« Oui oui oui, c'est toi qui vais lui demander bien sur. »

Après un court instant Vitam se risqua néanmoins d'ajouter :

« D'un autre côté... tu pourras pas me cacher éternellement. »

« Euhhhh, on va pourtant faire l'effort de te cacher encore quelques temps, hein. Question de survie de ma mère, en fait... De toute façon, y'aura personne à la maison en rentrant, on va pouvoir chercher dans les papiers avant toute chose »

Et le jeune homme enfourcha son vélo et repartit donc en direction de son chez-lui. Arrivant peu de temps après, il rentra et se dirigea vers le bureau familial en quête de documents:

« Tu peux me filer un coup de main? Là, c'est les albums photos, tu peux les feuilleter et je te dis pêle-même qui est qui en essayant de remonter le plus loin possible, pendant que je cherche des trucs genre livre de famille ou ce genre de chose? »

« Comme tu veux chef ! »

Vitam rejoignit Ujio dans le bureau où ce dernier sollicita son aide, que la revenante offrit sans hésiter. Alors qu'elle commençait à faire défiler sans les toucher les premières pages de l'album photo, le plus ancien et sans doute le premier d'une looooooongue série, la fantôme demanda au jeune homme :

« On a combien de temps avant que ta mère ne rentre à la maison ? Ça te dérange si je fais venir du monde pour aller plus vite ? »

« Hmmm, 3 bonnes heures. Mais je dois commencer à préparer le repas avant ça. Donc, 2 grosses heures devant nous. Quand à faire venir du monde...

Ma question va peut-être paraître stupide mais... vivant ou mort? C'est que j'ai normalement le droit d'inviter personne sans en avoir parlé à ma mère d'abord. »

Le premier album recela de vieilles photos en deux dimensions et en couleur, Ujio les regardant avant de dire:

« C'est un album de mes grands parents, il date des années 70-80, il me semble. »

« D'après toi ? » Répliqua Vitam avec espièglerie quant à la probable vitalité de ceux qu'elle souhaitait faire venir. Ce que la fantôme fit en usant de ses pouvoirs... tant que les "forces supérieures" le lui permettaient encore !

« Contrairement aux apparences, ce sont des invités qui savent se tenir à carreau alors t'en fais pas pour ta mère, ils ont étés très bien élevés ! »
Dans la mort comme dans la vie, on pouvait dire que Vitam était habituée à jouer les nounous entre les enfants humains et les créatures immortelles. Preuve qu'on pouvait être morte tout en ayant la fibre "maternelle" !

Après avoir été quérir l'assistance de Trouble et suite à un court briefing envers ses "mignons minions" afin de leur expliquer le but de leur venue sur Terre, la revenante reprit le cours de son visionnage en regardant l'album photo tendu par Ujio.

Et donc, les spectres se mirent en branle pendant que Vitam feuilletait les livres. Trouble restait invisible à Ujio, continuant ses recherches informatiques sur le sujet. Elle hésita un instant et grommela avant d'apparaître, faisant sursauter Ujio:

« Kesskça? »

« Dis, il me faudrait les logs de ta mère pour accéder à ses réseaux sociaux, tu les as? »

« Euh... Vitam? »

La fantôme feuilletait le carnet des grands-parents, une ribambelle de polaroïd, mais ne trouvait rien qui l'intéressait.

« Oui ? » fit Vitam en refermant son album, levant de ce fait les yeux et remarquant ainsi la fixette du jeune homme sur sa nouvelle assistante.

« Trouble, voici Ujio. Ujio, je te présente Trouble, ma professeure de japonais qui s'est gentiment proposé de nous aider.
...
Réponds-lui sois pas timide, elle va pas te manger. »

Sur ce bon conseil, la revenante en chef s'attaqua au visionnage d'une autre époque qu'elle espérerait davantage fructueuse en réponse : Celle portant sur le passé d'étudiante de la mère d'Ujio.

« Euh, ok. »

Et le jeune homme tapa les logs sur l'ordinateur avant de le tourner vers la fantôme qui s'activa sur le clavier. Elle visita divers sites de réseau sociaux et regarda tous les liens de parentés qu'elle put découvrir.

Vitam trouva facilement la jeunesse et l'adolescence de la mère d'Ujio mais les photos allèrent en s'estompant, étant donné qu'elles passaient probablement de l'argentique au numérique et donc ne se trouvait pas dans un album. Ce qui attira l'oeil de la fantôme sur l'écran où défilait les informations de la jeunesse de la mère.

