« De rien, Dyr. Ça a été un plaisir. Bon, moins quand on me cognait dessus mais tu as saisi l'idée, hein? »

Rasan était mal à l'aise. Il n'aimait pas la magie en général mais il s'inquiétait surtout pour la jeune femme. Il espérait que le rituel n'impliquait pas qu'elle, en tant que disciple d'Ilmater, sacrifie quelque chose pour le bien commun. Nerveux, il serrait machinalement la poignée de sa lame pour essayer de se détendre, en attendant que tout se termine.

Dyrnaël entonna une ultime prière. Récité dans une tonalité très triste, le chant rendait hommage aux valeurs d'Illmater : dévotion, souffrance, sacrifice, altrusime...

La jeune femme tenait la dague de Malvaï entre ses deux mains jointes. L'artefact semblait réagir à la prière et se mit à luire d'une aura verdâtre, de plus en plus intense à mesure du chant.
Un rayon de soleil pénétra dans la caverne par la large ouverture qui donnait sur la mer. Une lumière blanche enveloppa le corps pur de la belle Dyrnaël.

Les forces arcaniques qui opposaient la nécromancie de Malvaï et la bénédiction d'Illmater s'intensifièrent. Halo glauque contre rayonnement solaire.
Sur les murs de la caverne se projetèrent des vagues de lumière colorées vertes et blanches qui se mêlèrent... La tension de cet affrontement électrisait l'air humide de l'endroit.

Mieux valait à ce stade ne pas intervenir. Le rituel demandait à Dyrnaël une grande concentration, que les héros craignaient de briser.
Seule, Kayah, d'une voix timide et à peine audible, reprenait parfois quelques vers à l'unisson de la jeune Illmate.

La voix de Dyrnaël tremblait, des larmes qu'elle ne parvenait plus à retenir coulaient sur son visage.
Mais la jeune femme était déterminée et semblait savoir ce qu'elle faisait. Elle s'y était préparé. Depuis longtemps. Depuis toujours peut-être.
N'avait-elle pas dit être la fille adoptive de Dorim ? Le temple d'Illmater l'avait peut-être recueillie dans le seul but que la jeune femme accomplisse le destin que son dieu lui avait confié...

Puis, tout se passa très vite. A ce moment précis, Dyrnaël commit alors un acte aussi soudain qu'inattendu.
D'un geste rapide et sûr, sans aucune hésitation, la jeune femme planta la lame maudite dans sa propre poitrine !
« Je veillerai sur vous... » murmura-t'elle dans un dernier souffle.

En un éclair, l'aura glauque quitta la dague pour infuser dans le corps de la jolie martyre.
L'instant d'après, la lumière blanche se fit plus intense et effaça toute trace de lueur verdâtre.
C'en était fini de la malédiction de Malvaï.

Près du bord de la falaise, le corps inerte de Dyrnaël bascula en arrière. Même dans la mort, elle conservait sa beauté et sa pureté.
Simplement enveloppée de sa légère robe blanche et d'un rayon de soleil, elle disparût parmi les embruns et l'écume de la mer agitée tout en contrebas...

« Non! »

Le chevalier voulut se précipiter en avant pour rattraper la jeune femme mais il n'était pas le plus vif des hommes, sans doute a cause de la vingtaine de kilos de métal qui lui tenait lieu de seconde peau. Oh, en temps normal, il aurait quand même tenté sa chance et aurait rivalisé d'humour avec ceux qui se serait moqué de lui a cause de sa lenteur.

Mais pas là. Pas maintenant. Pour la première fois depuis longtemps, Rasan n'avait plus envie de rire...

Lorsque Iahn réalisa à quoi rimait les discours de Dyrnael, il était trop tard. La belle procéda au sacrifice ultime en s'enlevant la vie avec l'arme du mal. Comme Rasan, il se propulsa sur le bord du trou, impuissant. La mer avait gobé le corps de la jeune femme sans rien laisser de trace.

L'Imaskari fut pétrifié un long instant, interdit devant le vide soudainement créé par la disparition de la lumineuse Dyrnael. Malgré lui, sa gorge se resserra douloureusement lorsqu'il voulut prononcer quelques mots. Ses yeux s'embrouillèrent et il les frotta rapidement du revers de sa manche. Il fit quelques pas vers la paroi de la grotte et il glissa jusqu'à se retrouver assis, le visage dans les mains.

« C'est fait. C'est terminé. Le monde a perdu à la fois la plus pure des créatures et le plus vil des objets. Certains diront que c'est "juste". »

Iahn se releva soudainement pour quitte promptement la grotte, sans rien ajouter de plus. Il remonta à l'auberge, prêt à raconter son histoire à Valtar et à tous ceux qui voulaient l'entendre. L'histoire et le nom de Dyrnael la pure ne serait pas oublier. Il s'en faisait la promesse.

Les loups regardèrent avec surprise la scène.

Norlas semblait un peu plus attristé, ayant apprécié la pretresse

Keyris, quant à lui, était juste surpris, mais ne montra rien de plus. Tant qu'il était enfin débarrassé d'eux et de ces rêves, il s'en fichait, ne voulant que retourner à la vie sauvage qu'il connaissait

Arrasto regard ale rituel avec des yeux d'Arcaniste. Il était magnifique. Le geste de la prêtresse encore plus. Il ne bougea pas au contraire des autres. Aurait il la rapidité pour s’éclipser et revenir ? Il le saura pas.

La beauté du geste est plus grande que si il pouvait ramener un corps sans vie.

Il resta sur place pour honorer la mémoire de Dyrnaël à la manière des éladrins. Sa vie était de nouveaux libre sans le songe entêtant.

La nuit suivante les héros révèrent à nouveau de Dyrnaël.

Ils virent la jeune femme, dans sa légère robe blanche. Elle était belle, radieuse, pure, sereine.
Dyrnaël était à une tête d'une longue procession. D'innombrables autres jeunes femmes, des filles, parfois très jeunes, la suivaient.
La file était si longue qu'on ne pouvait en distinguer la fin. Les rêveurs comprirent qu'il s'agissait des 40000 vierges sacrifiées par les rituels de Malvaï.

La procession progressait lentement sur les flancs d'un Mont majestueux qui s'élançait vers les Cieux.
Les paysages étaient irréels, et sans savoir exactement pourquoi, on comprenait que les images ne provenaient pas de ce monde.
Dyrnaël pénétra finalement dans un vaste temple à ciel ouvert, aux grandes et nombreuses colonnes de marbre blanc.
Au coeur du royaume de Martyre, le domaine d'Illmater, Dyrnaël fut enfin libérée de toute souffrance. Elle était une parmi 40001.
Plus aucune de ces vierges innocentes, plus aucune de ces jeunes femmes n'aurait à endurer douleur ou peine maintenant.
Dyrnaël les avait guidées jusqu'à leur libération, jusqu'au salut de leurs âmes. Là où Illmater veillerait sur elles, et les protégerait...


Le dernier rêve s'acheva. Les dernières images oniriques, la dernière vision de Dyrnaël.
Même si chacun des héros tracerait encore longtemps la voie de sa propre destinée, cet événement marqua la fin de leur aventure commune.
Ainsi se termina la légende de la Compagnie du Bout du Monde.