« Ujio... »

L'enfant déglutit difficilement avant d'opiner du chef et de respirer profondément. Acceptait-il par inconscience ou bien par pure bonté d'âme? Se disait-il tout simplement que si elle voulait le forcer à l'aider, elle en aurait surement le pouvoir? Ou bien, cela venait-il d'un profond respect pour les anciens, ancrés depuis des siècles dans la culture nippone? Toutes ces réponses étaient valables. Mais pour le moment, il semblait attendre que la fantôme fasse son oeuvre...

« Joli prénom. »
Vitam lui rendit le pendentif, toujours en gardant une main à travers l'épaule du jeune garçon.
« Ujio, tu peux avancer jusqu'à l'endroit où tu l'as trouvé s'il te plait ? »

Le corps spectral de la fantôme n'était déjà plus là, s'étant déjà confondu avec celui de l'adolescent en un battement de cil et ce, sans faire montre de la moindre manifestation d'énergie bizarre ou d'une quelconque douleur à en réveiller les morts du cimetière. Les deux êtres avaient temporairement fusionnés sans cris ni chichis et depuis sa nouvelle bulle spirituelle, Vitam attendait tout simplement que le jeune Ujio ne s’exécute.

Vitam suivit donc à son corps défendant(mais absent) Ujio et profita de ce qu'elle voyait. De la pluie. Les traces d'un combat, des tombes découpées. Des lambeaux de vêtements. Des tombes ouvertes et du sang. Beaucoup de sang...

Mais ce qui attira son attention, c'était autre chose. Un reflet brillant. Difficile d'en savoir plus de si loin, elle devait se cantonner à voir ce que regardait Ujio...

N'importe qui aurait été écœuré par ce décor d'une rare violence. Sauf que c'était oublier que Vitam n'était pas n'importe qui, aussi la seul pseudo-émotion qui traversa l'esprit de la fantôme fut de se dire que tout ce sang n'était pas très harmonieux avec le reste du cimetière, étant donné que les morts ne sont pas du genre à saigner. Ou alors pas au point d'en repeindre les tombes en rouge écarlate. D'ailleurs pourquoi celles-ci étaient ouvertes ? Et puis surtout, qu'était-ce que ce machin au loin qui brillait beaucoup trop pour n'être qu'une simple pierre funéraire ?

Ujio ? Est-ce que tu m'entends ? Ce n'est que moi, ne panique pas. Tu peux tourner ta tête sur la gauche s'il te plait ? Encore... encore un peu... non là c'est trop reviens un peu avant... là ! Regarde ce truc brillant ! Tu le vois aussi ? Bien, on va s'éloigner de toute cette souillure et aller voir ce que c'est, d'accord ? Okay, alors avance tout doucement vers l'éclat non identifié tout en jetant un œil sur les tombes ouvertes si tu t'en sens capable. Sinon ne t'inquiète pas je ne t'en voudrais pas, je suis là pour te protéger après tout.

Le garçon s'exécuta et s'avança en direction du reflet brillant. Vitam vit la même chose que lui à travers ses yeux, c'était un morceau de katana que Vitam connaissait fort bien comme étant celui de Kaïdo, l'arme ayant été brisé en son milieu.

La fantôme se pétrifia d'effroi en voyant le katana cassé, brisé aussi surement que les espoirs de Vitam de revoir Kaido en vie. Son corps spectral s'en retrouva glacé, et c'aurait surement été aussi le cas de celui de son hôte si par malheur elle ne serait parvenue à se contrôler.

(Pour elle-même) Alors même les éternels peuvent passer brutalement de l'autre côté...

Lorsque le jeune homme ramassa l'arme sectionnée, la revenante resta muette en une parodie d'instant solennel. Mais ne pouvant décemment se servir des yeux de l'humain pour pleurer, Vitam rompit finalement ce silence de mort.

Dis-moi Ujio, c'est quelque chose de typiquement japonais que de casser un sabre en deux comme cela ? Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que nous venons d'arriver après une sorte de fête rituelle... qui aurait mal tournée.

Toujours à travers les yeux du petit mortel, l'être extra-planaire rechercha quelque pouvant corroborer sa théorie... Une sorte de signature, peut-être ?

« J'en sais rien... »

Le coeur du garçon se mit à battre la chamade et il attrapa vite fait le bout de sabre(sur la recommandation de Vitam) avant d'effectuer un repli hatif vers la sortie du cimetière, après avoir entendu quelque chose qui se brisait.

Vitam, de son coté, ne repéra rien d'intéressant. Le combat avait du être sanglant et avoir concerné plusieurs adversaires. Mais de corps, nulles traces. Juste du sang, beaucoup de sang...

Okay ça marche !

Il courait vite, le Ujio... Mais pour fuir quoi ? Pour fuir qui ?
Autant pour la première question Vitam avait une réponse à en faire fuir le plus chevronné des médecins légistes, autant pour la seconde elle n'en avait aucune... c'était quoi ça ?
La fantôme attendit que le gamin ne sorte du cimetière (et ne s'arrête de sprinter pour souffler un peu) pour quitter son corps et ainsi retrouver son simulacre éthéré.

