Lien vers vieille fiche de personnageExtraits divers du récit de Marpolo, voyageur, il y a cent ans.« … et après ce périple dans la steppe, nous arrivâmes à ce camp de yourtes de la tribu Tchakhar. Les gens s'y affairaient comme s'ils savaient que nous allions arriver depuis des heures. Des cavaliers descendirent des collines environnantes pour nous rejoindre : Ils avaient dû nous remarquer.
Accueillis selon les règles de l’hospitalité Tchakhar, nous avons troqué des vêtements solides et des objets en cuivre contre des armes en fer, des peaux, des fromages et de l’alcool de lait de jument fermenté (un breuvage très fort, infect, que seuls les membres de cette tribu semblaient apprécier).
Une poignée de familles vivaient là, cependant le chef nous dit que d’autres membres de la tribu Tchakhar étaient dispersés dans les collines environnantes, selon leur mode de vie nomade. Chacun trouvait la place qui lui était nécessaire pour faire vivre ses troupeaux de yacks, de chèvres, de moutons et de chevaux. Et donc chacun s’éloignait un peu des autres..."
« ... Les Tchkhars semblaient vivre avec la nature, ne semblant pas vouloir la modeler à l’image d’autres civilisations. Ils laissaient paître leurs troupeaux en paix, prélevant parmi ceux-ci le juste nécessaire. Même leurs yourtes, posées sur le sol, semblaient ne pas vouloir salir la terre située en dessous. »
« La chasse à l’aigle semblait l’un de leurs plaisirs, laissant finalement un animal en tuer un autre. Chaque Tchakhar établissait un lien d’amitié très fort avec son aigle. Notre guide a traduit un mot les concernant : Ami. Ils semblaient faire partie de la famille, et on les nourrissait en même temps que la famille. »
« ... Pendant la soirée, ils ont été très curieux sur notre parcours, prenant des informations par notre entremise au sujet des autres tribus, et demandaient des détails sur la construction des villes, sur les routes parcourant le continent, et même sur les affaires politiques. Quand la conversation retombait, ils étaient capables de la relancer en donnant un détail sur un lieu qu’ils n’avaient pourtant jamais connu. Ils connaissaient même les dynasties de rois ! Pour un peuple plutôt isolé, ils étaient bien renseignés. Nous n’étions pas les premiers voyageurs à les croiser.
Quand ils comprirent où nous nous rendions, ils nous indiquèrent aimablement un chemin à travers les collines. Notre guide pensait que cela nous faisait faire un détour, et il insista sur un trajet plus direct. Le chef insista sur le chemin qu’il proposait, « plus facile ». Nous comprîmes plus tard que le lieu que nous comptions traverser était « dangereux » pour nous. Puis « sacré », pour eux. Nul homme ne devait y pénétrer. Et que si nous rencontrions un aigle au comportement étrange, c’était que nous nous étions perdus, et qu’il nous fallait revenir sur nos pas… »
« … Ces hommes priaient les vents, la terre nourricière, l’eau du fleuve, les plantes, les animaux. Quand j’ai demandé : « Et quels dieux pour les hommes ? », le chef eut un mouvement de recul, étonné. Il n’y avait pas à avoir de dieux, pour les hommes… »
« … Alors que nous laissions les chevaux s’abreuver au fleuve Orkhongaï, les deux aigles se posèrent sur un rocher, en contre-jour, semblant nous barrer la route. Les plumes de l’un d’eux semblaient resplendir. La majorité des membres de l’expédition finirent par convaincre le guide de ne pas continuer dans cette voie, et de respecter l'avertissement des Tchakhars. Quand nous repartîmes, les aigles s’envolèrent, et nous précédèrent, comme s’ils nous guidaient. Plus tard, ils se posèrent, nous laissèrent passer, et observèrent notre parcours jusqu’à ce que nous nous soyons éloignés… »
Beaucoup plus tard dans le texte :
« … Ce membre de la tribu Tourkout traduisit le mot "tchakhar" par "aigle royal"… »
Près du fleuve Orkhongaï, il y a vingt ans.La steppe, à perte de vue, s’étendant sous le ciel étoilé.
Un regroupement de yourtes, entouré de ses yacks, de ses chèvres, de ses moutons, illuminé de flammes vives.
Des cris, des hurlements, des aboiements des chiens jaunes, des armes qui s’entrechoquent.
Des hommes, des femmes, des enfants, abattus jusqu’aux derniers.
Des cavaliers fendant la nuit, soulevant la poussière, fuyant le massacre. Leurs poursuivants ne les rattraperaient pas.
Le premier pleure en abandonnant derrière lui des membres de sa famille. Mais il a un enfant dans ses bras. Le dernier de sa lignée. Il a reçu ordre de le sauver.
Un ultime espoir ?
