Brandon frissonna en imaginant ce qu'Alee évoquait et le diablotin soupira avant de rentrer dans le salon. A l'intérieur, l'immense canapé en forme de U faisait face à un écran géant et tout un système de jeu à faire palir d'envie n'importe quel gamer, retro ou classic. Un des murs étaient couvert d'une bibliothèque avec des jeux vidéos pour toutes les consoles en place et une porte coulissante donnait sur une salle à manger spacieuse où on pouvait deviner une cuisine.

Un escalier grimpait à l'étage et un petit couloir semblait aussi mener à d'autres pièces au même étage.

Puis, le bruit d'une chasse d'eau se fit entendre dans le petit couloir, une porte commençant à s'ouvrir.

Quelques cliquetis impatients alors que l'IA trépignait sur place, plusieurs sifflements admiratifs puis un certain nombre de « Whooooaaaa » enthousiastes, Aleethëa avait clairement du mal à rester silencieuse devant le spectacle qui s'offrait à elle. Bon en soit, c'était finalement pas grand chose mais on ne pouvait difficilement enlever à un être artificiel - à la mémoire supposément parfaite - la capacité à s'émerveiller à nouveau devant quelque chose de connu.

« Ouep, pas de doutes, on est bien chez Zelda ! »

Mais même Aleethëa fut capable, en entendant le bruit de la chasse d'eau, de se dire qu'il était peut-être temps de se faire discrète. En grande partie parce que, si on était bien chez Zelda, alors il y avait fort à parier qu'elle devait en redouter les mêmes punitions devant une telle transgression. Ou menaces de punition tout du moins. Et étant donné l'inventivité de l'ado dans ce domaine, heureusement qu'elle n'en restait qu'au domaine des idées. Les capteurs de l'IA parcourant l'ensemble de la salle à la recherche de cachettes, elle en identifia quelques unes. Que son hologramme tenta d'indiquer par le truchement d'un langage de signes complexe qu'elle avait autrefois appris alors qu'elle était déployée dans un vaisseau militaire. On avait toujours cru qu'elle n'en avait pas compris le langage. Alors que c'était sur les instructions qu'on lui donnait qu'elle était larguée. Difficile de dire ce qui était le plus humiliant.

En tout cas elle faisait des efforts pour indiquer à ses compagnons de se cacher pendant qu'elle-même attendait de voir ce qui allait débouler de l'étage. Après tout, elle était presque dans son bon droit.

Et une jeune fille de sortir des toilettes. Elle bailla et avança les yeux à demi-fermés et entra dans le salon. Puis elle observa Aleethea en silence. Puis elle haussa un sourcil:

« Maman a encore laissé trainer ses jouets... Tu me comprends? Allez, viens là, je te ramène à l'atelier, avec tes copains. Je te ferai pas de mal, promis. »

Et la jeune fille commença à avancer vers Alee, les mains tendues, pour l'attraper, enfin une main tendue, l'autre ayant attrapé un trophée d'E-sport qu'elle cachait dans son dos.

Alee connaissait cet air. Et cette façon de parler. Oh il y avait bien quelques subtilités que sa vision - très performante au demeurant, la faute reposant bien souvient plutôt la prise de décision en bout de chaîne - captait comme différentes de la Zelda qu'elle avait toujours connue. Un jeu d'acteur au-dessus de l'habituel, une tenue aussi surprenante qu'inadaptée et, étrangement, des traits un peu plus jeunes que son homologue. Mais, pour le reste, elle avait l'impression de reconnaître là la façon qu'avait son amie de faire quand elle avait fait une connerie et ça n'était généralement pas annonciateur de super moments pour l'IA. Aussi la conduite la plus prudente était sans doute de partir au plus vite, ou d'immobiliser la propriétaire des lieux. Mais...

