« Maintenant, ces messieurs se préparent et se disposent comme ils veulent pendant que je m'approche.
Ces goujats ne se méfieront pas d'une femme seule. » chuchote Charlotte en ressortant le pistolet de sa poche.
Elle examine l'engin puis décide de le prendre fermement en main, par le canon « uniquement en cas de besoin » dit-elle en le cachant au creux de son coude et en ajustant son châle autour de ses épaules.
Il est vrai qu'ainsi, on ne voit pas qu'elle est armée, mais elle dispose tout de même d'une solide matraque directement en main.
« Dans mon idée, je remonte la rue jusqu'à la prochaine intersection, là-bas je tournerai à droite.
A moins bien sûr que ces endormis ne montent la garde et n'aient la mauvaise idée de m'adresser la parole.
Je vais tâcher d'être prudente. » puis après un petit sourire plein d'assurance adressé aux renforts masculins, la vaillante institutrice s'avance dans la rue Duployé, du pas lent d'une femme harassée par une longue journée de travail.
Ses talons ne résonnent que modérément sur le pavé de Paris. Mais dans le silence nocturne, ils s'entendent tout de même.

Cette fois, c'en était trop. Auguste passa outre les usages et retint par le bras l'impétueuse demoiselle, d'une poigne solide remarquant :
« - Non. Aucune demoiselle n'arpenterait seule les rues en cette heure tardive. Soyez raisonnable. D'ailleurs, nous n'avons pas besoin d'un appât... mais de nous approcher. Depuis votre dernière intervention en première ligne -qui a failli vous tuer-, votre visage risque d'être immédiatement reconnu, s'il y a là un des malfrats de l'attaque à Montparnasse.
Seuls William et Archibald n'encourent pas ce risque.
Il nous faut un plan, et on va prendre quelques minutes pour ça... s'il vous plait. »
... et même si ça vous plaît pas, d'ailleurs.

Charlotte soupire bruyamment ! avant d'éructer en chuchotant : « Un plan ! Vous voulez un plan ?!
En voici un de plan : « A cette heure tardive, une jeune institutrice fatiguée rentre chez elle. »

Si l'un ou l'autre ou les deux de ces messieurs m'a vue lors de l'enlèvement de Sabine, c'était dans une toute autre tenue !
Ma robe en soie -la plus belle des deux seules que j'avais, soit-dit-en-passant- , est définitivement ruinée !
Je n'ai pas la même coiffure. Mon châle en laine est d'une toute autre facture ! La robe que je porte en dessous est ma robe de travail.
Et si vous, peut-être, êtes physionomiste, je vous assure que la plupart des gens - et les hommes en particuliers - classent les femmes d'abord en fonction de leur rang social affiché par leur tenue avant de distinguer véritablement leur visage. Je vous ferai grâce de mes expériences en la matière des amis de mon père ayant l'habitude de me voir bien mise dans leurs salons qui ne me reconnaissent pas dans la rue comme de celles vécues avec mes élèves de l'école et leurs parents qui ne me reconnaissent pas quand je suis habillée en Dame !
Soit ces messieurs dorment à leur poste - ce qui est fort probable -, et ils ne me reconnaitront de toute façon pas. Soit ils ne dorment pas et nous avons plus de 8 chances sur 10 pour qu'ils ne me reconnaissent pas non plus !
Ce que je vous propose n'est pas de les affronter frontalement, je ne suis pas aussi idiote que vous le pensez !
Mais simplement de passer devant eux pour repérer leur état et celui de la porte qu'ils gardent, pendant que certains de vos hommes font le même trajet dans une rue parallèle et me rejoignent après la prochaine intersection !
De là, je pourrai leur dire ce que j'aurais remarqué et ainsi vous faciliter l'assaut viril qui vous importe tant !
Je ne suis pas un appât mais si vous essayez encore une fois de me laisser en arrière, je saurai si bien me jeter directement dans la gueule du loup que vous n'aurez d'autre choix que d'intervenir dans l'instant et sans aucune préparation ! Est-ce vraiment là ce que vous désirez ?! »

Charlotte ne laisse qu'à peine le temps au Sieur Auguste le temps d'accéder à son plan avant de le mettre séance tenante à exécution.

Une fois de plus Charlotte refusait d'écouter le bon sens et menaçait même de se jeter volontairement dans la gueule du loup.