« J'ai rêvé ou bien toi aussi t'as entendu quelque chose de bizarre ? »

A moins que ce ne soit que le bruit des feuilles mortes sous les chaussures de Ujio durant sa fuite mais dans le doute, elle fit appel à ses sens pour pouvoir tirer ça au clair pour de bon. La revenante avait promis de protéger le jeune homme du danger et jusqu'à maintenant, elle avait toujours tenu ses promesses.

Ujio s'était arrêté loin du cimetière, ayant préféré l'avoir hors de vue ou presque avant de se stopper pour reprendre son souffle:

« Hein? Euh, j'ai juste entendu quelque chose et j'ai eu peur. Votre ami... Je suis désolé... »

Vitam sondait les environs à la recherche de quelque chose mais rien d'intéressant. Elle percevait bien la peur de quelques oiseaux et autres animaux mais sans doute était-ce du à l'orage. Quand au danger, il était inexistant...

« Merci pour lui, mais c'est moi qui suis désolée. J'aurais jamais dû te faire aller là bas. »

En effet, Vitam s'en voulait un peu de l'avoir fortement incité à aller, et même retourner, dans un lieu désormais sordide. Au mieux.

« Toujours est-il que je te remercie sincèrement de m'avoir aidé et que je ne sais pas comment je pourrais te remercier. Peut-être en te débarrassant du pendentif et du bout d'épée pour commencer ? A moins que tu ne désire les garder ? Je sais que les humains tendent à affectionner toutes sortes de souvenirs alors... »

« Non, non, j'en ferai quoi? »

Le garçon observa les objets, incongrus, avant d'ajouter:

« Je ferai mieux de les enterrer. Dans un endroit où vous pourriez célébrer la mémoire de votre ami? »

Vitam réfléchissait encore à un endroit pour enterrer les objets, mais répondit malgré tout au jeune homme.

« Il est parti en combattant farouchement alors je pense qu'il est passé de l'autre côté comme l'exigerait un samouraï. Moi, je suis plus douée pour faire apparaître les mémoires qu'à les préserver donc d'après toi Ujio, comment qu'on fait pour enterrer dignement un guerrier japonais ? »

Tandis que le pendentif et le morceau de sabre brisé voletaient sous ses pieds via la télékinésie, la vision de la revenante se retrouva happée par d'imposants arbres fleuris au loin. Un décor poétique qui pourrait être pas mal pour contraster avec la mort violente de Kaido, mais serait-ce sa volonté ? Et puis, peut-être avait-il un lieu qui lui était cher en Amérique et qu'il serait plus judicieux d'enterrer ces maigres biens là-bas ?

Ça MJ (ou Brabra) , c'est à toi de me dire si Vitam connait ou non un endroit symbolique et/ou cher au cœur de Kaido !

Vitam se rappela que Kaïdo aimait les cerisiers en fleurs mais ce n'était pas la saison, aussi Ujio ajouta-t'il:

« Je vais attendre pour les enterrer, alors. »

Le garçon sembla hésiter un instant avant d'ajouter:

« Je vais devoir y aller, moi. Avant d'attraper la mort. Dites, on se reverra? »

Les au revoir se firent simplement, le garçon repartant en direction de chez lui en emportant ses funestes trouvailles et Vitam rentra a Los Angeles, la mort dans l'âme.

Ce ne fut que le lendemain que quelque chose d'etrange se produisit, quand Vitam se réveilla encore fatiguée et enrhumée dans une chambre qu'elle ne connaissait pas. Quelque chose n'allait clairement pas.

« Je reviendrais quand j'aurais trouvé l'autre extrémité de la lame, j'aimerais beaucoup la reforger pour rendre cet hommage... entier. Ou bien dès que je retournerais au Japon, histoire de te redire coucou sous de meilleures auspices. J'espère seulement que tu n'auras pas déménagé à l'autre bout du monde d'ici là. Au revoir Ujio. »

Et c'est sur ces mots que Vitam quitta le pays du Soleil levant pour retourner à celui des hamburgers. Il n'y avait rien d'autre à dire sur son retour à Los Angeles, si ce n'est qu'il neigea à gros flocons sur son passage, que la fantôme n'avait jamais ressenti un tel froid en son for intérieur, et qu'elle ne s'était jamais senti aussi vulnérable.

Puis le lendemain arriva avec ses gros sabots pour confirmer le fait qu'on pouvait non seulement toucher le fond, mais également le creuser à la dynamite.

En bonne revenante, elle escomptait revenir à l'appartement de feu Kaido afin d'annoncer la funeste nouvelle aux enfants. Sauf que le Destin en avait décidé autrement en la faisant atterrir au beau milieu d'une chambre inconnue, ce sans même avoir consommé la moindre substance illicite.
Vitam observa autour de soi, puis à travers la fenêtre (s'il y en a une) pour essayer de savoir où elle pouvait bien se trouver. Étrangement, ses yeux eurent du mal à s'ouvrir et un mal de crâne de tous les diables lui lacérait la tête, contribuant ainsi à rajouter une tartine de faiblesse sur son état déjà pas bien folichon.