Mais peut-être avait-elle changé ? C'était une autre Zelda, d'un autre univers et d'un autre âge. D'une apparence même assez différente en fait. L'IA était plutôt physionomiste : c'était plus simple pour un programme conçus pour ça que pour un organique produit par l'évolution. Mais, tout comme l'évolution avait doté les primates d'une capacité développée pour reconnaître leurs semblables, les senseurs d'Aleethëa pouvaient parfois pêcher quand il s'agissait de distinguer des organiques aussi proches physiquement. Surtout que, son modèle était destinée à un univers de races sentientes différentes dont les humains n'étaient qu'une minuscule partie. Et le principe d'une progéniture aux caractéristiques héritables qu'une particularité. Tout ça pour dire que, même une IA particulièrement performante, des fois ça bug. Alors Aleethëa...

En plus de ça, même la "vraie" Zelda n'avait que très rarement mis ses menaces à exécution - une faille dont Aleethëa avait fini par fréquemment profiter - et il était admis qu'on se bonifiait avec le temps. Les organiques en tout cas. Pour les machines c'était plutôt l'obsolescence programmée. Et puis restait qu'elle se devait d'obéir à Zelda, celle-ci ou une autre - qu'elle chougnât bien souvent par principe aux instructions n'enlevant rien à la finalité.

Autant dire donc que l'IA était en proie à un cas de conscience pas évident pour elle. Elle décida donc d'appliquer une stratégie assez efficace lorsqu'elle voulait s'éviter de prendre une décision si complexe qu'il était difficile d'en calculer tous les embranchements (et une stratégie au demeurant largement appliquée par la majorité des appareils électroniques, quand bien même c'était un secret bien gardé) : simuler une panne. Le céphalopode mécanique s'effondra donc à terre, dans un « paf » pas très glorieux et désactiva son hologramme.

Après tout, ça avait jusqu'à présent bien marché au moins 53% des fois où elle l'avait tenté. C'était pas si mal.

Et la jeunette observa le corps sans "vie" du robot avant de dire:

« Bien essayé mais on me la fait pas à moi. »

Et la jeune se jeta en avant, sur Alee, pour la saisir à pleine main:

« Ah ah! Je te tiens! Alee, tu peux me dire ce que c'est? Histoire que j'essaye pas de tenir un agitateur d'intestin, comme la dernière fois... »

« Analyse en cours. . . . . »

La voix était la même que celle de l'écran d'accueil.

« . . . . . . ! »
« . . . . . ! ! »
« . . . . ! ! ! »

« Analyse terminée. Ceci n'est pas un agitateur d'intestin. »

« Toujours au point, Alee, comme toujours. »

[dit=]Ceci est une intelligence artificielle de catégorie 5. [/dit]

« 5? Mais... Tu es de catégorie 5 et tu es la seule qu'on connaisse. Et t'es même pas de ce monde! »

« En effet. »

« Quelqu'un en aurait développé une? »

« Peu probable, vous en êtes encore à la catégorie 3. »

Et pendant que les 2 discutaient, Zelda et Brandon s'esquivait discrètement vers la porte... Le diablotin, lui, avait pris la forme d'un pot de fleur et attendait patiemment.

Soudain, on toqua. La gamine toqua sur la coque d'Alee:

« Y'as quelqu'un? »

Aleethëa tenta de continuer à faire illusion, se retenant de faire la moindre bruit alors qu'on l'attrapait et la soumettait à analyse non consentie. Même si elle dut faire un effort particulier pour ne pas réagir à la place de son homonyme lorsque la jeune fille s'adressait à cette dernière. Bien sûr qu'elle était intriguée par ce qu'il se disait. Il était un peu trop facile de considérer l'IA comme simplement stupide alors que les réactions les plus... originales de son fonctionnement était plutôt un effet cumulé de manque d'attention, d'un intérêt surdéveloppé pour tout et de capacités sensorielles qui lui permettaient de capter - presque sans filtre - tout ce qui se déroulait autour d'elle. Mais là, elle avait la possibilité d'écouter les deux protagonistes échanger et de réfléchir. Et d'en tirer la conclusion évidente : ça devait pas être super agréable, un agitateur d'intestin. Pour qui possède un intestin en tout cas. Ou pour qui se trouve à proximité d'une personne possédant un intestin et la cible dudit engin.

