Background
Brouillon d'article sensé paraître dans le numéro du Times du 27 Janvier 1888. Ne fut jamais publié :
Note d'éditeur : on ne peut PAS publier un tel article. Vous faites du sensationnalisme sans réflexion et à la limite du libel. De plus, le professeur Ramsay est un bon ami du journal. Veuillez prendre en compte mes remarques pour réécriture. En outre, vous trouverez une nouvelle version plus convenable de votre introduction. Inspirez-vous en pour retravailler votre papier.
Ce fut en cet après-midi ensoleillé que je me dirigeais vers notre rendez-vous dans une des somptueuses propriétés de Marylebone. Tandis que chacun de mes pas sur le pavé grimpant sinueusement était accompagné par des demeures de plus en plus magnifiques qui se disputaient le prestige à grand renfort de scultures et de jardins extravagants, je songeais, non sans une excitation avouée, au sujet de la dernière interview de cette rubrique “Les Hommes de Sciences pour une Science de Vivre”. Comment ne pas se laisser en effet subjugué par les promesses d'expliquer le vivant et toute sa complexité ? Comment ne pas être mystifié par ces Hommes, ces nouveaux devins, qui lisent notre passé dans des fossiles et prédisent notre futur dans l'observation du présent ? Comment ne pas rêver devant l'ensemble des mystères de notre monde aujourd'hui sur le point d'être tous éclaircis ? Se réclamant de Darwin et prétendant continuer son héritage, c'est un humaniste et naturaliste que je rencontre aujourd'hui : le professeur Andrew Earl Ramsay.
Ce fut en une fin d'après-midi pluvieuse que je me dirigeais vers notre rendez-vous dans une des somptueuses propriétés de Marylebone. Tandis que chacun de mes pas sur le pavé grimpant sinueusement était accompagné par des bâtisses toutes plus démesurées les unes que les autres, reflétant par leurs extravagances ridicules le prestige vain que se disputaient leurs propriétaires, je songeais avec tristesse à l'épilogue de notre rubrique. "Des Hommes de Sciences pour une Science de Vivre". Aujourd'hui plus que jamais, l'ironie de l'appellation était mordante alors que je me rendais pour une ultime interview d'un homme à la réputation ambiguë. Il se réclame de Darwin mais je ne peux m'empêcher de penser que, si ce dernier était toujours vivant, il n'aurait eu de répit de se dissocier de tout lien avec l'homme que je rencontre aujourd'hui : le professeur Andrew Earl Ramsay. NON !
C'est le professeur lui-même qui me fit l'honneur de m'accueillir, sinon aimablement, au moins poliment (précision inutile !), m'ouvrant les portes d'une demeure aussi simple d'extérieur qu'extravagante à l'intérieur. M'aurait-on dit que j'avais pénétré dans un bazarre des Indes que je n'en aurais pas douté une seule seconde. Scultures de bois trônant sur des tapis bariolés faisant face à des masques aux expressions sévères côtoyant sur leurs murs des tapisseries anciennes qui appuient des étagères vitées remplies de grigri, babioles, bibelots, fanfreluches et colifichets. Trop de choses pour que je puisse en faire l'inventaire. Tout est authentique me dit-on et tout a été ramené par mon hôte lui-même ajoute-t-on. Ou volé ? Pourquoi cette remarque ?
Alors que je m'installe dans un salon tandis qu'on me promet des rafraichissements, je peux remarquer un changement dans la décoration. Des bibliothèques garnies de livres aux sujets divers ont remplacé les tableaux. Et là où j'aurais pu trouver des tapisseries, ce sont des trophées de chasses qui me fixent de leurs yeux vides. Des animaux que je n'ai vus pour la plupart que dans les cirques ; lions, panthère, rhinocéros et tout un tas d'autres dont j'ignore encore aujourd'hui la dénomination. Alors qu'un domestique revient avec des boissons, c'est cette fois la maîtresse de maison qui me précise que tous ces trophées ont été chassés par son mari. Il s'agit de la fille du doyen d'Oxford avec laquelle le professeur Ramsay est marié depuis de nombreuses années. Le professeur s'assoie finalement en face de moi et me sourit. Un sourire affable mais attentif, sur les gardes. Nous commençons.
Professeur Ramsay, merci de me recevoir. Comme vous le savez, le but de cette rubrique est de réaliser une série d'entretiens avec des membres de la communauté scientifique qui s'investissent d'une manière poussée dans la vie de notre ville. Avant de revenir plus en détails sur vos engagements, pourriez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
« Naturellement, et sachez que c'est un plaisir de participer à cette entrevue avec vous. Je me nomme Andrew Earl Ramsay et je suis professeur de sciences naturelles à l'université d'Oxford. En plus de cette spécialité universitaire, je suis avant tout anthropologue (NdA : science de l'étude de l'être humain) naturaliste et m'intéresse à la compréhension de la Nature dans son ensemble. Pour cela, je m'appuie sur les théories de Charles Darwin qui, j'en suis sûr, représentent le tournant scientifique majeur de ce siècle. »
Pouvez-vous nous parler un peu de votre passé ? Si je ne me trompe pas, vous avez passé votre enfance en Inde pour suivre vos parents.
« En effet, mon père était officier de la Compagnie Britannique des Indes Orientales et j'ai toujours eu un immense respect pour lui. Il était dur mais poussait les gens qui l'accompagnaient à leur maximum. C'est suivant son exemple que j'ai essayé de m'engager dans l'armée de la Compagnie une fois adolescent. Des problèmes de santé m'ont néanmoins empêché de poursuivre cette voie à l'époque. »
Peut-être vouliez-vous aussi vous engager pour venger votre mère ? Des sources m'ont raconté qu'elle a été exécutée par le gouvernement chinois pour avoir participé au trafic d'opium. C'était le début de la première guerre de l'opium et de la montée des tensions avec la Chine.