Où est-ce ce que je suis encore ? Et pourquoi je me sens aussi ma...aaah...

Un « AT-CHAAA !!! » tonitruant coupa court à ses pensées. Mais depuis quand les fantômes éternuent ? Avait-elle possédé un humain malade par inadvertance ? Peu probable, car on se mettait rarement dans la peau d'un autre "sans faire exprès" . Ce qui était un constat extrêmement inquiétant.

Un miroir, il faut que je trouve un miroir ! Mes mains, ma peau, elles sont comment ?

Vitam s'exécuta dans le but de répondre à ces questions.

Le corps se redressa, Vitam se rendant compte qu'elle n'était qu'une passagère clandestine, et sortit de la chambre, se dirigeant vers une salle de bain, petite mais fonctionnelle. Dans le miroir, Vitam aperçut le visage d'Ujio dont la bouche s'étira dans un baillement à décrocher la machoire, suivi d'un éternuement.

Et voilà, je suis malade... Ca m'apprendra à traîner sous la pluie pour aider des... Pour aider des quoi, d'ailleurs? Fantômes? Esprits? Tss, j'ai du rêver...

La fantômette comprenait ce que le garçon pensait, la barrière des langues s'affranchissant entre eux...

Vitam était-elle en train de virer fantôme gâteuse au point de faire le tour de la Terre pour revenir à son point de départ sans même s'en souvenir ? Faudrait peut-être en parler à Jeanne, tiens...
Mais tout d'abord, sortir d'ici et reprendre forme, dans tous les sens du terme parce qu'être malade n'était pas tellement une sensation agréable à ressentir.

...

...V'là autre chose. Non seulement je deviens gâteuse mais en plus je me retrouve coincé dans le corps du gamin à entendre des voix. C'est quand même moche de vieillir...

Puisque les pensées du jeune humain lui parvenaient jusqu'à elle il était possible que l'inverse le soit également, aussi la passagère clandestine involontaire lui "parla" à son tour.

« Crois-moi Ujio, moi aussi j'aurais préféré que l'épisode du cimetière ne soit qu'un mauvais rêve. »

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH »

La réaction d'Ujio ne se fit pas attendre et le jeune homme fut effrayé d'entendre la voix dans son esprit. Une voix féminine émana de l'autre bout du couloir, parlant dans un japonais que Vitam ne comprit pas, avant que le garçon ne réponde autre chose:

« Non, c'est rien, maman. J'ai juste eu peur de... mon reflet dans le miroir. Je ne suis pas très réveillé... J'arrive tout de suite. »

Refermant la porte de la salle de bain, le garçon demanda à voix basse:

« Mais qu'est-ce que tu fais là? Je croyais que tu étais partie? Tu reviens me hanter, c'est ça? »

Après avoir elle aussi crié de surprise (surement par solidarité) , Vitam répondit, embarrassée, à son hôte forcé.

« Euh... Tu me crois si je te dis que tout comme toi, j'en n'en ai absolument aucune idée ? »

Reprenant un peu contenance, la fantôme enfermée enchaîna :

« Tout ce que je peux te dire pour l'instant c'est que je ne suis pas là pour te hanter. Déjà parce que je ne verse pas dans ce genre de malédiction au rabais, ensuite parce que je m'y serais prise de manière beaucoup plus ludique si j'aurais voulu te coller la frousse de ta vie. J'aime bien prendre une apparence de clown, ça a toujours bien marché, surtout depuis l’énième remake de Batman sorti l'année dernière, avec l'espèce de super scientifique des étoiles dans le rôle du Joker. L'a vachement marqué les esprits c'lui là ! Comment qu'il s'appelle déjà ?
...
Je ne reviens plus sur son nom, tant pis. Pourtant je l'ai sur le bout de la langue !

Enfin bref... J'étais parti sauf que je ne sais ni comment je me suis retrouvée dans ton esprit, ni comment en ressortir alors va falloir faire avec le temps de trouver une solution. »

C'était parti pour une partie -forcée- de Ghost Trick "Reality edition" ! Et comme un bon jeu se doit de comporter une courbe de difficulté ascendante, mieux valait commencer par le début en explorant les pistes les plus simples.

« D'ici là, pourquoi ne pas discuter un peu ? T'as fait quoi depuis que j'étais sensé être partie ? Moi j'ai traversé la mer pour retrouver l'Amérique. Et toi ? »

« J'ai rangé les affaires de ton ami dans un coin de ma chambre et j'ai révisé un peu avant d'aller dormir. Mais on va faire quoi si tu restes bloqué là? C'est que... Ahem... »

Ujio sembla hésiter un instant avant d'ajouter:

« Tu es sure que tu ne peux pas sortir? »

« Attends je réessaye pour voir...
... »

Se pourrait-il que le cimetière en lui-même aurait quelque chose à voir avec ce mauvais tour ?