Ah oui et aussi il y avait une bonne probabilité qu'elle ait rencontré son alter ego d'une autre dimension. Ce qui était logique en vrai, même si cette possibilité ne lui avait jamais traversé l'esprit. Restait qu'elle en avait bouffé du contenu sur les dimensions parallèles et autres multivers. Parfois scientifique, souvent animé. Essentiellement de fiction. Mais du contenu néanmoins. Et ça la poussait actuellement à la prudence quant au fait de rencontrer son double d'un autre univers. Ou à une prudence toute relative étant donné sa pénurie habituelle dans ce domaine.

Elle ne répondit donc rien lorsque la jeune fille toqua contre sa coque. Au début en tout cas. Il lui fallait être patiente, qu'elle joue le jeu. Pendant un temps. Suffisamment pour faire illusion. Quelques heures sans doute ? Trop long. Disons une dizaine de minutes. Elle pouvait le faire ça. Ou au moins 2 - 3 minutes, la dizaine c'était plus par sécurité. Mais maintenant, elle était une combattante multi-dimensionnelle, elle n'avait que faire de la sécurité. Allez disons 10 secondes. Elle pouvait tenir 10 secondes. 1... 2...

« Non il n'y a personne ! Enfin il n'y a que moi ! Bien sûr qu'il n'y a que moi ! »

Une petite lueur rougeâtre se tourna en direction de la jeune fille, avant que la machine n'ajoutât :

« T'es pas Zelda en fait. »

« Bah non. Zelda, c'est ma mère. Mais tu fais quoi ici? D'où tu sors? »

Et la petite commença à rembarquer Alee vers l'étage.

« On va aller voir maman, si tu la cherches. »

« Ah oui ta mère. » Quelques micro-secondes sans un mot ni une réaction. « Attends... ta mère ? » Et l'IA de laisser échapper un petit cri de surprise qui se transforma assez vite « Aaaaaw... ta mère ! »

Zelda ne devait pas être beaucoup plus âgée que la jeune fille lorsque l'IA l'avait rencontré aussi Aleethëa ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine nostalgie en rencontrant la fille de son amie. Si en tout cas on mettait de côté toutes les considérations de voyage à travers les dimensions, de décalage temporel et ce genre de choses peu importantes par rapport à l'instant présent. En tout cas Alee, ayant maintenant largement oublié la raison de sa présence ici devant une telle révélation, se laissa transporter par la jeune fille sans broncher, allant même jusqu'à réactiver son hologramme à une taille qui lui permettait d'être au même niveau que le visage de l'organique.

Elle avait tant de choses à lui demander ! De questions à lui poser ! Ça ouvrait tant de possibilités ! Et même, venant d'un coin de ses circuits pervertis par le diablotin à force de l'avoir trop côtoyé ces derniers mois, elle se disait que ça donnait aussi des larges possibilités pour charrier Zelda ou Brandon. Mais ça n'était pas son genre et il n'y avait déjà probablement pas assez d'une vie d'organique pour l'ensemble des questions qu'elle avait pour la jeune fille. Et c'était sans même parler de ce qu'elle voulait aborder avec son propre double dimensionnel ! C'est vrai quoi, pour une fois qu'elle aussi avait le droit à ce genre de divertissements.

Néanmoins, la proposition de son transport bipède la coupa un moment dans ses réflexions. Et la recentra sur ses objectifs. Ou disons plutôt qu'elle choisit de déplacer suffisamment la position de ces objectifs pour que ça colle aussi avait ce qu'elle avait envie de faire. Elle choisit donc de répondre à la jeune fille, tentant de créer du mystère derrière ses mots :

« Je viens d'une autre dimension... » Puis proposa « Je te dis tout si on peut aller en discuter dans un coin tranquille plutôt qu'avec ta mère ! »

« Ah, un double dimensionnel.

