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Message Publié : 26 Octobre 2021, 02:32 
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"Il est l'heure, Monsieur Cobblebotte."

"Oui tout de suite, Monsieur Spriggeton!"

La lanterne qui brûlait d'une flamme verte depuis le coucher du soleil venait de tourner au orange, ce qui annonçait précisément l'heure de l'aube, ainsi que le début des activités commerciales de la ville. Mr. Cobblebotte, du haut de ses 1mètre-virgule-1centimètre-virgule-1milimètre, sauta sur un énorme soufflet qui se compressa avec une facilité surprenante sous le poids du gnome pour pressuriser un long tuyau qui zigzaguait jusqu'à la structure la plus élevée de la Haute Maison des Merveilles, et pour enfin faire sonner un puissant sifflet qui résonna partout dans le Temple de Gond.

"Bien joué, Monsieur Cobblebotte! Le Saint-Labeur peut commencer!"

"Merci, Monsieur Spriggeton! C'était un grand honneur!!"

Ils attrapèrent ensemble un pommeau au bout d'une corde attachée à une poulie et se laissèrent descendre dans un puit très profond. Ils chantèrent des chansons joviales pendant leur descente sous terre.

"Attention, Monsieur Cobblebotte!"

*wooosh*

"Ouf il s'en est fallu de peu!" dit le jeune gnome qui s'est presque fait happé par le contrepoids qui montait à la même vitesse qu'eux descendaient.

Ils aboutirent dans une grande voûte souterraine quelques cinquante mètres sous les rues de la ville. La voûte contenait un vaste lac souterrain avec un petit îlot au centre sur lequel une étrange structure faite de métal, de vessies de cuir, de poulies et de tuyaux crochus connectés au plafond attendait les gnomes. Monsieur Cobblebotte et Monsieur Spriggeton atterrirent gracieusement sur l'îlot, puis environ une douzaine d'autres gnomes descendirent également par d'autres tunnels verticaux, tous au bout d'une corde dont un qui, par erreur de calcul, avait terminé sa trajectoire dans le lac.

"Monsieur Coggity! Vous vous prenez pour une poche de thé, ce matin!?"

Une multitude de rires aigus retentit avec grand écho dans la caverne alors que les ingénieurs aidaient leur collègue à remonter la berge. Des leviers poussés, des valves tournées, des pelletées de charbon enfournées, et l'étrange machine se mit à émettre un ronronnement qui remplit toute la pièce. Reliant la machine à la voûte, une panoplie de tuyaux crochus ployaient et gémissaient sous la pression de l'eau du lac qui était acheminée à la surface.
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Message Publié : 03 Novembre 2021, 06:37 
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Les fontaines reprennent vie après une longue nuit et font jaillir leurs jets à nouveau. Les caniveaux se rincent des effluves humaines de la veille. Les baignoires chaudes des patriars se remplissent à même leur manoir. Le niveau des puits de la basse-ville remonte pour faire couler les robinets, au grand bonheur de ceux qui faisaient la file avec sceaux et tonneaux pour faire le plein d'eau potable. C'est le signal qu'attendait le Vigilar Jovan, du haut de son rempart, pour sonner la cloche qui ordonnait aux Targes d'en dessous de lever la herse. Les jeunes gardes se mirent à quatre pour tourner l'énorme manivelle qui servait à ouvrir la vénérable Porte de Baldur.

Petit matin comme les autres, Torgis Walden, le petit collecteur de taxes s'installa à son petit bureau avec sa petite caisse, un petit thé à la main, prêt pour la petite journée de perceptions. Comme d'habitude, il était flanqué de plusieurs assistants et de nombreux gardes du Guet.

    "Je suis prêt, Vigilar, faites avancer le premier."

L'officier du Guet fit signe d'approcher au premier marchand d'une looooongue file d'attente qui s'étirait presque jusqu'aux docks. Des commerçants de toutes sortes attendaient impatiemment l'ouverture de la Porte, certains même depuis plusieurs cloches avant l'aube.

