Les Grecs et les Romains qui faisaient le pèlerinage d'Égypte, ne manquaient jamais de remonter le Nil au-delà de Thèbes (l'actuel Louxor), jusqu'à l'île de Philae. C'est là qu'ils recevaient l'initiation dernière. Osiris était le coeur de la religion égyptienne ; mais Isis, qui pleure la mort de l'époux divin et la réussite par la puissance de son amour, était le coeur du coeur, l'arcane de l'arcane. Aussi Philae, avec son temple voué à la bonne déesse, passait-elle pour l'île sainte et désirée entre toutes. Sa réputation a sur-vécu à la chute des dieux égyptiens, parmi les Arabes et les Berbères. Lieu merveilleusement choisi pour sa solitude, pour son charme exquis, pour je ne sais quoi de sauvage, de triste et de tendre, apte à éveiller les émotions profondes et inoubliables. La petite ville d'Assouan est la dernière d'Égypte. Déjà presque nubienne avec ses maisons blanches sous ses sveltes dattiers en parasol. La limite de la civilisation Méditerranéenne.
Pour visiter l'île d'Ibis, il faut prendre la route de terre, suivre le chemin des anciens pèlerins et revenir par les rapides qu'on appelle la première cataracte du Nil. Une chevauchée d'une heure et demie suffit pour aller d'Assouan à Philae. Au sortir de la ville, on entre en plein désert. Des deux côtés du chemin, on lit des inscriptions égyptiennes, grecques et romaines. Ce sont celles des pèlerins d'un autre âge. Et bientôt, voici en face de nous, entourée de rochers sauvages, l'île charmante et mystérieuse de Philae, dont le doux nom grécisé rappelle le verbe aimer, mais qui signifie en égyptien "l'île de la fin", le Finistère de l'Égypte sacrée. L'île allongée dans le sens du fleuve a la forme d'une sandale. Les colonnades et les deux pylônes du temple d'Ibis se pro-filent sur son arête en tons chauds. Jetons d'ici un regard sur l'île et ses alentours. Le site a quelque chose d'inquiétant et de paisible, d'étrange et hérisse d'écueils.
"Partout surgissent des rochers de granit et de syénite noir, avec des veines de diorite d'un vert sombre. Tantôt ils forment de petits récifs qui écument au milieu du fleuve, tantôt ils s'écroulent sur les rives en escaliers tumultueux, tantôt ils redressent leurs angles en castels bizarres, en pitons menaçants. La teinte rougeâtre des roches maculées de taches noires, donne à l'ensemble du paysage quelque chose de fantastique et d'infernal." - Edouard Schuré in Sanctuaires d'Orient.
C'est vers ce lieu mystérieux et enchanteur que vous voguez. La croisière est des plus monotones. Sur la douzaine de touristes présents à bord, huit sont anglais et quatre égyptiens. Les passagers communiquent peu entre eux. Les sujets britanniques appartiennent à l'armée et se rendent, en compagnie de leur épouse, à Louxor où ils doivent prendre leurs quartiers. Quant aux Égyptiens, ils ne parlent pas une autre langue que la leur et ne se mélangent guère aux Européens. Voilà qui promet un voyage des plus réjouissants !
Le marchand persan, Zia Sarkan, vous attend sur le quai. Il vous a précédé... de quelle manière ?
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