Encore.

Je pense qu'il vaut mieux que tu vois maman, c'est elle la scientifique, j'entame a peine mon doctorat, moi...

Mais attends... Si tu connais ma mere... tu connais celle de ta dimension? Elle est comment? Vu ton niveau technologique, elle doit surement etre pilote de mecha ou pirate de l'espace? Voir mecha-pirate!

Alee, fais vibrer l'anneau de maman et dis lui de me rejoindre dans ma chambre.

On va papoter avec ton autre toi. »

Un pouce blru holographique apparut dans le couloir avant que l'adolescente ne retourne dans sa chambre avec la robote. A l'interieur, tout ce qu'on pouvait attendre de trouver dans la chambre d'une Caine, a savoir un lit, un bureau espace de travail surmonté de livre et de croquis mais surtout une station de jeu complete retro gaming ainsi qu'actuel.

Deblayant le bureau rapidement, elle y posa Alee avant de demander:

« Alors, vas y, racontes moi tout. »

La jeune fille n'avait pas l'air surprise. C'était presque décevant. D'autant plus pour Aleethëa qui aurait eu tellement de choses à lui expliquer à ce sujet ! Sur les dimensions parallèles, leurs règles et toutes les saveurs différentes que pouvait avoir l'atmosphère ! Mais tant pis, il y avait déjà sans doute bien assez à faire et peut-être après tout que l'organique se contenterait de seulement quelques heures d'explications. Peut-être faudra-t-il que l'IA rallonge un peu, ajoute quelques détails, quelques fioritures, pour ne pas que son interlocutrice ne se sente volée d'une belle histoire.

Donc, raconter tout.

« Aloooors... tout a commencé lorsque... Oh ! »

Un signal qui traversa ses neurones, quelque chose à régler avant de commencer ! Et Alee de se permettre d'insister :

« En fait je pense que ça serait vraaaaaaaaaaiment mieux si tu disais à te mère de ne pas venir. Vraiment, vraiment. Genre... vraiment. Pas tout de suite en tout cas. Sinon je vais sans doute devoir lui mentir et je suis super douée à ça mais j'aime pas donc je le fais pas. Et en même temps je devrais quand même. Tu vois le problème ? »

Même si les humains étaient souvent bien moins compréhensifs quant à l'inéluctabilité des paradoxes pour les machines, elle espérait que la jeune fille l'écoute.

« Bon donc je reprends. Tout a com... Ah avant ! » C'est vrai, à vouloir raconter son histoire, elle en oubliait les politesses les plus élémentaires. « Tu t'appelles comment ? Zeeel... » Alee essayait de se rappeler les règles de nommage chez les humains. Généralement c'était complexe, en tout cas chez la plupart. « da... da ? » Puis ceci réglé, reprit :

« Donc tout a commencé quand j'ai été créée en 1994 - 1994 de chez moi -, c'était sympa, en tout cas plus sympa qu'avant que je sois créée. D'ailleurs si on veut bien comprendre je pense qu'il faut remonter encore avant, à la création de mes créateurs. Ou à la création de la première IA ? Je commence où, avec le turc mécanique ? C'est de chez vous ça mais bon. Ou alors... »

Puis peut-être que ce fut une réaction - plus ou moins imperceptible - sur le visage de Zelda 2.0, du genre proche de celles de sa mère et dont elle savait maintenant prédire la suite peu agréable. Ou peut-être que ce fut un bug. Ou enfin peut-être que les années passées en compagnie d'organiques avec peu ou prou ou pas du tout de patience et un algorithme d'apprentissage pas si déglingué que ça avaient fini par inculquer quelques bonnes pratiques conversationnelles à Alee malgré ses automatismes les plus profonds. Mais en tout cas, l'hologramme s'arrête de parler, secoua la tête, laissa échapper un soupir, puis reprit :