    - Nom et cargo?
    - Bonjour, messire Walden. Je suis Wallace j'ai un charriot de poisson.
    - Ça fera douze cuivres. Suivant! Nom et cargo?
    - Belfare. Je transporte des tissus.
    - Hmmmm, fit le percepteur en examinant la marchandise. Trois argent et deux cuivres. Suivant! Nom et cargo?
    - Bon matin, je suis Dende Garciel. Je viens vendre mes lanternes artisanales.
    - Un argent et cinq cuivres. Suivant!
    - […] Traskar […] saucisses et fromages.
    - Huit cuivres. Suivant!
    - […] Goeleng […] des peaux et du cuir embossé.
    - Trois argent et six cuivres. Suivant!
    - […] une grosse marmite de soupe et du pain frais
    - Dix cuivres. Suivant!
    - […] des perroquets de Chult
    - Cinq or, dix argent et neuf cuivres. Suivant!
    - […] des statues de jade
    - Cinq argent, cinq cuivre. Suivant!
    - […] viandes de gibiers
    - […] Suivant!
    - […] plumes et parchemins
    - […] Suivant!
    - […] Vins de Luskan
    - […] Suivant!
    - […]
    - […] Suivant!
    - […]
    - […] Suivant!

Des centaines de marchands passaient ainsi la Porte de Baldur, tous les matins à l'aube. Après l'ouverture des portes, il fallait entre deux et trois cloches pour traiter la file au complet. Aucun animal de trait n'était permis en ville. Les marchands devaient donc manuellement transporter leur biens à travers les rues boueuses et cahoteuses à l'aide de petits charriots sur roues. Leur destination: soit le Vaste, soit la Porte du Dragon Noir. Avant la tombée de la nuit, les marchands devaient faire le chemin inverse, et payer les taxes à la sortie. Ils espéraient faire assez de ventes au cours de la journée pour au moins rentabiliser les taxes de l'allé et du retour, sinon… tant pis pour eux.

C'était un travail extrêmement laborieux. Surtout pour les commerçants installés en ville extérieure, qui devaient payer les taxes d'entrée et de sortie à la Porte du Basilisque en plus de celles de la Porte de Baldur. Tous en compétition pour les meilleures places de kiosque sur le Vaste, certains se levaient très tôt avant l'aube pour arriver les premiers. Après avoir trimballé leur marchandise à travers toute la ville, manœuvré les rues cahoteuses et parfois même dangereuses, monté la colline glissante menant vers la haute-ville, payé les taxes sur leur marchandise, ils arrivent enfin sur le Vaste pour réaliser que, finalement, les meilleurs lots ont déjà été attribués à des patriars de la haute-ville qui habitent tout près, à deux ou trois coins de rue de la place marchande, et n'ont pas eu à payer de taxes.
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Message Publié : 09 Janvier 2022, 22:03 
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La file d'attente était interminable. Un pas à la fois, Gustus poussait son charriot de sardines vers le haut de la côte dans l'espoir d'atteindre la Vieille Porte avant que les meilleurs kiosques ne soient tous occupés à son arrivée sur le Vaste.

- Mais par Waukyne, pourquoi est-ce si long ce matin??

Chaque matin, Gustus devait faire la file avant l'aube comme tous les autres pêcheurs et paysans de la basse-ville pour aller vendre ses produits dans le marché de la haute ville. Il regardait les autres gens derrière lui dans la file. Des vieux qui toussent. Des pauvres artisans désespérés. Des honnêtes gens. Des charlatans. Des marchands de fruits et de noix. Tous des esclaves de la société élitiste qui profitait grassement du dur labeur des citoyens pour faire vivre les patriars dans le confort, l'abondance et l'excès.

Chaque matin, Gustus était confronté à cette réalité accablante de n'avoir d'autre choix que de répéter le même manège tous les jours... ou mourir de faim. Et il lui arrivait même parfois de ne pas pouvoir manger à sa faim alors qu'à chaque jour, il voyait des patriars dodus et méprisants déambuler entre les kiosques pour acheter leur quatrième repas de la journée.

"J'aimerais tant les voir trimer toute la journée sur le bateau à tirer les filets et débiter morues sous le gros soleil d'Eléasis," rumina-t-il dans toute sa hargne. "Ça leur apprendrait à avoir plus de respect pour les gens comme nous."

