Le matin du quatrième jour après leur départ de Cennuroth, la Compagnie du Bout du Monde arriva enfin sur les flancs du vaste cirque montagneux au centre duquel était situé le cratère d'un vieux volcan éteint. Ils en entreprirent aussitôt l'ascension. Le vent qui avait été clément pendant la nuit se remit à souffler en altitude.

A mesure qu'ils approchaient de leur destination, les héros découvrirent de vieux vestiges, des ruines disséminées dans le paysage. Leur progression fut facilitée par ce qui devait être autrefois une route dallée qui avait été aménagée pour permettre l'accès à Ombregrise. La route (du moins ce qu'il en restait) était bordée de pierres de basalte sculptées. Ils s'agissaient d'anciennes statues : la plupart étaient tellement abîmées par le temps qu'on ne distinguait plus guère ce qu'elles représentaient, mais sur quelques-unes miraculeusement protégées de l'érosion on pouvait encore reconnaître les traits de créatures démoniaques.

La route menait jusqu'à une antique citée étagée sur les flancs du volcan. Cette ville maudite n'était plus aujourd'hui qu'un champ de ruines abandonné et balayé par les vents. On devinait malgré tout entre les blocs de pierres ce qui devait autrefois constituer des rues. Le groupe continua son ascension en traversant la cité. Son étendue témoignait de la puissance qu'avait du avoir Malvaï le Nécromant.

Arrivés enfin au sommet du volcan, un spectacle fascinant s'offrit aux yeux des visiteurs: l'intérieur du volcan était occupé par un lac gelé aux reflets argentés, au centre duquel se dressaient les vestiges d'Ombregrise, la forteresse de Malvaï, construite sur une île. Un long et précaire pont de pierre s'élançait du bord du volcan et permettait de relier l'île.

La montée jusqu'au bord du cratère se fit dans un silence peu réconfortant. Les vestiges de l'ancienne cité était froid et il n'y avait aucune âme qui y vivaient. La mage contemplait la désolation et il s'intéressait à la composition du paysage, forçant son imagination à reproduire mentalement une version animée de l'endroit.

Au plus haut point, le spectacle défia l'idée qu'il s'était fait de l'endroit. La forteresse culminait sur un abrupte piton rocheux. Seul un vertigineux passage de pierre reliait leur destination au bord de la caldeira.

« Enfin, nous y voilà. Je ne saurai dire si le pire est derrière nous. J'avoue espérer que la forteresse soit aussi déserte que la ville que nous venons de traverser. Alors Arrasto, ton pas éladrin me semble le plus approprié pour vérifier la solidité de ce pont. Y vois-tu une objection ? »

S'il y avait quelque chose de positif à avoir atteint leur destination, Kayah, pour autant, était loin d'apprécier le paysage. Les lieux semblaient transpirer l'idée même de malédiction et les statuts de démons portaient sur les nerfs de la servante des dieux. Tandis que les autres discutaient de qui passerait le pont en premier, elle scrutait le paysage tout autour.

« Et bien. C'est engageant ! »

Bérul contemplait le pont. Solide, pas solide...

« Nous ferions bien de l'examiner soigneusement avant. Le pas d'un Eladrin a beau être léger je crains que ce pont soit à l'abandon depuis déjà quelques temps. »

« L'éladrin doit se poser de temps en temps. Je suis d'accord avec vous, je le sens pas ce passage. »

Arrasto scrutait les environs pour essayer de détecter des observateurs. Si il y a de la population, ils auraient mis des sentinelles par ici. C'était logique.

Les héros refrénèrent toute précipitation et prirent le temps d'examiner attentivement les lieux.

Kayah s'intéressa tout d'abord aux statues qui jalonnaient la route. La plupart étaient ornementales et représentaient des démons mineurs, maigres, écailleux et cornus. Il était difficile de dire si elles avaient eu une fonction spécifique (effrayer la population d'Ombregrise ou dissuader les visiteurs), ou bien si elles témoignaient simplement du mauvais goût de Malvaï en matière de décoration. D'autres statues, peut-être les vestiges d'anciens temples, constituaient des objets de culte, et représentaient des seigneurs démons majeurs qui avaient été vénérés ici. Parmi eux, Orcus, Thralhavoc, Vucarik, Lazbral'thull, Eldanoth... Les domaines qui leur était généralement attribués étaient les morts-vivants, la torture, le meurtre...