Alors que Trouble farfouillait sur le net, Vitam aperçut un encart qui attira son attention juste un instant. Une photo. Elle n'avait pas vraiment eu le temps de la voir mais l'une des deux personnes lui rappelait quelqu'un qu'elle avait très bien connu.

Kaïdo.

« Ta maman est magnifique là-dessus. »

Cela n'avait strictement rien à voir avec leur investigation en cours mais Vitam le pensait vraiment et tenait à le dire à Ujio, tout simplement. Dans le but de lui montrer la photo coup de cœur, la revenante s'était approché du jeune homme... et par extension du PC, auquel elle n'avait jeté qu'un coup d’œil désintéressé, mais qui dura suffisamment longtemps pour qu'une image rémanente ne se grave dans ses rétines.

L'album photo s'écroula d'un coup au sol, venant de se faire laisser tomber par une Vitam qui opta tout à coup pour la modernité en surgissant devant l'écran de l'ordinateur tel un diable sortant de sa boite.

« Là ! Clique là ! C'est qui c'est quoi c'est où c'est comment ? » s'écria t-elle en pointant du doigt l'encart contenant la tête de Kaido avec une telle insistance que son doigt traversa la dalle à plusieurs reprises !

« Là, t'es sure? »

La souris voleta et cliqua, révélant une photo en gros plans de deux visages, collés joue contre joue, affichant clairement un état d'ébriété avancé et un sourire béhat. On reconnaissait Kaïdo, pas frais, mais surtout la mère d'Ujio, plus jeune et tout aussi pas fraiche. Les tags de la photo indiquaient Los Angeles, 2010.

Non...

Vitam ne savait quoi répondre en voyant cette image.

« Non mais... »

Non pas par manque de mots, mais au contraire, parce qu'elle avait tellement de choses à dire qu'il lui était difficile de sortir quoi que ce soit. Était-ce par étonnement, de voir le rônin heureux et éméché aux côtés de la mère d'Ujio apparemment dans le même état, à une date qui pourrait signifier bien des choses, comme...

« Non mais il m'a raconté des conneries en fait ! Il a toujours refusé que je le prenne en photo sous le soi-disant prétexte qu'il aimait pas ça ! Et là qu'est-ce que j'apprends ? Que Môssieur "j'aime pas les trucs modernes ça sert à rien gnagnagna..." est encadré sur Facebook ! Bien encadré, même ! Y'a d'autres photos de la même date, que je sache dans quelles circonstances il m'a menti en tirant cette tronche de lendemain de fête ? »

D'autres photos montraient une soiree arrosee, quelques commentaires comme "me and my bae" et quelques photos où la jeune étudiante devait compter les dents de Kaïdo... avec sa langue.

Ujio regarda l'écran, gêné de voir sa mère comme ça:

« Tu le connais? »

« Oui.
Et toi aussi. »

Malgré le côté sordide qu’impliquait cette révélation, un sourire niaiseux était apparu sur le visage spectral de Vitam. Pas besoin d'être devin pour comprendre l'hypothèse qui venait de lui traverser l'esprit à cet instant ! Mais si les dates concordaient à peu près et qu'il n'y avait que peu d’ambiguïtés possibles, ce n'était pas une raison pour partir sur des conclusions hâtives pour autant.

« Jeune homme, je crois qu'il est temps d'avoir une petite discussion avec ta mère. »

Toujours est-il que si les photos et autres commentaires disaient bien ce qu'elles semblaient vouloir dire, cela aurait au moins le mérite de prodiguer un début d'explication du lien unissant la revenante à Ujio.

« Ah? »

Et comme le disait l'adage, quand on parle du loup, on en voit la queue. Car c'est à ce moment précis que la mère d'Ujio rentra, portant un sac de course et appelant à ce qu'on vienne l'aider. Le fils répondit et demanda, à voix basse:

« Euh... Tu veux te présenter ou bien, je le fais? »

« Je ne sais toujours pas parler le japonais et j'ignore le niveau d'anglais de ta maman alors... Je t'en prie » fit Vitam en présentant d'un geste affable la porte d'où venait de surgir la mère d'Ujio, non sans avoir lancé un regard à Trouble au préalable en évoquant la langue nippone.

« Hé, je fais pas dans le miracle, cocotte. Ce genre de choses prend du temps. »

Une question formulée en japonais provint de l'entrée et des pas se rapprochaient du bureau. Une femme fit alors son apparition, version plus âgée de celle aperçue sur les photos mais toujours bien conservée. Elle observa Ujio et défigura Vitam un instant avant de lâcher:

« Oh, non... Je savais bien qu'on finirait par avoir des ennuis... »