Le poste de péage était en vue. Gustus allait bientôt passer la Porte pour se rendre, enfin, au Vaste, après plus d'une cloche et demie d'attente interminable. Ses vieux genoux étaient endoloris et fatigués par la longue corvée de se tenir debout et pousser son charriot de sardines au haut d'une côte glissante.

Un aristocrate moustachu accompagné d'un jeune homme s'approchèrent tous deux de la file d'attente pour la dépasser entièrement. Ils étaient vêtus de grands manteaux colorés d'exquises broderies et de fourrures exotiques, et coiffés de chapeaux plumeux tout aussi extravagants. L'homme marchait avec une canne ornementée de pierres précieuses et le jeune homme regardait les paysans de la file avec un dédain manifeste.

- Père, pourquoi doit-on tolérer ces roturiers dans notre cartier? N'appartiennent-ils pas à la basse-ville comme tous les autres chiens puants?, demanda-t-il en passant près du charriot de Gustus.

- Parce qu'il est beaucoup plus approprié que la marchandise vienne à nous plutôt que de devoir se rendre à la marchandise. Pourrais-tu imaginer ta tante obligée de descendre la côte glissante et parcourir les rues de la basse-ville pour aller acheter ses habits? répondit le noble moustachu d'un ton amusé et d'une élocution qui se voulait riche et distinguée.

- Non effectivement, elle n'oserait jamais se mêler à cette plèbe infecte, affirma le jeune homme en désignant les marchands dans la file comme s'ils étaient une peste à éliminer.

Le sang de Gustus bouillait d'indignation et de rage. Il en avait la mâchoire crispée et les tempes gonflées.

Sale espèce de petit rapace malfrat!! souffla-t-il entre ses dents. Je te ferais ta fête à grands coups de grappin si j'en avais la chance.

Le poissonnier en furie imaginait une scène particulièrement violente dans laquelle le jeune noble était à sa merci et il procédait de façon brutale à lui arracher des morceaux de chair au visage à l'aide d'un outil de pêcheur, appréciant les cris d'agonie et les supplices du jeune saligaud. Gustus n'était pas le seul à avoir entendu l'échange et d'autres marchands à proximité démontraient aussi des signes d'indignation et de dépit.

Les deux nobles se rendirent directement à la Porte, sans porter attention à la file d'attente, ni à ceux qui avaient attendu plusieurs cloches pour entrer.

Un membre du Guet à proximité d'une petite porte d'entrée sur le côté les salua et leur ouvrit le passage sans leur faire payer la taxe comme tout le monde.

La foule explosa en fureur et en protestations.

- HÉ HO!!! POURQUOI ILS FONT PAS LA FILE EUX!!?
- NOUS ON DOIT PAYER UNE TAXE ET PAS EUX?!?
- QUEL CULOT!! C'EST SCANDALEUX!!
- PAR TYR!! OÙ EST LA JUSTICE DANS CETTE VILLE!?!
- MAIS QU'EST-CE QUE C'EST QUE CET IGNOBLE PASSE-DROIT??
- SALETÉ DE PATRIAR!!

La file de marchands se déforma pour devenir une foule désorganisée qui criait et qui lançait des injures aux patriars qui venaient de disparaître dans l'embrasure de la petite porte latérale. Les gardes du Guet ordonnaient aux paysans de retourner en file mais ils n'en firent rien. En effet, leur réaction en ce jour était le résultat d'une accumulation excessive d'injustices de la sorte. Leur vie était, depuis toujours, régie par les décisions du Parlement des Pairs qui donnait tous les droits aux patriars et enlevait, un à un, chacun des droits aux autres citoyens. La tension entre les deux classes sociales grandissait depuis déjà plusieurs générations, et à ce jour, elle était à son comble.

- QUE LES PATRIARS SORTENT ET RÉPONDENT DE LEUR ARROGANCE!!, tonitrua Gustus en avant de la foule, ayant laissé son charriot de sardines derrière lui. IL EN EST ASSEZ DE CES PLEUTRES PROFITEURS POURRIS!! NOUS DEMANDONS JUSTICE!!