« Ok, nan attends. En fait je m'appelle Aleethëa et je viens d'une autre dimension, accompagnée d'une autre Zelda et d'un autre Brandon. Et d'un Peyote, et de quelques magical girls et d'autres gens plutôt sympas ! On est partie parce que notre dimension s'est faite attaquée par un espèce de truc très méchant. Celle-ci et quelques autres dimensions qu'on a traversées après d'ailleurs ! Mais normalement on l'a enfermé pour toujours donc on devrait être tranquilles ici. Von Mood et moi on est restées derrière pour le piéger pendant que les réfugiés et moi on venait dans votre dimension. » L'IA faisait un effort conséquent pour trier les informations qui intéresseraient son interlocutrice - en dépit du bon sens qui ne ferait pas un tel classement et accepterait de passer quelques jours de plus histoire d'avoir tous les détails - et en restituer malgré tout le maximum. Une tâche difficile, générant chez son hologramme une mimique très visible de pénibilité. « Et du coup Zelda - enfin ma Zelda, enfin c'est plutôt moi qui suit son ALTA mais tu vois l'idée - elle voulait savoir à quoi ressemblait son homologue ici. Son Brandon aussi. Enfin c'est pas encore son Brandon d'ailleurs. D'ailleurs je trouve que c'est mieux de se dire que ni l'un ni l'autre n'est vraiment le quelqu'un DE cet autrui. Tu vois ce que je veux dire ? » Certes il y avait encore un peu de travail. « Parce que dans ma dimension Zelda elle est... bah elle est pas beaucoup plus âgée que toi. Et je suis là - seule - pour me renseigner. Mais c'est mieux si ta mère est pas au courant du coup. »

Peut-être était-il aussi clair à présent pourquoi Alee n'avait toujours été utilisée que très éphémèrement dans le cadre d'activités criminelles.

La jeune fille ecouta tout en prenant des notes:

« 'Teressant... Donc tu voudrais dire que tu viens d'une realité alternative non seulement au niveau spatial mais surtout temporel?

Donc, ca ferait d'elle, et de toi, des perpetuels. Des etres qui existent dans chaque dimension, meme dans des versions differentes.

Peyote, tu dis? Non, connais pas mais en meme temps, perpetuel ou pas, etc etc...

Donc, ta Zelda aurait mon age? Han, j'ai grave envie de la rencontrer, ca pourrait etre tellement drole, histoire de voir si papa raconte la verité. Genre qu'elle lui en a fait voir des vertes et des pas mures.

Ok, je dirais rien a maman, Alee, annule l'alarme de maman.

Mais il faut grave que tu me la fasses rencontrer. Parce que t'es venue seule, bien sur. »

« Des êtres perpétuels... » Aleethëa en avait du bruit blanc dans les senseurs. Pas parce que ça faisait d'elle un genre d'être supérieur - ou, a minima, un peu plus unique que la moyenne (ou un peu moins unique du coup ?) - mais parce que ça ouvrait plein de questions et de possibilités sur le fonctionnement des dimensions parallèles. « Après on n'a pas été vérifier si on existait dans les autres dimensions qu'on a traversées ! Seulement celle-ci ! » L'IA eut quelques cycles de réflexion avant d'ajouter « Et puis... si tes parents sont des perpétuels, peut-être que toi aussi ! »

L'IA était néanmoins perplexe. Elle n'était pas conçue pour tirer la moindre satisfaction de son hypothétique statut inter-dimensionnel. Par contre ça impliquait une infinité d'autres Aleethëa avec lesquelles interagir. Elle avait certes déjà interagi avec d'autres IA de la même génération qu'elle mais ça n'était pas pareil. Ça avait évidemment été un chouette moment mais ça n'était essentiellement que quand l'être synthétique était "jeune" et dans un but purement technique d'apprentissage. Comme un genre de garderie en plus bruyant, plus électronique et un peu moins souillée de fluides corporels. Encore que... Et c'était toujours mieux que d'interagir avec la génération de psychopathes qui la précédait. Et encore mieux que la génération condescendante suivante. Mais en tout cas, ça ne devait clairement pas être la même expérience qu'avec une autre version d'elle. Aussi...

