très souvent attendu le mortel. Point de prophétie et d'élu évoqué mais toujours un lien entre les deux protagonistes des histoires. Qu'il soit amical, affectif ou familial, le lien était partie inhérente de l'histoire. Elle en trouva des récits venant des 4 coins du monde et de toutes les époques...

La plus récente était une histoire évoquant une Vitam et un Ujio, datant de 2016, sur un site étrange (et jaune) évoquant nombres d'histoires fantastiques mais le site crasha, les données furent perdues et l'empêchèrent de lire la suite.

Vitam continuait à fixer l'écran du PC, comme si ce dernier aurait pu finir par cracher sa pastille sous l'insistance de son regard.

« En 2016 ? J'aurais déjà été liée à Ujio il y a neuf ans ? Ça expliquerait pourquoi il n'a pas eu plus de réaction que cela en me voyant dans ce foutu cimetière et pourquoi il m'aurait aidé sans broncher... il savait déjà qui j'étais, et pas seulement dans le sens où il savait que j'étais un fantôme : il savait surement qui j'étais ! Dommage que le site ait crashé, j'aurais bien voulu savoir comment ça se finissait, cette histoire... »

La fausse humaine se mit à marcher en rond à l'aide de pas rapides.

« Mais je me vois pas lui sauter à la gorge, comme ça, surtout qu'il se pourrait que je vais un peu vite en besogne car CURLY m'avait "subtilement" indiqué de rechercher du côté des ancêtres. Et maintenant qu'on peut toucher au PC sans le griller... »

Elle avait reprit place sur la chaise de bureau et commença à retaper du clavier.

« ...je devrais pouvoir trouver des infos assez vite. Je connais pas son nom de famille, mais il parait que sur Internet on peut trouver tout ce qu'on veut alors on va voir si c'est vrai ! »

Hop, c'était reparti pour une nouvelle séance Google. Et étant donné que ce n'était pas très intéressant à suivre, la revenante meubla le temps en demandant à sa comparse :

« Dis Trouble, tes livres peuvent dire s'il est possible d'effacer la mémoire d'un fantôme ? »

Ce qui, étant donné l'emprise de l'autorité des Morts sur ses subordonnés, devait certainement être un jeu d'enfant pour eux.

Et Vitam chercha. D'abord, elle tape Ujio et... Facebook lui sortit 12000 références, wikipedia lui signifia l'origine du prénom et elle tomba sur une photo tiré d'un film du début du siècle, le dernier samouraï.

En ajoutant des détails comme le lieu et autres, elle finit par tomber sur la page facebook de l'ado. Son nom de famille ne lui évoqua rien de particulier et en farfouillant dans l'historique familial, elle tomba sur la page facebook de l'oncle, des grands parents et de la mère. Mais point de père évoqué...

« Mouais... » résuma Vitam en fermant une vidéo Youtube sur laquelle elle s'était retrouvée dessus sans savoir pourquoi, conséquence logique à force de farfouiller sur FB. « Y'a trop de pistes, trop de possibilités à explorer et rien que là, j'ai déjà l'impression qu'on est en train de s'éparpiller. »

Elle quitta alors le corps de la bibliothécaire.

« Je crois que je vais directement demander à lui ou à sa famille en fait, en me débrouillant pour que ça se passe bien. La recherche, me cacher, tout ce qui se fait dans le feutré... ça n'a jamais été pour moi : J'ai toujours été douée pour faire dans le direct jusqu'à maintenant, alors pourquoi être enfermée changerait cela ? »

La revenante esquissa un sourire en coin.

« Mais vous m'avez déjà beaucoup aidé Trouble et je vous en remercie. Vous pouvez disposer si vous le désirez. »

« Quoi? Mais non! Ça commence à être fun, votre histoire et j'ai envie d'en savoir plus! Et puis, vous parlez toujours pas japonais que je sache... »

Ne pouvant pas l'empêcher de venir, Vitam partit donc rejoindre Ujio pour le questionner directement sur sa famille et sa généalogie.

« C'est vrai, ça » acquiesça Vitam. « Alors vous allez faire quoi ? Je vous fais visiter, vous venez avec moi ? »

Avec ou sans Trouble, la fantôme partit voir ce que faisait Ujio. Elle ira lui parler dès que les circonstances le lui permettraient, quitte à attendre la fin du cours s'il le fallait car il ne lui restait que ça : Du temps.

« Je viens. Et puis, ça pourrait être marrant... »

C'est donc accompagné de Trouble que Vitam partit rejoindre Ujio et le trouva en plein cours de langues étrangères. Heureusement, la journée était bientôt finie et rapidement, la cloche finale sonna pour libérer son flot d'élèves vers les sorties. Ujio se retrouva donc rapidement seul et il récupéra son vélo, partant au plus vite en direction de chez lui. Il se doutait que Vitam devait le suivre mais il ne pouvait pas quitter la route des yeux alors il lança simplement:

« Tu as trouvé quelque chose d'intéressant? »

« Peut-être... » répondit vaguement Vitam qui souhaitait en savoir un peu plus sur l'entourage du jeune garçon avant d'éventuellement de lui faire part de ses troublantes découvertes, car autre chose la préoccupait et elle tenait à le faire savoir.

« Ujio, je peux te poser une question indiscrète ? »
Etant une sorte d'entrée en matière comme une autre, la revenante lui épargna le temps de réponse.
« Pourquoi tu m'as aidé ? »

Je mets mes sens en alerte pour la suite, sait-on jamais.

« Oui...c'est...non...ce n'est pas vraiment ce que...enfin... »

Voilà exactement pourquoi Vitam n'aimait pas tourner autour du pot. Mais elle voulait au moins attendre que Ujio soit rentré à la maison avant de cesser de botter en touche.