- JUSTICE!! JUSTICE!! JUSTICE!!, scanda la foule offusquée.

Les soldats du Guet se mobilisèrent.

Près d'une demi-douzaine de gardes en armure tentaient de repousser la foule de leur halebarde. Mais les protestants étaient très nombreux et de plus en plus vexés par cette énième démonstration de pouvoir et d'inégalité. Le noble moustachu et son fils s'étaient perchés au sommet du mur de la Porte pour voir le spectacle qu'ils venaient de causer. Le jeune patriar jubilait à l'idée de voir des paysans se faire rosser par des gardes. Il sautillait de joie en pointant la foule du doigt d'un air malicieux et goguenard. Aveuglé par la rage, Gustus vit les moqueries du jeune aristocrate et décida de lui lancer tout ce qu'il pouvait trouver sous la main. Une poignée de sardines, une pomme de terre, un bâton. Les autres paysans saluèrent l'initiative et firent de même. Une grêle de légumes et de débris quelconques tomba mollement sur les murs de la vénérable cité-haute. La tentative pathétique des protestants d'atteindre les nobles au haut de leur forteresse fit exploser le jeune homme de rire. En réponse à un épis de maïs inoffensif qu'il venait de recevoir sur l'épaule, il recueillit tout le mépris que contenait dans le fond de sa gorge pour larguer un énorme crachat sur la foule.

- Tiens! Prends ça espèce de limace ignoble.

- Thierry! Ça suffit maintenant. On rentre à la maison.

- Mais Père!! Ne veux-tu pas voir ce que ces chiens méritent?

Antagonisée au maximum par le geste irrévérent de se faire cracher dessus par un noble depuis le haut d'une forteresse, la foule enragée poussa les gardes vers l'intérieur de la Porte de Baldur. Le bureau du collecteur de taxes fut renversé. La caisse éparpillant son contenu dans toutes les directions. Des gardent tombèrent le cul par terre et piétinés à mort par une émeute déchaînée et une armure lourde qui les empêchaient de se relever. Les coups de hallebarde sur la foule ne faisaient qu'attiser la hargne des paysans, lesquels étaient tellement nombreux qu'ils arrivaient à attraper le hast des armes avec leurs innombrables mains pour ainsi désarmer les gardes et tourner les hallebardes contre eux.

La panique et le chaos était à son apogée.

- LA HERSE!! DESCENDEZ LA HERSE!! hurla le vigilar du Guet envers son subalterne.
- Mais... m'sieur... il y a des gens en dessous, répondit le jeune targe, hésitant à tirer le levier.
- PAR TEMPUS!! DESCENDEZ LA HERSE IMMÉDIATEMENT!! C'EST UN ORDRE!!!!!!

Le jeune soldat demanda pardon aux cieux avant de tirer le levier de la herse. Un grondement métallique saccadé et suivi d'un impact fracassant et assourdissant retentirent aux portes de la haute-ville. La gigantesque herse de métal rouillé venait de se refermer brutalement sur la foule, clouant cinq citoyens au sol, complètement empalés sous la lourde grille pieutée. Le peu d'émeutiers ayant pu franchir la porte juste à temps furent tous abattus sur-le-champ par une salve de traits d'arbalète.

Les clameurs et les protestations firent place à une terreur et un silence ébahi face à une telle brutalité. Tous n'arrivaient pas à croire ce qui venait de se produire. Une rivière de sang prenait forme sur le pavé au pied de la herse pour se diriger tranquillement vers le bas de la côte. Décontenancés et assommés face à la gravité de la situation, la foule se tassa silencieusement et instinctivement de chaque côté du chemin pour laisser passer la rivière rouge qui descendait doucement au milieu de la plèbe en direction de la basse-ville.

Sur le toit d'un immeuble qui donnait vue sur la Porte, une silhouette encapuchonnée était perchée au sommet du pignon. Elle avait observé le déroulement de la scène dans toute son entièreté et toute sa gravité. Puis, en un battement de cil, la silhouette descendit de son perchoir pour disparaître dans les ombres de la cité.
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