Les fontaines reprennent vie après une longue nuit et font jaillir leurs jets à nouveau. Les caniveaux se rincent des effluves humaines de la veille. Les baignoires chaudes des patriars se remplissent à même leur manoir. Le niveau des puits de la basse-ville remonte pour faire couler les robinets, au grand bonheur de ceux qui faisaient la file avec sceaux et tonneaux pour faire le plein d'eau potable. C'est le signal qu'attendait le Vigilar Jovan, du haut de son rempart, pour sonner la cloche qui ordonnait aux Targes d'en dessous de lever la herse. Les jeunes gardes se mirent à quatre pour tourner l'énorme manivelle qui servait à ouvrir la vénérable Porte de Baldur.
Petit matin comme les autres, Torgis Walden, le petit collecteur de taxes s'installa à son petit bureau avec sa petite caisse, un petit thé à la main, prêt pour la petite journée de perceptions. Comme d'habitude, il était flanqué de plusieurs assistants et de nombreux gardes du Guet.
"Je suis prêt, Vigilar, faites avancer le premier."
L'officier du Guet fit signe d'approcher au premier marchand d'une looooongue file d'attente qui s'étirait presque jusqu'aux docks. Des commerçants de toutes sortes attendaient impatiemment l'ouverture de la Porte, certains même depuis plusieurs cloches avant l'aube.
- Nom et cargo?
- Bonjour, messire Walden. Je suis Wallace j'ai un charriot de poisson.
- Ça fera douze cuivres. Suivant! Nom et cargo?
- Belfare. Je transporte des tissus.
- Hmmmm, fit le percepteur en examinant la marchandise. Trois argent et deux cuivres. Suivant! Nom et cargo?
- Bon matin, je suis Dende Garciel. Je viens vendre mes lanternes artisanales.
- Un argent et cinq cuivres. Suivant!
- […] Traskar […] saucisses et fromages.
- Huit cuivres. Suivant!
- […] Goeleng […] des peaux et du cuir embossé.
- Trois argent et six cuivres. Suivant!
- […] une grosse marmite de soupe et du pain frais
- Dix cuivres. Suivant!
- […] des perroquets de Chult
- Cinq or, dix argent et neuf cuivres. Suivant!
- […] des statues de jade
- Cinq argent, cinq cuivre. Suivant!
- […] viandes de gibiers
- […] Suivant!
- […] plumes et parchemins
- […] Suivant!
- […] Vins de Luskan
- […] Suivant!
- […]
- […] Suivant!
- […]
- […] Suivant!
Des centaines de marchands passaient ainsi la Porte de Baldur, tous les matins à l'aube. Après l'ouverture des portes, il fallait entre deux et trois cloches pour traiter la file au complet. Aucun animal de trait n'était permis en ville. Les marchands devaient donc manuellement transporter leur biens à travers les rues boueuses et cahoteuses à l'aide de petits charriots sur roues. Leur destination: soit le Vaste, soit la Porte du Dragon Noir. Avant la tombée de la nuit, les marchands devaient faire le chemin inverse, et payer les taxes à la sortie. Ils espéraient faire assez de ventes au cours de la journée pour au moins rentabiliser les taxes de l'allé et du retour, sinon… tant pis pour eux.
C'était un travail extrêmement laborieux. Surtout pour les commerçants installés en ville extérieure, qui devaient payer les taxes d'entrée et de sortie à la Porte du Basilisque en plus de celles de la Porte de Baldur. Tous en compétition pour les meilleures places de kiosque sur le Vaste, certains se levaient très tôt avant l'aube pour arriver les premiers. Après avoir trimballé leur marchandise à travers toute la ville, manœuvré les rues cahoteuses et parfois même dangereuses, monté la colline glissante menant vers la haute-ville, payé les taxes sur leur marchandise, ils arrivent enfin sur le Vaste pour réaliser que, finalement, les meilleurs lots ont déjà été attribués à des patriars de la haute-ville qui habitent tout près, à deux ou trois coins de rue de la place marchande, et n'ont pas eu à payer de taxes.