Au bord du cratère les héros contemplaient le paysage, essayant de mieux appréhender la situation. La paroi vertigineuse tombait sur près d'une centaine de mètres avant d'atteindre le lac. La vaste étendue d'eau ne devait être gelée qu'en surface à en juger la structure morcelée des plaques de glace, et les courants qu'on devinait en dessous. Des rivières souterraines devaient assurer la circulation de l'eau et l'empêcher de stagner. Au dessus du volcan, une brume épaisse s'était formée, régulièrement balayée par de puissants vents tourbillonnants.

Au milieu du lac, l'île qui supportait le château de Malvaï était un impressionnant piteux rocheux. Bâtir un tel édifice sur un tel terrain avait dû nécessiter une certaine expertise en construction, et très vraisemblablement une bonne dose de magie. Le pont étroit qui permettait de relier l'île défiait encore davantage les lois de la physique : sans pilier, ni suspente, il avait miraculeusement résisté à des siècles d'érosion. Bérul en inspecta les pierres, en testa la solidé. Malgré son aspect précaire et peu engageant, le pont semblait encore suffisamment solide pour permettre une traversée prudente... De l'autre côté de l'île, derrière les ruines du château de Malvaï, Iahn distingua une autre construction tout aussi étrange : une sorte d'escalier aussi étroit qu'improbable s'élevait dans les hauteurs jusqu'à se perdre dans la brume.

Arrasto quant à lui scrutait les environs, cherchant à confirmer ou infirmer les apparences : l'endroit était il totalement désert ? Malgré ses sens aiguisés, il ne put percevoir aucun mouvement ni dans les ruines de la ville, ni sur le pont, ni même parmi les vestiges du château. Cependant, au bout de plusieurs minutes de concentration et d'observation, il crut apercevoir quelque-chose. Ce n'était pas au sol, mais dans les airs : l'éladrin avait cru distinguer , pendant un bref instant, la silhouette d'une créature ailée qui avait aussitôt disparue dans le brume.

« Bon... Qui se lance en premier? A moins que vous n'ayez une autre solution à proposer? »

Rasan observait les environs, à la recherche d'une autre solution. Il fallait dire que d'habitude, face au danger et au risque, il pouvait compter sur son armure et son bouclier mais hélas, des cas comme celui-ci lui rappelait l'égalité entre tous face aux lois de la gravité. Et vu son poids tout équipé, la gravité ne l'aimait déjà pas vraiment...

Ce n'était pas de la lâcheté, juste le pragmatisme de celui qui savait que peser plus du quintal en armure pouvait gravement nuire à la santé quand il s'agissait de traverser des ponts qui semblaient en mauvais état...

Voyant que personne ne se portait spontanément volontaire, Dyrnaël déclara:
« Je ne crois pas qu'il y ait d'autre accès. Laissez-moi y aller en premier. Je suis la plus légère du groupe... »

La jeune femme acheva d'attacher son cheval blanc à un pilier de pierre en ruine non loin de là.
« Ah, non, mon brave, » expliqua-t-elle à sa monture, « toi, tu restes ici... »

Dyrnaël s'encorda, tendit la corde au chevalier d'Eauprofonde, en lui faisant un clin d'oeil.
« Une fois encore, je remets ma vie entre tes mains, Rasan... »

Ainsi assurée, la fidèle d'Illmater s'avança sur le pont, lentement. Un pas prudent, puis un autre...
Bientôt, elle se retrouva à cinq mètres du bord, la corde toujours tendue entre elle et Rasan.
« Ça a l'air de tenir... »

« Bon, tant mieux. Place au poids lourd... »

Le chevalier se tourna vers son cheval et lui lança:

« J'ai bien vu que tu avais pris du poids ces derniers temps, donc c'est ton tour. »

La bête renacla devant son maître avant que Rasan ne ricane:

« Je plaisante. Tu es aussi svelte qu'à notre départ d'Eauprofonde. Si ça casse, tu nous remontes »

L'homme attacha au pommeau de sa selle avant de s'avancer à son tour sur le pont, en se tenant à la corde.

Iahn admirait le courage de la jeune fille. Ilmater avait fait un choix avisé. Il n'y avait aucun doute. Malgré tout, l'aventureuse femme s'exposait à un danger inutile. Rasan la surveillait de près et après quelques enjambées de Dyrnael, le chevalier décida d'avancer à son tour après avoir noué la corde à sa fidèle monture.