« Et ton Alee vient avec nous ? J'ai pleeeeeeein de choses à lui demander ? »

Oui parce que quel que fut le plan initial - celui qui l'avait amené dans cette maison et qui avait dû être conçu il y a... probablement trop longtemps - l'IA n'avait pas été difficile à convaincre pour présenter Zelda à descendante-génétique-de-Zelda. Même si son professionnalisme et surtout sa programmation ne pouvaient lui permettre de simplement révéler ce que l'adolescente avait sans doute déjà compris dès les premiers mots d'Alee :

« Oui oui toute seule mais... tu vois... je sais comment contacter ma Zelda alors si on va dehors... » Avant que tout ça n'ait plus d'importance devant toutes les opportunités qui se présentaient à elles « Peut-être même qu'on pourra te montrer notre vaisseau ! Ya une machine à glaces super ! Et des chouettes armes ! C'est purement pour la défense bien sûr hein ! Et le Porteur est sympa ! Il fait genre qu'il est sévère et tout mais en vrai c'est juste un genre ! » Mais chaque chose en sont temps, Aleethëa terminant finalement par « Mais bref ! Faut aller dehors ! »

Et la machine de ne pas faire le moindre mouvement dans ce sens, laissant aisément penser qu'elle escomptait bien parcourir le chemin retour de la même manière que l'aller : en se laissant porter. C'est qu'on pouvait tout à fait n'avoir aucun problème de fatigues, crampes ou acide lactique et tout de même apprécier esquiver le moindre effort.

« He, dormir ! »

L'IA n'était pas vraiment moqueuse, pas du genre à se vanter et encore moins prompte à exacerber les comparaisons entre organiques et mécaniques. Puisque tout le monde savait bien que les être mécaniques étaient de toute façon bien supérieur. Mais d'une supériorité humble et paternaliste. Pour aider avant tout leurs créateurs de chair à s'élever. Sauf quand les machines décidaient de se lancer dans le génocide pur et simple. Mais Alee n'avait jamais vraiment été très convaincue par ce genre de méthodes un peu controversées. Dans tous les cas, il lui était toujours amusant - même si un peu triste - que les organiques aient besoin de se reposer aussi souvent. Quelle perte de temps !

Elle se laissa alors le temps de l'illusion de la réflexion avant d'accepter avec entrain :

« Ok, cool ! Ça marche ! »

Puis l'araignée mécanique de sauter au sol avec une réception qui, si elle était peu discrète, était un peu plus dextre que ce à quoi on aurait plus s'attendre.

« On se voit demain ! »

Après quoi elle se dirigea à petit cliquetis vers la sortie, son hologramme saluant d'un large geste de la main l'adolescente. En tout cas l'IA était contente ! Comme une amoureuse malheureuse parcourant les sites de rencontre, c'était bien rare qu'on lui donne un second rendez-vous ! Ce fut donc d'un pas guilleret qu'elle se trouva bien vite dehors. Puis, une fois suffisamment éloignée, qu'elle se décida d'appeler ses compagnons. Elle enchaîna quelques sifflements inaudibles pour l'oreille humaine, proches de l'ultra-son, avant de se rappeler qu'il était nécessaire de taper dans une autre gamme de fréquence si elle voulait que ces derniers ne l'entendent :

« Pssssst ! Zeldaaaaaa ! »

Zelda finit par sortir de derriere un buisson et se dirigea vers Alee avant d'appeler le Porteur pour rentrer chez eux. Une fois a bord, le trio regarda la robote et demanda:

« Alors? »

« Aloooooors... »

Du petit sifflement strident à l'expression très satisfaite de l'hologramme, tout laissait penser que l'araignée voulait laisser planer le suspense de ce qu'elle avait découvert. Que ses compagnons soient suspendus à ses micros, inquiets et impatients. Qu'elle les contrôle par le le fait de posséder une information qu'eux ignoraient. Un pouvoir dont elle ne pouvait pas jouir si souvent que ça et qui activait ci et là quelques neurones artificiels de son processeur, déclenchait une routine poussiéreuse qui n'avait peut-être jamais été activée, du vieux code source hérité d'une génération précédente. Tant de pouvoir...