Près du fleuve Orkhongaï, il y a dix ans.« Il y a bien longtemps, nos ancêtres ont déclaré certaines zones sacrées. A la fois pour le bien des hommes et celui de la nature. Mais aussi, dans certains cas, car cette terre devait être un sanctuaire pour des êtres … différents. Les laisser en paix était nécessaire pour notre survie. »
Kubilaï et son oncle Khabataar étaient assis face au soleil couchant, sur les contreforts d’une colline escarpée. En contrebas, le groupement de yourte, caché entre une forêt et des falaises, dégageait quelques fumées pour la préparation des repas.
Depuis des années, ces quelques familles nomades se cachaient, afin de ne pas se faire repérer par les Tchakhars. La steppe était grande, mais Khabataar avait appris à Kubilaï comment repérer les traces de présence humaine, comment déceler leur activité. Il lui avait même dit que s’ils se faisaient attaquer, il devrait fuir et se dissimuler, que c’était plus important que … il ne savait quoi !
A chaque fois que Kubilaï avait demandé à son oncle des explications sur cette fuite, ou sur cette éducation particulière qu’il recevait, le vieil homme, las, répondait : « Plus tard. Un jour, tu sauras. »
Le ton solennel que prenait Khabataar aujourd’hui, le lieu isolé dans lequel ils étaient, semblaient autant de signes que ce jour était enfin arrivé.
Malheureusement, c’était un événement douloureux qui l’avait provoqué.
Six jours plus tôt, le camp avait été attaqué. Avec les années, le groupe s’était agrandi, et les Tchakhars avaient retrouvé la trace plus facile à repérer des fuyards. Ils avaient menés une attaque, heureusement de maigre ampleur et mal coordonnée. Alors qu’ils tentaient d’encercler le village de façon discrète, Kubilaï avait ressenti leur présence, de l’autre côté des yourtes. Il en avait parlé à son oncle, qui avait aussitôt pu organiser la défense.
Ils avaient perdus nombre d’hommes et de femmes. Sans verser de larmes, Khabataar avait demandé à ce que soient pris le matériel et les bêtes, et ils repartirent aussitôt, faisant brûler les cadavres des leurs dans l’une des yourtes restée sur place, laissant les autres aux corbeaux.
« Pour le sanctuaire qui va des rives de l’Orkhongaï jusqu’aux collines Ovorkhongaï, un homme a été désigné comme le « Kharuldan », l’homme-sentinelle. Génération après génération, ce sont ces Kharuldan les chefs des Tchakhar. Ceux qui donnent un sens à tout ce mode de vie. Les liens que tissent les Kharukdan avec la zone sacrée leur donne aussi d'étranges pouvoirs, et leur démonstration rappelle à tous les Tchakhar qui ils sont. Ces pouvoirs sont un don, une responsabilité, un devoir. »
Le regard que Khabataar porta sur Kubilaï était étrange. Un mélange de fierté et de craintes.
« Mais avec le temps, et la taille grandissante de la tribu Tchakhar, beaucoup se demandaient quel était le but de cette sentinelle. S'il ne fallait pas remettre en cause le sanctuaire. S'il existait toujours des créatures devant être protégées, ou dont l'homme devait se protéger.
Ainsi, Chuluun, mon cousin et celui de ton père, décida d'en finir avec les Kharuldan. Il regroupa suffisamment d'hommes, et, une nuit, attaqua le camp de yourte.
Je me suis enfuis avec toi. » Sa voix s'étrangla. Ses yeux exprimaient des regrets. Comme il aurait aimé combattre Chuluun, et mourir en même temps que sa propre famille ! Mais il en avait été autrement. « Kubilaï, tu es le fils du Kharuldan. Tu es maintenant LE Kharuldan. Je t’enseignerai ce que je sais, mais le reste, tu le découvriras seul. Comme les autres Kharuldan. »
Il conclut, abruptement : « Tant que tu vivras, Chuluun, ses frères et ses fils te traqueront, pour te tuer. Tu es un risque pour eux. Beaucoup de Tchakhar regrettent le temps des Kharuldan. Certains nous rejoignent parfois, d’autres n’attendent que ton retour. »
C'est ainsi qu'un soir d'été, sur les bords d'une colline faisant face au soleil déclinant, Kubilaï prit conscience de son rôle. Et qu'adolescent, il portait déjà sur ses épaules la vie de fuite de beaucoup de Tchakhar, ainsi que le sang de ses amis morts quelques jours auparavant.
Loin d'être fier de son statut, ce soir-là, peut-être pour la première fois depuis longtemps, Kubilaï pleura.
A quelques pas, un aiglon se posa.
Extraits du rapport de Tedjii, chef de troupe, à Naranbaatar, chef de la tribu des Turkouts, retranscrit par Tkoustk, scribe. Une semaine après le cataclysme.« Il y a un mois, j'ai rejoint Kubilaï comme vous me l'aviez demandé. Il tenait à venger la mort de sa femme, votre propre fille, suite à une attaque d'un fils de Chuluun.
