Vitam n'avait pas répondu à Sergei, la fantôme étant décidément trop dans le jeu.

« Huit... Neuf... Dix ! J'arrive ! »

Elle ouvrit enfin les yeux à la recherche du petit Kaido, le destin allant sûrement lui en donner pour son argent.

Sergeï regarda les fantômes jouer avant d'apercevoir les hommes en noir.

« Et encore des camarades de jeu... Du coup vu qu'on commence à être nombreux on fait quoi ? Une partie de balle aux prisonniers ? »

Considérant mieux son environnement grâce à la remarque du Shaman, Vitam répondit :

« Ah parce que les men in black sont de la partie, maintenant ? »

Elle dévisagea les hommes en noir en question afin de connaitre leur réponse ou, à défaut, de les identifier à travers leur aura mystérieuse.

Les hommes en noir, sans visage, ne semblaient pas remarquer la présence de Vitam et Sergeï, comme les villageois. Ils commencèrent à avancer vers les rizières et lorsqu'un des hommes se porta à leur rencontre, l'un des hommes masqués s'avança et d'un geste, dégaina et poignarda l'homme sans hésiter.

Des hurlements se mirent à fuser parmi les femmes, ce qui était perturbant vu qu'elles étaient toutes dépourvues de bouche, et la panique commença à s'installer. Restait Kaïdo, qui jouait, serein, comme si rien ne se passait autour de lui...

« Faudrait faire quelque chose, non ? » demanda Vitam, aussi bien à Sergei qu'à Kaido.

Car si l'écart émotionnel entre les hurlements des habitants et le calme olympien du rônin supposé renforçait l'hypothèse d'une sorte de vitrine réaliste représentant une ou des bribe(s) de souvenir(s) de ce dernier, faisant de toute cette scène une sorte d'illusion aussi réaliste que sordide, il était cependant impossible pour les antennes émotionnelles de la revenante d'ignorer la détresse, même "retranscrite", des femmes de la rizière. C'est pourquoi Vitam ne marcha pas, mais courra dans le panneau en repoussant les hommes en noir de leurs victimes en tentant de les plaquer contre les murs du château pour essayer de les sauver, et tant pis si cela provoquerait un paradoxe ou un truc du genre, la fantôme n'étant pas vraiment en position de réfléchir aux conséquences futures de ses actes.

La décharge télékinétique propulsa les hommes en arrière mais ils se relevèrent sans mal, reprenant leur avancée. Vitam vit du coin de l'oeil des paysannes fuir et se retrouver nez à nez avec des hommes en armure, maniant d'énormes lames à deux mains, qui commencèrent à les faucher comme les blés murs.

« Ouais, ouais j'arrive. »

Sergeï vit Vitam projeter les hommes en noir qui se relevèrent sans problème et se mit à réfléchir. Ne trouvant pas de solution il se décida à utiliser ses pouvoirs de manière variée pour essayer de trouver un truc. « On va essayer hein, comme dans les boites du petit chimiste de quand j'étais petit. »

Le russe en enfer se concentra et balança une boule de feu sur un homme en noir avant d'embrocher le second sur un stalagmite de glace. Respirant calmement il tenta de repousser les hommes aux imposantes lames par des bourrasques afin de les éloigner des femmes hurlantes. S'il parvenait à les éloigner il les écraserait sous terre.

Et enfin il décida de changer certains hommes en fleurs parce que l'enfer c'était moyennement coloré quand même et qu'un peu de déco ça ferait pas de mal.

Tel un Jean Michel Jarre de l'extrême, Sergeï déclencha un spectacle son et lumière de toute beauté, embrochant à tout va, transformant à qui mieux mieux et brûlant autant que faire se peut, l'effet se faisant cette fois nettement ressentir.

Sergei était peut-être un bon chimiste, la revenante avait encore du répondant en réserve. En effet le tempérament opiniâtre, mais aussi et surtout le côté intangible des men in black n'ayant pas échappé à Vitam, cette dernière décida de passer à la vitesse supérieure avant qu'il ne soit trop tard. Canalisant son énergie essentiellement à partir des émotions négatives l'entourant, ce furent des yeux vides de toute bienveillance qui fixèrent une ombre tueuse, puis une autre -et ainsi de suite s'il le fallait- en intimant ce simple mot, sobre, clair et net, détonnant nettement avec le spectacle sons & lumières initié par le Shaman :

« Tombe. »

A grand renfort de ses pouvoirs, la fantôme stoppa nombres de vils hommes en noir qui s'effondrèrent, catatonique sur le sol mais d'autres surgirent de l'autre coté, vers là où s'enfuyaient les villageois et commencèrent leur triste tâche, découpant, tranchant et mutilant à tour de bras.