« Par curiosité par rapport à quoi ? Que je sois ce que je suis ? Je sais bien qu'avec l'explosion du nombre de métas sur Terre il soit de plus en plus difficile d'étonner le monde sauf que... comment dire...
Les gens sont certes intrigués, mais ils sont un minimum apeurés, dérangés, ou encore mal à l'aise quand ils rencontrent une personne à pouvoirs pour la première fois. Alors je te raconte même pas pour les fantômes !
Pourtant ça n'a pas l'air d'être ton cas. Limite on dirait que tout ceci te semble aussi naturel que d'aider une vieille connaissance. A t'entendre, on dirait que t'as tellement croisé d'entités surnaturelles dans ta courte vie que t'en serait presque blasé. Y'a tant de métas que ça au Japon ? »

« Non. Enfin, on en a mais pas tant que ça. Et c'est moins des métas que des gens avec de l'équipement de pointe... D'ailleurs, je crois pas qu'on ait de vrais méta au sens propre du terme... »

Ujio freina son vélo et se rangea sur le bas coté:

« Je sais pas, je devais être dans un bon jour à ce moment là? Mais dit à voix haute, c'est totalement pas crédible deux secondes comme théorie. Tu penses qu'il y a autre chose? »

« Vos "métas" sont du genre Iron Man ? D'accord. »

Les dires d'Ujio démontrèrent qu'il en savait au moins aussi peu que la revenante, aussi cette dernière hésitait de plus en plus à se montrer franche avec lui comme elle l'avait pourtant si bien vanté devant Trouble. Même un être peu porté sur les enquêtes tel que Vitam savait qu'il vaudrait mieux chercher des antécédents plutôt que de continuer à interroger le gamin. Mais l’extra-planaire devait profiter d'être (presque) seule avec lui afin de lui apprendre certaines choses. Car il était en droit de savoir, et il valait mieux que ce soit de sa bouche. Question d'honnêteté.

« C'est possible qu'il y ait autre chose, oui... » confessa t-elle finalement dans un souffle émulé.

« Il est dit que la mort attire la mort, alors il se pourrait que notre rencontre ne soit pas fortuite. Prédestinée si tu préfères, comme disent les non-cartésiens.
Pas dans le sens sordide du terme hein ! » s'empressa de préciser Vitam « Mais plutôt dans celui où il peut parfois arriver qu'un lien soudain entre esprit et vivant se crée dans le but de protéger quelque chose... ou quelqu'un. Qui serait cher à toi... à moi ou... »

L'être diaphane ferma les yeux.

« A nous. »

Au moins Ujio ne risquait pas de tomber de son vélo en ayant émit cette hypothèse autant hallucinante que possible. Par contre il était fortement probable qu'il ait une réaction pouvant osciller entre le rire incrédule et la fuite à toute jambes.

« Oh.

Ok. »

Ujio semblait aussi peu affecté par les révélations que si on venait de lui annoncer le menu du jour. Du moins, en apparence. Intérieurement, il bouillonnait et flippait sévère sa maman mais il n'en laissait rien paraître pour autant. Il aurait pu en remontrer à plus d'un niveau flegme, ce petit, comme dirait sans hésiter ce très cher Dandy.

« Et donc, ça aurait un rapport avec nous? Hmmm, je ne vois pas trop... On est pas de la même famille, quand même? »

« Je ne suis sûre et ne me souviens de rien, mais c'est une possibilité à ne pas négliger. Peut-être que tu pourrais m'en dire plus sur ta famille, pour commencer ? »

« Mais en marchant et en refermant ton col, parce que dorénavant ta santé est un peu la mienne et que j'ai pas envie de me réveiller à nouveau avec la crève ! » ajouta t-elle en plaisantant afin de tenter de détendre l'atmosphère. A sa façon.

« Bah, pas grand chose. Ma mère travaille comme une folle, elle descend d'une famille du Kansaï mais elle a été faire ses études aux états-unis, en ingénierie robotique. Mon beau-père, lui, travaille dans le droit ou les affaires, je crois. C'est un peu trop compliqué pour moi.

Pour ce qui est de mon père... j'en sais rien. Elle l'a rencontré pendant ses études et elle ne l'a jamais revu...

Mes grands-parents sont encore en vie et j'ai deux oncles et une tante qui vivent pas loin de chez eux. Si tu pouvais être plus précise sur ce que tu veux savoir, je pourrais peut-être t'en dire plus. »

Le jeune homme remit son col correctement et se couvrit, lançant un regard amusé à Vitam de la voir "s'inquiéter" pour sa santé.

La revenante lui renvoya son regard amusé en guise d'approbation.

« Je ne sais pas trop en fait » avoua Vitam tout en continuant à suivre Ujio. « On pourrait commencer par lister tous les décès féminins dans ta famille, ce serait un bon début. M'étonnerait que j'en fasse partie, mais au pire je me dis que connaitre un maximum de choses sur ta généalogie pourrait nous donner des indices sur comment rompre le lien. »

Bien qu'elle mentait en partie sur cette dernière affirmation, la fantôme restait convaincue, à l'instar de CURLY, que les ancêtres du gamin avaient quelque chose à voir avec son "enfermement" actuel.

« Faudrait qu'on demande à ta mère. Ou à tes grands-parents. Voire aux albums photos de tes arrières-grands-parents et au-delà, parce je pense que ce qu'on doit chercher, s'il y a quelque chose à trouver, doit remonter assez loin ! »

Etat de mort avancé oblige, Vitam se voyait toujours plus vieille que ce que son apparence et son comportement laissaient (trans)paraître.