Ensemble, nous chevauchâmes jusqu'au camp de yourtes des renégats, et grâce à Kubilaï, nous les avons vaincus ! Il a effectué seul une reconnaissance, et a su déjouer un piège en repérant des ennemis qu'aucun d'entre nous n'avions décelé.
Puis nous avons tué Chuluun, ses fils, ses filles, et leurs enfants. Nous avons tué ses hommes, leurs femmes, et leurs enfants, et planté leurs têtes sur des piquets. »
« Puis Kubilaï a envoyé des cavaliers vers les yourtes situées dans les collines. Il a demandé aux hommes de venir pour un Zovlolni (Note du traducteur : Conseil sacré). Là, il a annoncé qu'il était le Kharuldan. Et que la Règle était à nouveau en vigueur.
Les hommes l'ont acclamé. »
« Puis il y a eu le cataclysme. Les terres des Tchakhars ont été aussi durement touchées que les nôtres. Beaucoup de bêtes sont mortes. Quand la viande sera terminée, la faim cisaillera les ventres aussi durement que les sabres le firent lors de la bataille.
Kubilaï s'est rendu au cœur des terres sacrées. Nul ne l'a accompagné. Quand il revint, il s'entretint longuement avec les sages Tchakhars. Il semble qu'il n'y ait pas trouvé ce qu'il cherchait. »
« Il a réuni ses hommes, et a désigné son oncle comme chef des Tchakhars pendant son absence. Il devait partir, a-t'il dit, pour comprendre ce qu'il s'était passé, et pour rechercher ce qui devait l'être. C'était son devoir en tant que Kharuldan. »
Tedji désigna un panier en osier à côté de lui, d'où pendait quelques draps.
« Pendant son absence, il a demandé à ce que vous preniez soin de son fils, votre petit fils. Le futur Kharuldan. »
Apparence :Les cheveux noirs, longs, attachés en un maigre chignon sur l’arrière de sa tête, tenu par une fine lanière de cuir qui laissait s’échapper nombre de mèches rebelles, une petite moustache tombante encadrant une bouche aux lèvres à peine marquées, des yeux souriants, brillants d’une lueur apaisée qui contrastaient avec son visage buriné par trop d’exposition aux rigueurs d’un soleil de plomb, Kubilaï semblait être un parangon d’humilité et de sérénité. On aurait presque dit qu’il pouvait s’effacer derrière cet aigle majestueux qu’il soutenait d’une main recouverte d’un gant de cuir épais.
L’arc immense qui parcourait son dos était impressionnant de par sa taille, mais aussi original de par sa conception. Incurvé à contre-sens sur ses extrémités, il permettait de projeter des flèches avec une force accrue, sans pour autant faire plier l’armature principale. Un observateur attentif aurait remarqué que la matière qui le composait n’était pas du bois, mais des os polis. On pouvait certainement s’interroger sur l’animal qui pouvait présenter une ossature à la fois aussi grande et aussi fine.
► Afficher spoilerPetit lexique :
Arak : Alcool de lait de jument fermenté.
Boortsog : Pain des Tchakhars.
Boodog : Plat traditionnel Tchakhar, qui consiste à cuire des marmotte (tavargany) par l'intérieur avec des pierres rondes chauffées, tout en chauffant aussi l'extérieur.
Domog : Mythe Tchakar
övsined : L'herbe qui fait rire, que l'on fume.
Sharkögts : Moisissures jaunes
Tarvagany : Marmotte.
Zovlolni : Conseil sacré, composé de tous les chefs de famille Tchakhar.
Quelques noms propres :
Delkiin Gazar : Le Nord du Nord.
Ömnöd : "Sud". En fait, désigne les terres qui sont au Sud du "Nord du Nord", donc au Nord...
Tchakhar : La tribu de Kubilaï, qui veut dire "aigle royal" dans cette langue.
Karuldan : "Sentinelle" dans la langue Tchakhar. Le chef des Tchakhars.
Orkongaï : Un fleuve qui traverse les Delkiin Gazar.
Khabataar : Oncle de Kubilaï, frère de l'ancien Karuldan. A pris Kubilaï sous son aile.
Chuluun : Cousin de Khabataar et de l'ancien Karuldan, qui assassina ce dernier pour devenir le chef des Tchakhars. A cherché pendant des années à retrouver Kubilaï et à l'assassiner.
Turkouts : Une tribu alliée.
Naranbaatar : Chef des Turkouts, et beau-père de Kubilaï. Le fils de Kubilaï a été placé sous sa garde le temps que Kubilaï mène sa mission. En effet, Kubilaï craint qu'il ne soit assassiné s'il restait parmi les Tchakhars, car il reste certainement des partisans de Chuluun.
Tedjii : Un chef de troupe Turkouts, qui a aidé Kubilaï à reconquérir son peuple et à massacrer Chuluun et sa famille.
Tkoustk : Scribe de Naranbaatar.