Mais tout cela commença à s'effacer devant les yeux du duo tandis que tout devenait blanc autour d'eux pour finalement laisser apparaître ce qui semblait être la cour intérieure d'un château. Au centre de celle-ci, attaché entre deux poteaux, se tenaient ce qui devait être Kaïdo, affaibli et en piteux état. Deux hommes discutaient à une fenêtre et un seul des deux semblait avoir un visage mais de là où se trouvaient le duo, ils ne pouvaient pas entendre ce qu'ils se disaient.

Ils semblerait que le duo venait de passer au stage suivant, mais un être attaché ressemblant à un genre de Kaido en plus jeune par rapport à celui que la revenante connaissait se tenait au centre de la cour en lieu et place d'un quelconque boss de fin de niveau.

« Viens ! » avait-elle dit/ordonné en passant sa main au travers de celle de Sergei afin d'activer son pouvoir d'invisibilité sur le Shaman en plus de sa personne.

« Approchons-nous, ils ne devraient pas détecter notre présence. Je veux savoir si nous avons encore affaire à un de ces espèces de pseudo-souvenir » précisa Vitam avant de tout d'abord se mouvoir jusqu'au prisonnier, ses sens surnaturels en exergue pour savoir si sa vue ne lui jouait pas des tours, puis ensuite jusqu'aux deux pipelettes dans le but de savoir de quoi ils parlaient.

Vitam et Sergeï approchèrent des deux en train de discuter mais, visiblement, ils ne purent entendre qu'une seule des deux voix. Celui n'ayant pas de visage étant aussi privés de bouche, cela s'avérait logique. De plus près, ils purent aussi détailler celui qui en avait un de faciès. Un visage taillé à la serpe, des cheveux et sourcils broussailleux qui surmontaient une barbe de 3 jours pas entretenus, Vitam aurait pu le confondre avec Kaïdo si il n'y avait pas eu ce regard d'un bleu acier posé sur le garçon en bas, empli de compassion:

« Je comprends qu'il doit être puni pour l'exemple mais les faits démontrent...

Oui, les faits n'excusent rien, il a tué un de ses camarades et, de fait, priver nos maîtres d'un homme sans en avoir l'autorisation mais...

Non, je n'essaye pas de le défendre, je tiens juste à démontrer qu'il s'en est pris à quelqu'un de plus vieux et plus fort, qui lui avait pris sa nourriture depuis deux jours et pourtant, il l'a battu sans efforts. Le perdre serait dommage, il semble avoir un grand potentiel...

Oui, s'il le faut, je le formerai, oui... Oui, je sais ce que ça implique mais nous devons tous servir nos seigneurs et il le fera de façon plus utile qu'en le laissant pourrir sur un poteau.

Bien, j'en prends donc la responsabilité. »

L'homme au visage disparut de la fenêtre pour réapparaître en bas, retirant les fers du garçon attaché et l'aidant à s'allonger:

« Chut, laisse toi faire. Dis-moi, quel est ton nom, mon garçon?

Hrm... Non, ça ne fait pas très épéiste, ça... A partir de demain, tu te nommeras... Kaïdo et je serai ton maître, Ita. Mais aujourd'hui, tu te reposes et tu guéris. »

La scène recommença à virer au blanc pour encore une fois changer. Cette fois, le duo se retrouva dans ce qui semblait être une demeure traditionnelle japonaise et l'endroit aurait pu être charmant si on faisait abstraction des corps lacérés et d'un kaïdo d'une vingtaine d'années visiblement couverts de sang, en train de savourer un verre de sake.

La sombre ballade des souvenirs continuait pour cette fois-ci emmener Vitam et Sergei devant une demeure typiquement japonaise. Bien qu'ayant une issue différente, la scène n'étant pas sans lui faire écho avec celle macabre du cimetière, aussi la fantôme fit comme lors du dernier flashback en observant silencieusement les choses, accompagnée de son comparse spectateur invisible qu'était le Shaman russe.

S'ils ne se trouvaient pas au beau milieu d'un genre de trip mystique, la revenante se serait bien commandé un seau de pop-corn sur la route.

« Encore là? »

L'épéiste savourait son verre de sake, confortablement installé au milieu des corps mais son regard se portait cette fois vers Vitam et Sergeï.

« Euh... Ouais ?
Tu sais bien qu'en tant que fantôme, je suis du genre à être partout et nulle part à la fois. »

Kaido la connaissait suffisamment bien pour ne pas avoir à lui expliquer tout ce que cela pouvait insinuer, d'autant plus que ce n'était pas le moment et qu'il y avait plus important.

