Sauf erreur de ma part, la liste des passagers
François Abelmayer
Cet homme d'une quarantaine d'années, aimable et bien élevé, se dit banquier. Travaillant pour le compte de la Banque Royale de Bruxelles, il est amené à se déplacer là où les intérêts de son employeur l'appelle. La Belgique est partie prenante d'un projet ferroviaire en Anatolie. S'il plaide la cause belge, ce financier bruxellois avoue pourtant sa crainte face à la montée du nationalisme dans les Balkans. Il redoute assez sérieusement, confiera-t-il Ion d'une conversation à bâtons rompus, de voir les grandes puissances européennes. Belgique en tête, entraînées dans un vaste conflit mondial à cause d'une "nation de moindre importance". Mais la politique internationale n'est pas l'essentielle de ses propos et François Abelmayer saura se montrer fort galant avec les dames. Délicat et cultivé, il mènera une cour discrète de vrai gentleman à toute représentante du sexe faible, digne de ce nom. Ces dames pourront ainsi apprendre qu'il gagne Paris où un modeste hôtel particulier l'attend. Il compte ainsi profiler pleinement des quelques jours de repos que la Banque Royale de Bruxelles a eu l'amabilité de lui octroyer après son déplacement à Istanbul.
Olga Delcourt
Cette jeune femme élégante et raffinée affiche sans fausse pudeur une aisance matérielle conséquente. Sillonnant pour son plus grand plaisir les grandes villes d'Europe, Olga Delcourt glisse d'un lieu de villégiature à l'autre sans jamais. Amatrice de trains de luxe, elle ne tarit pas son admiration pour le Train Express d'Orient, symbole du microcosme élitiste ou elle aime se mouvoir. D’un naturel accort, elle s'exprime indifféremment en français, anglais, allemand ou russe, sa langue natale. Avec légèreté et insouciance, elle prétend n'avoir cure de toutes les tensions politiques du moment. Elle adore Paris et ses grands couturiers, Vienne et ses artistes, Berlin et ses jeunes officiers à la nuque raide, Londres et son faste colonial, Rome et sa dolce vita et Istanbul et son climat oriental. "Si tous les dirigeants européens voyageaient aussi souvent que moi," clame-telle à qui veut l'entendre, "il n'y aurait plus aucun risque de conflit". Dotée par Dame Nature d'une beauté provocante, elle n'hésitera pas à se servir de ses atouts physiques afin de charmer un homme plutôt séduisant.
Harold MacKenzie
Ce turbulent et bruyant rouquin de trente ans, d'origine irlandaise est aussi un amateur de train de luxe. Dernier rejeton d'une vieille famille noble et fortunée, Harold aime par-dessus tout le bon whisky d'origine et le whist. Revenant d'Istanbul où il s'est rendu acquéreur d'un magnifique pur-sang, il compte s'arrêter au Ritz à Paris durant une petite semaine avant de regagner ses terres ancestrales. S'il se maintient au courant de l'actualité politique et économique, c'est uniquement pour ne pas dénoter au cours d'une soirée mondaine. Par contre, lorsque l'on aborde le domaine sportif (match de polo et courses de chevaux), il est intarissable, faisant preuve d'une érudition peu commune pour un homme de son âge.
Père Illitch
Ce digne ecclésiastique de 63 ans revient d'Istanbul a rencontré pour le compte du saint-Siège, le Patriarche de l'église orthodoxe de Constantinople. Spécialiste des ambassades discrètes et des entrevues officieuses, le Père Illich possède une finesse intellectuelle rare. Entretenant de bons rapports avec les milieux musulmans modérés, il connaît, pour l'avoir vu deux ou trois fois, votre bon concierge Farad Pacha. De nature plutôt réservée, notre bon père ne se mêlera pas de conversations mondaines et futiles. Par contre, si on l'en convie, il n'hésitera pas à donner son avis sur des sujets de politique internationale, de théologie comparée ou même de philosophie. Ses propos, fort pertinents, révèlent un homme instruit, cultivé et très réaliste. Pour lui, si les rapports entre la France, l'Allemagne et l'Angleterre n'évoluent pas vers une détente, et si des accords coloniaux ne sont pas rapidement conclus, une guerre mondiale est inévitable. Bien sûr, en tant qu'homme d'église, il redoute de voir le monde civilisé en arriver à de telles extrémités. Toutefois, il pense qu'en tant qu'Italien d'origine serbe, il ne se fera pas prier pour prendre ses responsabilités.
Capitaine Anton Slovak
Cet officier de la cavalerie polonaise est un grand gaillard d'un mètre quatre-vingt-dix, véritable colosse blond aux larges épaules. Issu d'une famille noble, le capitaine Slovak sert dans le 17e Régiment de lancier polonais, stationné à Varsovie. Jouant volontairement le rôle du militaire un peu borné, il étonnera parfois son auditoire par la subtilité de ses opinions. De plus, c'est un remarquable joueur d'échecs, à la fois inventif et rigoureux. Grand admirateur du régime militaire prussien, il déplore pourtant l'expansionnisme allemand vers les pays de l'Est. Persuadé qu'un jour la Pologne et l'Allemagne s'affronteront sur un champ de bataille, le capitaine Slovak déclare préférer tout savoir sur un futur ennemi plus que potentiel. Détestant par-dessus tout les mondanités, il ne fréquentera le wagon-restaurant du T.E.O. que le temps de trouver un partenaire pour une partie d'échecs.
Abdu Suleymani.
Ce négociant turc d'une quarantaine d'années travaille directement pour le compte du sultan. Vêtu à l'occidentale et coiffé d'un magnifique fez rouge, ce petit homme n'est guère sympathique. Communiquant assez rarement avec ses compagnons de voyage, il préfère se cantonner dans sa cabine et écouter des airs orientaux sur son phonographe, en fumant son narguilé. Se faisant servir ses repas dans sa cabine, vous aurez du mal à pouvoir discuter avec ce sympathique représentant de l'Empire.
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