A-t-elle seulement conscience de la stupidité de son plan ? Quelle institutrice se promènerait aussi tard dans un lieu pareil ? Son mensonge ne tiendrait pas cinq secondes...

La jeune femme argumentait mais Louis était déjà las de l'écouter. Que d'inepties... Ça se veut réfléchi mais c'est tout sauf intelligent... Vosserkopf.

Le jeune homme attendit que Charlotte porte son attention sur le docteur Duchamp puis se glissa derrière elle avant d'utiliser la crosse de son revolver pour lui asséner un violent coup sur l'arrière du crâne pour l'assommer. Je pense qu'elle sera moins dangereuse pour la mission une fois inconsciente.

Louis, profitant de la discussion passionnée de Charlotte et d'Auguste, se plaça derrière la jeune femme. Il se tenait prêt à la frapper de la crosse de son arme avant qu'elle ne s'en aille mettre son plan à exécution, sans autres observations préalables...

« Allez-vous arrêter d'être aussi insouciante une seconde, jeune fille? »

Archibald avait froncé les sourcils en entendant la jeune femme exposer son plan:

« Vous n'êtes pas seule ici. Vous nous imposez vos décisions, sans prendre seulement conscience des risques que vous vous imposez à vous mais aussi à Sabine. Qui parle de vous laisser en arrière? Là, c'est nous que vous laissez à l'arrière alors ré- »

Le scientifique vit Louis se diriger vers l'arrière de la femme pour tenter de l'assommer, tirant un soupir au vieil homme. Avait-il tous perdu la raison au point d'oublier que la sécurité d'une jeune fille était en jeu? Qu'un tel ramdam risquait d'attirer l'attention sur eux de façon inutile? Qu'un quidam éveillé à cette heure indue verrait un groupe agresser une jeune femme et n'aurait qu'à hurler par la fenêtre pour éveiller un tas de monde et surtout, les gens qu'ils venaient surprendre?

Grommelant dans son coin, le scientifique alla s'asseoir sur une volée de marche, bougon face à la bêtise des gens qui l'entouraient et demanda à William:

« Dites, vous n'aviez pas une flasque d'un truc fort, tout à l'heure? Peut-être que ça me réveillera de ce cauchemar... »

Le Caporal Dutilleul bouscula légèrement Louis et s’interposa entre Charlotte et lui. Il attrapa le bras de Charlotte avant qu’elle ne s’en aille. « Comme le suggèrent vos camarades, il ne me semble pas judicieux d’avancer de suite. Observons un instant les lieux. La connaissance du terrain est l'assurance de gagner la bataille. »
S’étant assuré que la jeune femme n’irait pas se jeter dans la gueule du loup, il se tourna vers le jardinier, pour lui chuchoter, en guise de confidence :
Suivant les conseils du Caporal, les enquêteurs se remirent à inspecter les lieux.
Partant à angle presque droit de la rue Stephenson, en direction de l’Ouest, la rue Duployé formait un coude vers le Nord après une quarantaine de mètre. C’est dans ce coude que la porte cochère en bois, de quatre mètres de large sur autant de haut, se trouvait. Dans celle-ci, une porte plus petite, à peine de la taille d'une homme, était ouverte au niveau du sol. La maison qui encadrait la porte cochère semblait solide, contrairement à celle qui était à sa droite.
Effectivement, les maisons alentours étaient de largeur et de hauteur diverses. Certaines semblaient détruites ou inhabitées. Un peu comme les maisons longeant la rue Stephenson côté Est. Le quartier avait souffert de la construction de la voie ferrée, ainsi que de la fermeture de certaines de ses activités.
Il était fort à parier que plusieurs cours intérieures se tapissaient derrières les premières maisons donnant sur la rue. La porte cochère donnait certainement sur l’une d’elles. Il était possible que des dédales de passages au niveau du sol, des égouts, ou par les étages et les toits, parcourent ce pâté de maison.