« Encore des amis à toi qui ont essayé de te vendre un décès express ? »

L'inverse était aussi vrai, Vitam ayant largement assez côtoyé le rônin méta-flic à ses heures perdues pour savoir que bien des personnes souhaitaient sa mort, ne serait-ce qu'à cause de cet ancien métier qu'il avait exercé en "intérimaire".

Etant donné qu'il avait l'air d'être inutile, Vitam retira le voile d'invisibilité avant d'observer les corps mutilés par le rônin.

« Euh... Ok... »

En temps normal, sans doute qu'elle se serait contenté de cette brève explication menant à leur mort, entre autre à cause des nombreux ennemis que Kaido avait la fâcheuse tendance à cumuler. Mais, rendue un peu méfiante par les précédentes visions, la revenante scruta davantage les membres composant le charnier : Ressemblaient-ils à des soldats ou à des policiers et surtout... étaient-ils seulement armés ?
La réponse à cette question attendra un peu, vu que la seconde la mit dans tous ses états, tant elle l'avait abasourdie au point d'en perdre la moitié de ses mots !

« Mais, mais, mais... Kaido... t'es irremplaçable... comme tout le monde ! »

Ces derniers mots étant prononcé d'un ton différent et surtout à une vitesse plus élevée, on était en droit de se demander si ceux-ci étaient prévu dans la réponse initiale ou non. La suite en revanche fut moins mélancolique et surtout, bien plus vive.

« Alors qu'est-ce que tu veux dire par remplacer d'abord ? Qu'est-ce que Bill et Rodriguo ont à faire avec notre histoire ? Surtout Rodriguo, ce n'est qu'un enfant et... »

Puis les décibels grimpèrent encore d'un cran lorsque ce qu'il servait d'émotions à la fantôme s'exprimèrent à sa place.

« Et puis merde c'est pas la question !
La vraie question c'est "Pourquoi tu joues à chat avec nous depuis tout à l'heure si tu savais qu'on te suivait ?" T'as rien entendu, rien ressenti, depuis que t'es ici ? Non ? Parce qu'il a invoqué plein de trucs et de machins pour ramener ton âme sur Terre bordel ! »

Peu au fait des détails techniques ayant mené à ce miracle de la Nature, Vitam désigna rapidement le Shaman responsable des faits avant de se détendre un peu, suite logique à toute cette tension explosive tout juste relâchée, qu'elle n'avait pas pour habitude de cumuler autant. Sans compter qu'on réfléchissait beaucoup mieux lorsqu'on n'avait plus les nerfs fantomatiques à vifs, en particulier sur les petits détails qui clochaient : Le changement de voix soudain du Kaido enfant, les traitements subis par le Kaido adolescent, puis maintenant... ça. Ses doutes se condensèrent en un seul bloc, comme si la revenante venait de retrouver le dernier coin lui permettant de compléter un puzzle. Bien moche.

« A moins que... nous non plus, on ne t'ennuie pas vraiment... »

Voilà qu'était en réalité la véritable interrogation.

« Mon âme sur Terre? Pour me ressusciter? »

Kaïdo ricana froidement avant d'ajouter:

« Je suis dans mon enfer personnel, condamné à revivre les pires moments de ma vie et tu sais quoi? Je pense que je l'ai mérité, au vu de ce que j'ai fait...

Et non, toi, tu ne m'ennuieras jamais. Lui, par contre, j'dis pas mais là, j'suis pas d'humeur à me la jouer Ginsu boy avec lui... Surtout au vu de ce qui arrive... »

Vitam voyait bien des personnes lui sortir l'excuse d'une prétendue rédemption, mais Kaido n'en faisait aucunement parti. D'autant plus que la fantôme avait un avis plus que péremptoire sur la question.

« C'est des conneries, ces histoires de bien et de mal bien rangé dans des petites cases, je suis bien placée pour le savoir ! On dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions et c'est vrai, sauf que ceux qui disent ça ne connaissent pas l'envers du décor et que les autres mondes parallèles sont aussi peuplé de gros cons, paradis compris !

Puis qui c'est qui t'as condamné ici d'abord, que je lui en touche au moins deux mots et plus si non-affinité ? C'est lui qui arrive ? »

La revenante regarda autour de soi en cherchant elle aussi à voir "ce qui arrive" .

« Non, ce qui arrive, c'est l'une de mes plus grandes hontes... »

Vitam et Sergeï entendirent la porte grincer et une voix féminine appeler. Des pas se firent rapidement entendre, quelqu'un remontant le chemin pavé menant au jardin.