« Bérul... voudrais-tu aussi mettre une main ou deux sur la corde, je te prie. »

Puis Iahn s'approcha de la tête du pont.

« Conserver quelques coudées de corde entre vous. Il vaut mieux ne pas concentrer le poids en un point précis. »

Les deux loups s'assirent en regardant les autres aventuriers se débattre avec le pont et la corde.
Au fond de lui, Keyris espérait presque que le pont se brise et que la corde se détache, ainsi, il serait débarrassé à la fois de sa corvée et de ces rêves.
Néanmoins, il n'allait pas de lui même mettre en péril leur tentative, aussi se contenta-t-il de regarder

Rasan et Iahn s'encordèrent à leur tour, et suivirent Dyrnaël sur le pont, assurés par Bérul.
Arrasto et Keyris observaient la progression des trois courageux aventuriers, rongés par la peur (ou le secret espoir) de voir le pont céder sous leur poids.
Mais aucun incident ne fut à déplorer : la cordée progressa sans encombre jusqu'à environ la moitié de la distance qui les séparait de l'île.

Kayah rejoignit également le bord du précipice. Les ruines de la ville d'Ombregrise la mettait mal à l'aise, comme si l'endroit était maudit ou hanté.
Malvaï avait été un nécromant, et ce simple fait n'était pas pour rassurer la déva.
En plein jour, les vestiges de l'antique cité semblaient déserts, mais une fois la nuit tombée en-serait-il toujours de même ? La prudence lui disait de profiter de la lumière du jour, et de ne pas perdre de temps.

Tous se décidèrent finalement à traverser, adoptant la même attitude prudente. Arrasto ferma la marche, prêt à utiliser ses pouvoirs en cas de problème.
Quelques pierres branlantes se détachèrent à leur passage. Par endroits, certains des aventuriers manquèrent de trébucher sur la surface irrégulière du passage meurtri par le temps.
La Compagnie du bout du monde parvint à atteindre le bord opposé sans plus d'encombres. Tous furent aussitôt soulagés.

Maintenant au cœur de l'ancienne cour intérieure de la forteresse en ruines, les héros pouvaient en apprécier la grandeur impressionnante malgré l'état de délabrement de l'édifice.
Une partie des murailles d’obsidienne avait été abattues, mais les tours principales des remparts étaient encore debout. L'intérieur du château n'était plus qu'un chaos de pierrailles, mais on pouvait encore distinguer : les ruines d'un ancien temple (1), ce qu'il restait d'une caserne (2), un observatoire astronomique à ciel ouvert (3), une gigantesque statue de dragon (4), un palais dont il ne restait plus que quelques pièces (5), et une haute dalle de pierre de couleur rouge sombre en partie recouverte d'une mousse verdâtre(6).

Ombregrise

Encordés, Iahn et ses compagnons avaient réussi à atteindre la forteresse. Le spectacle était à la fois intriguant et lugubre. Il leur restait une tâche colossale à accomplir.

« Nous avons trouvé la botte de foin. Ne reste plus qu'à trouver l'aiguille. »

Le mage se tourna vers la jeune femme.

« Avez-vous quelconque indication pour orienter nos recherches ? »

Arrasto chercha le point le plus haut de la vieille forteresse. Il voulait prendre un garde et vérifier les environ. Il détestait être emprisonné dans une ville. Arrasto se monta sur la surélévation.

« Je monte en haut pour vérifier les environs et si je vois quelques choses. »

Il rangea son épée et grimpa sur la hauteur.

« Oui, nous y voilà enfin... » dit Dyrnaël, enfin soulagée.
« Et tu as tout à fait raison, Iahn ! », ajouta-t-elle ensuite. « Je crois que ne nous sommes pas encore aux bout de nos peines. »

« Bérul, as-tu encore ce manuscrit, que je t'ai confié? Il me semble qu'il y était question d'un complexe souterrain... »

Dyrnaël, Bérul et Iahn se replongèrent ensemble dans le texte énigmatique:


« Là, regardez ! » dit la jeune femme en soulignant du doigt un passage du parchemin.
« C'est écrit : "ta Dague Maudite se trouve dans ton château, au sein d'un dédale de salles souterraines". »

Pendant ce temps, Arrasto entreprit une ascension jusqu'aux remparts. Il trouva un vieil escalier en ruines dans une petite tour d'angle. L'escalier était à demi éboulé et ce qui tenait lieu de marches ressemblait plus à un amoncellement de grosses pierres. Mais le passage était encore praticable. L'éladrin grimpa ainsi en alternant l'escalade et les bonds magiques de son éclipse féérique. Finalement, il atteignit ce qu'il restait du chemin de ronde.