[Il marque une pause] « Ce sont des racontars. Je n'ai presque pas connu ma mère mais elle ce dont on l'accusait étaient des mensonges proférés par un gouvernement sur le déclin. L'Histoire nous a donné raison. Et je ne vois pas en quoi ceci intéresserait vos lecteurs. » Très franchement, moi non plus. Supprimez ce passage et le suivant.
Je veux juste donner le contexte complet d'une époque trouble. Vous étiez aussi en Inde à l'époque de la révolution des cipayes. Comment avez-vous vécu le déclin de la Compagnie ?
« Je n'était pas concerné par le futur de la Compagnie. Voyager à travers les Indes avec mon père m'avait donné le goût de l'exploration et j'avais décidé de suivre des études de sciences naturelles à l'université de Mumbai, dont je fus l'un des premiers diplomés. Je m'étais donc à ce moment-là distancé de mon père et ne l'ai revu que ponctuellement depuis. »
Des recherches indiquent que le Colonel William Ramsay est tombé en disgrâce suite à la débâcle de la Compagnie. (il pourrait être intéressant de fouiller ça pour l'article)
Vous vous êtes alors lancés dans de grands voyages d'exploration n'est-ce pas ?
« C'était en effet ce dont j'avais toujours rêvé. Mes premières expéditions se sont d'abord déroulées dans les Indes et les pays alentours. De nombreuse populations indigènes vivaient encore là et les jungles luxuriantes regorgeaient d'espèces animales et végétales qui n'étaient pas encore répertoriées. C'est là que je me suis découvert une passion pour le naturalisme. Et, malgré le fait que je n'étais qu'assistant dans ces expéditions du naturaliste officiel, le professeur Lawrence Byron, j'ai pu moi-même être à l'origine de la découverte d'un certain nombre de ces espèces. Ce n'est que presque dix années plus tard que j'ai pu embarquer à bord du HMS William pour sillonner les côtes de la mer méditerranée et surtout le Nord de l'Afrique. Le voyage a en tout duré quatre années qui se terminèrent en Egypte. »
Où vous avez participé à la recherche de la source du Nil c'est exact ? Malheureusement, aucune expédition jusqu'à présent n'a réussi à atteindre cet objectif. Même si on peut citer l'expédition de votre mentor, Pr. Byron, qui a réussit à repousser les limites des territoires explorées peu de temps après votre expédition.
[Il marqua une pause] « Ils ont pu bénéficier de conditions idéales. »
Et c'est après ces expéditions que vous avez obtenu un poste à Oxford ?
« C'est exact. J'ai enseigné pendant plusieurs années l'anthropologie à Oxford avant de finalement devenir Professeur de sciences naturelles. »
Si j'en crois mes sources, vous avez récupéré la chaire professoriale après la mise à pied de Lawrence Byron dans des conditions qui avaient fait grand bruit à l'époque.
« C'est une vieille histoire et on n'en connaîtra jamais tous les détails mais le professeur Byron a en effet dû quitter son post avec un certain nombre d'autres universitaires après qu'ils aient été reconnu coupables de s'adonner à des rites occultes au sein de l'université. »
Pour être exact, on n'a jamais su ce qu'il se faisait vraiment durant ces séances ni l'identité de la personne qui avait révélé ces pratiques à l'administration. Le professeur Ramsay fut lui aussi un moment suspecté avant d'être le seul innocenté parmi l'ensemble des accusés. Evitez de vous répendre dans le sensationnalisme.
Ce qui nous amène au présent, où vous venez d'inaugurer il y a un mois l'ouverture d'un orphelinat pour lequel vous avez été un des plus généreux donateur. Il est vrai que vous vous adonnez depuis ces dernières années à un certain nombre d'actes de philanthropie.
« Je pense qu'il est normal de donner aux plus démunis et aux plus faibles. Et surtout aux enfants, notre futur. Il est clair, et c'est je pense le suite logique des conclusions de Darwin, que l'évolution n'a pas bénéficié à tous de la même façon. Il est évident par exemple qu'elle a permis la domination de l'Homme blanc sur tous les autres. De la même façon, il est naturel d'observer aujourd'hui un déterminisme social issus de l'évolution et qui explique qu'il existe des classes d'individus plus pauvres et d'autres plus riches. Ce déterminisme est naturel et continue d'exister de par l'action de l'évolution. C'est pourquoi je pense qu'il revient à nous d'aider les plus défavorisés qui ne pourront jamais s'aider eux-mêmes. »
A l'écoute de ce discours qu'on penserait tout droit sorti des conférences que le professeur peut donner, je ne peux m'empêcher de trouver ce constat cynique et simpliste. C'est tout de même l'opinion d'un éminent professeur, il est osé de votre part d'appeler ça "simpliste".
Vous avez en effet nombreuses fois été salué pour votre oeuvre à l'intention des enfants de la ville. Je me permets une question personnelle mais n'avez-vous jamais souhaité vous même avoir des enfants ?
« Je l'ai souhaité mais je n'ai malheureusement pour l'instant jamais eu le bonheur de voir mon voeu exaucé. »
Je vous remercie de votre temps professeur.
L'entretien était terminé, et on me fit assez vite comprendre qu'aucunes politesses supplémentaires ne seraient échangées. On me raccompagne alors à la porte, et je me retrouve seul, la tête pleine d'autant de réponses que de questions. Et bien sûr, il pleut toujours.
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