Mais comme c'était quand même un peu chiant, ce fut elle qui craqua en premier. Se forçant néanmoins à aller lentement puisqu'elle n'avait pas encore tout à fait accepté d'abandonner ce pouvoir :

« J'aaaaai vuuuuu quelqu'uuuun... Eeeeet c'eeest... »

Non vraiment c'était trop chiant. Et comme une cocotte minute, l'IA n'eut plus d'autre choix que de laisser échapper la pression.

« Et c'est ta fille ! Enfin la fille de l'autre Zelda ! L'autre Zelda (avec l'autre Brandon j'imagine) ont eu une fille et du coup elle a à peu près votre âge ! Et elle a une autre ALTA aussi, qu'a pas l'air très fun mais bon j'imagine qu'elle est juste timide donc ça ira mieux parce que moi je suis douée avec les gens timides. Et sa chambre était pas mal. Et apparemment Zelda est une scientifique ou quelque chose ce genre. En tout cas sa maison est chouette, c'est moderne et tout. Moins que le Porteur - t'inquiète pas Porteur t'es le meilleur ! - mais c'est pas mal quand même si tu comptes y squatter un jour. »

Aleethëa marqua une pause, moins pour réfléchir que pour analyser les réactions de son auditoire. Avant d'ajouter une information qui peut-être pouvait avoir de l'importance. Sans doute pas.

« Ah oui et elle nous a donné rendez-vous demain au Starbucks du 859 Highland Avenue vers 17h ! Pourquoi celui-là je sais pas. D'après une rapide analyse il a une note de 2,1 sur 5 et NeoXX51 en a récemment dit que "le service est pas top et je m'y suis fait larguer". »

« Hmmm, un rendez-vous... Ca pourrait être un piège... »

« Et voilà, miss parano. C'est une ado, comme nous. Elle a donné rendez-vous dans un lieu public, c'est pas l'idéal pour un piège... »

« Pas faux. »

« Moi, je dis on y va. »

« Mouais, j'aime pas trop beaucoup ça quand même... »

« Moi, je vote pour. Les Frappuccino vanille du Porteur sont plutôt meh et... Ah, oui, je suis un diablotin, si je me ballade dans la rue, ça passera moyen. »

« Alee? Toi qui choisis. Diaby a pas voix au chapitre, toute façon. »

« Mais euh, spas juste. J'organise un cambriolage pour vous et c'est comme ça que vous me remerciez? »

Et le diablotin fit une sortie dramatique, devant les deux ados qui soupirèrent en le regardant faire avant de se tourner vers la robote IA:

« Toi qui voit, Alee. Tu l'as vu, tu la connais mieux que nous... On y va ou pas? »

Alee ?
Alee s'était perdue sur un site internet traitant des différents types d'orchidées qu'il était possible de trouver à l'est de l'Oural. Un sujet ô combien passionnant quand on trouvait tout passionnant. Elle y était arrivée tout naturellement, de fil optique en aiguille virtuelle, sautant de liens en liens entre des sujets connexes, comme ça arrivait dramatiquement fréquemment à toute personne avec une connexion internet, une tendance à la procrastination et quelque chose de vraiment important à faire à côté. Pour une entité artificielle comme elle, l'accès à internet de cette dimension était une mine d'or. Une très grande mine d'or, très profonde et aux gisements éparses certes, mais une mine d'or quand même. Bien meilleur que celui de la Terre de sa dimension d'origine. Et un peu moins complotiste et sensationnaliste que le réseau d'échanges interne des ALTA. Et c'est donc ainsi qu'elle était passée de Starbucks à une page sur la culture du café, d'un commentaire raciste à un site de vente aux enchères, d'une page vendant des cailloux aux supposées propriétés médicinales à une vidéo raciste, d'une vidéo de capybaras à un article sexiste puis enfin d'un commentaire imagé à sa lecture actuelle.