Depuis les hauteurs, le mage d'armes avait une bonne vue d'ensemble sur la forteresse. Certains murs extérieurs en basalte avait bien résisté au temps et lançaient encore un plus haut vers le ciel des pointes irrégulières. Mais ces vestiges n'abritaient plus que des édifices éventrés. Les étages supérieurs de ces bâtiments s'étaient pratiquement tous effondrés à l'exception notable de l'observatoire qui en comptait encore deux. Pour le reste, la plupart des salles visibles étaient à présent de simples enceintes à ciel ouvert. Hormis les fortifications extérieures, c'était résolument le vaste palais rectangulaire qui avait bénéficié d'une construction renforcée et des murs les plus épais (même si cela n'avait visiblement pas suffit à empêcher sa destruction).

Iahn avait bien noté ces renseignements quelque part dans un de ses cahiers, mais dans le moment, cela lui avait échappé.

« Ce n'est pas rien. C'est un bon début. Si Malvai est aussi vil que le rapporte l'auteur, il faudra se montrer très prudent. Même après toutes ses années et cette décrépitude, les pièges évoqués dans la transcription pourraient exister et toujours être fonctionnels. »

L'Imaskari jeta un oeil autour de lui, pour trouver l'éladrin qui grimpait sur le plus haut point de l'enceinte.

« Avant de descendre, peut-être vaudrait-il mieux installer notre camp. Rasan, que fait-on des chevaux ? Ne seraient-ils pas mieux ici ? Ça m'ennuierait terriblement de les perdre et faire le reste de ce pèlerinage sur mes deux pieds. »

« Si nous les laissons ici, nous prenons aussi le risque de les perdre, Iahn. Rien ne nous dit que personne d'autres ne soient à notre recherche voir notre poursuite. Les deux possibilités comportent des risques.

Mais je suis d'accord pour installer notre camp, en tout cas. »

Rasan observa les environs avant d'ajouter:

« Ces énigmes... Une idée? »

Une décision fut finalement prise en faveur de faire traverser les chevaux. Kayah avait ressenti un sentiment de gêne dans les ruines de la veille ville d'Ombregrise, comme si l'endroit était maudit ou hanté. Cet argument permit d'emporter la décision. Les héros les plus agiles et les meilleurs cavaliers, décidèrent donc de franchir une nouvelle fois le pont afin de s’acquitter de cette tâche. Bien que le passage en pierre s'était avéré étonnamment solide, sa surface demeurait inégale et dangereuse. Les vents tourbillonnants d'altitude provoquaient parfois des rafales qui balayaient le pont, et aucun garde-fou ne pouvait empêcher une chute mortelle. Les héros redoublèrent de prudence. L'opération complète leur prit plus d'une heure, mais leur précautions furent payantes, et l'entreprise fut couronnée de succès.

Dans le même temps, et avant de se lancer dans une exploration plus poussée des vestiges du château de Malvaï, les autres héros restés sur l'île décidèrent d'y monter un camp de base. Ils choisirent de s'installer dans les ruines de l'ancienne caserne. En prenant possession des lieux, ils trouvèrent parmi les décombres quelques restes qui témoignaient de l'activité passée de l'endroit : quelques ossements (pour la plupart des os de gobelins), des armes et armures rouillées, des outils vermoulus, et quelques pièces de cuivre.

Une fois ces tâches logistiques accomplies, la compagnie du bout du monde s'accorda le temps une rapide pause déjeuner un peu tardive.
Et il fut ensuite de nouveau question des énigmes, et de comment accéder aux salles souterraines.

« Hum... "J'étais brûlant alors j'ai mis mon manteau. Pourtant il ne m'a pas protégé de la pluie." » répéta Dyrnaël à haute voix, mais sans y trouver le moindre sens.
« Je me demande de quoi il s'agit. Nous trouverons peut-être des indices en continuant nos fouilles.
On ne trouvera sans doute rien de plus ici dans les casernes. Allons explorer un autre endroit. Une suggestion ? » proposa la jeune femme.