Décontenancée, Charlotte répondit au caporal : « Mais je ne m'apprêtais à rien d'autre que d'effectuer cette reconnaissance, là dans la rue ...
et de tourner à la prochaine intersection ... »

Auguste en était resté sidéré... un instant.
Non pas tant par le rot incongru qui sortit de la bouche féminine en y ôtant tout son charme, mais surtout par la diatribe hors de propos -et heureusement murmurée- qu'elle débita dans la foulée. Mais qu'est-ce qu'elle baragouinait là ? Et qu'est-ce que venait faire sa robe de soie dans cette histoire ? Et tout ce bla-bla hors du temps, hors de l'urgence du moment, déblatérant sur le regard masculin vers les femmes et leurs atours ?! Manquait plus qu'elle commence à discutailler sur la condition ouvrière des aînées obligées de cumuler les petits boulots pour rentrer à la nuit en leur masure familiale dans les bas quartiers... Elle se trompait de bataille et n'en chevauchait pas le bon cheval en ses volontés de prendre tous les risques sans laisser ceux dont c'est le métier préparer le terrain !
Elle en arrivait même à faire sortir de ses gonds le solide Louis... et à désespérer le pauvre Archibald !
Heureusement, Dutilleul s'interposa immédiatement, prêtant main forte à son capitaine et prenant l'autre coude de la demoiselle...
Sans un mot, mais avec une expiration quelque peu excédée, celui-ci fit signe muet à tout le monde de reculer, entraînant la cause de tout cet émoi (avec l'aide du caporal) hors de portée de Mr Müller dans un premier temps, et de tout réveil des plantons peu motivés, avant que cette agitation inutile n'attire leur attention.
Ce n'est qu'une fois hors de portée de leur vue (et leur ouïe), dans la rue Stephenson, qu'il prit une grande inspiration avant d'exposer le plus calmement possible :
« - Il suffit ! Mademoiselle Touttain... votre intuition nous a permis de trouver ce que nous cherchions : soyez en remerciée... Mais !... mais il était parfaitement stupide de rester seule à portée de ses malfrats, qui, s'il leur avait pris l'envie de pisser au coin de la rue, n'auraient fait qu'une bouchée de vous en vous découvrant là en train de les espionner !
ALORS-A-PARTIR-DE-MAINTENANT-vous-n'agissez-plus-seule-jusqu'à-ce-que-cette affaire-soit-TER-MI-NÉE ! Est-ce que vous m'avez compris, là ?! »
S'attendant à tout, le capitaine Duchamp darda son regard d'acier sur l'impétueuse, prêt à contrecarrer toute réaction inadaptée.

« Je veux bien, ne pas agir seule. Mais n'espérez pas que je joue les potiches ! ni que je reste sans rien faire du tout ! » murmura en réponse, et avec une certaine dose de colère Mademoiselle Charlotte Touttain.

« - Acceptons-en le simple augure... » conclut Auguste en relâchant courtoisement le coude auparavant saisi, espérant faire tomber la colère sentie en la réponse -forcée-, avec un regard panoramique... vers tout le monde.
« Et réfléchissons avant d'agir... en commun, que chacun s'exprime :
Il va nous falloir mener une reconnaissance des lieux, par l'autre côté de la rue Déployé, et par l'arrière, en prenant la rue Doudeauville -tiens c'est rigolo, ça, qu'ils aient pris la fille Dou-...-ville... signe du destin ? pour revenir vers notre objectif, cherchant les sorties d'arrière-cour. Aheum... ils ont un véhicule automobile (une Delahaye conduite intérieure)... quelqu'un ici a-t-il l'habitude de ces engins, et saurait comment l'arrêter, en cas de fuite précipitée ? »

« Je sais arrêter un cheval en pleine course, pas une automobile. » affirme Charlotte en recroisant se bras sous sa poitrine.
Ce que faisant, elle raffermit sa prise sur le canon du révolver caché au creux de son coude.

William était resté un moment pour observer la situation. Fallait il se fier à l'apparence endormie des deux gardes pour tenter une approche directe. Cela risquait de révéler leur position et de grandement les desservir.

Lorsqu'il revint vers le groupe qui semblait avoir plus ou moins réglé le cas Touttain, il tenta une ébauche de plan.

« Nous devrions tenter de les contourner... » Commença t il « Je propose d'y aller avec Archibald. Après tout nous sommes les seuls que ces brigands n'ont jamais vu. »

Certes il aurait préférer Auguste ou un solide militaire pour l'accompagner mais leur silhouette plus massive n'en serait que plus suspecte.