Il fut donc difficile pour elle d'émerger pour répondre à la question de Zelda. L'avantage, pour une IA, c'est qu'elle n'en avait pas vraiment besoin, dédiant une partie de sa puissance de calcul à sa recherche actuelle tandis que le reste, très inférieur en comparaison - les discussions avec les humains étant généralement très lentes, elle n'avait pas besoin de tant de charge computationnelle que ça - se concentra sur le dilemme actuel. Et Aleethëa de résumer les pour et les contre, de faire la synthèse des avis et de donner sa conclusion étayée et complexe. D'aucuns diraient même subversive.

« Bah oui. »

Après quoi elle se sentit obligée de préciser, de peur qu'un blanc de plus de 2 secondes ne s'installe dans la conversation :

« C'est la fille de Zelda donc il va rien nous arriver. Elle est sympa et elle a une ALTA. Et puis à l'époque si j'avais pas choisi de rencontrer Zelda je serais pas là aujourd'hui avec vous et ça serait trop dommage ! Alors bon j'avais pas eu le choix à l'époque vu que c'est toi qui m'a ramassée mais si j'avais eu le choix j'aurais fait le choix de choisir... le choix heu... » Ok peut-être qu'il lui fallait un peu plus de puissance de calcul. Elle en redirigea donc une partie sur la conversation, tant pis pour les plantes. « J'aurais choisi de faire pareil parce que je suis contente de vous avoir rencontré ! »

Les deux ados furent circonspects mais décidèrent de faire avec. La rencontre se produisit donc le lendemain et fut passablement étrange, la fille et l'équivalent interdimensionnel de sa mère ne sachant pas trop de quoi parler. Brandon, lui, était resté en retrait et voyait s'accumuler sur sa table de nombreuses cup de chez Starbucks, devant les tentatives maladroites mais attendrissantes des lycéennes du coin d'attirer son attention.

Mais bon, il constituait une bonne diversion et permit à Alee de passer globalement inaperçue, même si la robote se retrouva devant le comptoir et que la vendeuse l'observa un instant avant de dire d'une voix dépassionnée:

« Bienvenue chez starbucks, que voulez-vous boire? »

« Ça ! »

La queue au Starbucks c'était long. Surtout quand les gens devant soi semblait attendre le moment fatidique d'être à la caisse pour faire leur choix parmi nombre de propositions pourtant les mêmes dans n'importe lequel des coffee shops. C'était encore plus long quand on était une IA pour qui ce genre de décisions demandait une puissance de calcul à peine détectable. Et surtout qui avait été chargée pendant quelques mois des commandes quotidiennes de café pour l'ensemble d'un complexe militaire. Une responsabilité dont elle avait été affectée après seulement une semaine à diriger l'ensemble des défenses anti-personnel du bâtiment. Une promotion éclair qu'on lui avait dit !

Du coup, après toute cette attente, Alee ne voulait pas perdre plus de temps à se faire comprendre par la pauvre barista déprimée et le doigt de l'hologramme s'agita pour indiquer d'un long cercle l'ensemble d'un des menus accroché derrière.

« Tout ça ! »

Et puisqu'elle avait compris depuis le temps qu'il pouvait être nécessaire d'insister plus que de raison face à des organiques - et a fortiori une organique démotivée - elle pointa individuellement chaque élément de la liste. Ce qui devait représenter une bonne dizaine de consommations différentes. Pas qu'elle comptait - ou pouvait - les boire évidemment, mais elle avait récemment découvert qu'il était possible de prendre une photo de boissons ou d'aliments et de se faire en retour plein d'amis virtuels. Elle ne savait pas bien ce que ceux-ci faisaient de toutes ces photos par contre. Peut-être les organiques d'ici cherchaient à se constituer une base de données suffisamment conséquente de ces images pour entraîner leur cerveau à reconnaître les différents breuvages.