« Grimés en poivrots - je commence à avoir une certaine habitude de ce déguisement - nous allons discrètement approcher les deux cerbères par les ruelles arrières. S'ils ne se réveillent pas un bon coup sur la tête devrait suffire et dans le cas contraire, Archibald devra détourner leur attention par quelques racontars de clochards, le temps que je contourne ces deux messieurs afin de leur administrer la volée de canne précédemment prescrite. »

« Je... quoi? Mais... Enfin, vous n'y pensez pas! C'est que... Je ne suis pas un poivrot, moi, monsieur! Qu'est-ce que je vais leur raconter? »

Archibald chercha désespérement de l'aide dans le regard des autres personnes tournées vers lui, en quête d'une âme secourable pour le remplacer et plus à même de prendre ce risque. Il ajouta finalement:

« Un de nos amis militaires ici présent ne conviendrait-il pas mieux à cette tâche? Car je crains d'être d'un secours plus que limité si les choses tournaient mal. C'est que je suis trop vieux pour ces âneries, moi! »

« Et moi je serais encore moins crédible que vous dans ce rôle, je vous l'accorde. » concède Charlotte avec une moue pincée
« Mais je n'ai pas entendu la proposition de Monsieur Battlestone concernant tous les autres participants » ajoute-t-elle en dardant sur le journaliste un œil chargé d’expectative suspicieuse.

« Croyez moi mon cher Archibald, j'aurais bien préféré quelqu'un de plus charpenté et expérimenté. » Concéda William en soupirant. « Mais si nos deux fédaïnes se réveillent et aperçoivent deux clochards un peu trop costauds, ils risquent de se méfier. Tandis qu'en voyant votre silhouette... »
Le reporter laissa sa phrase en suspend.

« Et puis vous n'aurez qu'à leur parler sciences en mimant une élocution pâteuse. M'est avis que le sujet seul suffira à leur embrumer l'esprit pendant que je tente de les contourner. Enfin, n'oubliez pas que l'objectif principal est de les approcher discrètement. »

Il regarda l'institutrice en souriant.

« Quand au reste de l'équipe, ... et bien ma foi, une fois les gardiens mis hors d'état, il sera toujours tant d'aviser. Pour ma part, je dirais qu'il faudrait que deux de nos fringants soldats prennent la place de ces hommes tandis que nous nous glissons en douce dans les locaux. »

William était conscient des nombreuses failles de ce plan, mais après tout, il fallait bien faire preuve d'originalité lorsqu'on envisageait d'attaquer un repère de brigands sans merci avec une poignet de soldats, une institutrice, un vieux scientifique et un jardinier.

Alors que les enquêteurs amateurs tentaient tant bien que mal d’élaborer un plan et de réfréner les impulsions dynamiques de Charlotte, les deux hommes en faction se redressèrent vivement, leur regard se perdant vers le Nord de la rue, dans la direction opposée à celle du groupe.
Des pas résonnèrent sur le sol pavé de la rue Duployé. Un couple s’approcha : L’homme semblait jeune, costaud, et arborait le béret typique de la bande, alors que la femme titubait, ivre, l’épaule dénudée. Une fille de mauvaise vie, pouvait penser Charlotte qui avait vu bien des femmes comme cela dans le quartier de Belleville.

Les deux gardes s’interposèrent quand le couple s’approcha.
« Les nègros ont qu’à crever » dit l’homme à haute voix, fièrement. Les hommes de faction acceptèrent le mot de passe et les laissèrent passer. Le couple s’engouffra à travers la petite porte dessinée dans la porte cochère, l’homme pinçant les fesses de la femme, qui gloussa bêtement.

Charlotte a été fort bien attentive à cette scène.
Le mot de passe ne lui a pas échappé.
La démarche et le rôle de cette dame non plus....
elle cogite ...

« Soit, ça me va. »

Voyant revenir l'un des agresseurs présumés avec une nouvelle victime potentielle, le scientifique ajouta:

« Quand vous voulez... »

Se frottant le menton, William réfléchissait.
Il afficha un sourire entendu à Charlotte qui observait avec attention l'étrange couple.

« Il semble mon cher Archibald que vous n'aurez peut être pas à jouer les gros bras ce soir. »

William proposa alors un autre plan.

« Deux militaires pourraient discrètement faire le tour du pâté de maison et approcher tout aussi discrètement de nos deux gardiens. Pendant ce temps Mlle Touttain et moi même mimeront une approche similaire à ce couple. Nous donnons le mot de passe et tandis que les sentinelles nous ouvrent, les costauds leurs saute dessus afin de libérer le passage pour le reste du groupe. »

William jeta un regard vers Auguste. Le médecin militaire était certainement plus aguerri que lui en terme de stratégie militaire.