Malduke avait embauché tôt ce matin. C'est qu'ils avaient un gros chantier aujourd'hui, un bâtiment de Civic Center infecté par la GP et qu'il fallait détruire et heureusement, le mandigorn était là pour ça. En temps normal, la destruction d'un bâtiment pareil nécessitait une chiée de calculs compliquées et d'autorisation, en plus de devoir gérer un convoi exceptionnel pour amener les explosifs mais grace à Malduke, sa boite allait économiser du blé et surtout, hé, ça allait lui faire une prime pour ce mois-ci.

C'est donc alors qu'il était au 42ème étage, en train de poser ses bio-charges que le cri de ses collègues le tira de sa tâche. L'un d'entre eux se dirigeait vers lui:

« Euh, j'crois que y'as des potes à toi qui sont là... »

Il pointa la fenêtre derrière lui où d'immenses vaisseaux semblaient flotter au dessus de la ville, patiemment...

Malduke allait poser sa biomine contre le mur porteur, la petite bestiole agitant ses pattes atrophiées et ses mandibules faites pour s'accrocher jusqu'à la fin dans sa main, quand son collègue vint le chercher. L'alien ravala sa biomine dans son tube balistal, et se redressa, jetant un coup d’œil par la fenêtre de l'étage désert.

« Mouai...yé fais une pause les gars. »

L'accent espagnol du mandigorn pouvait surprendre, mais après tout, on ne savait pas où il avait appris à parler avec des terriens.

Ouvrant la fenêtre, l'extra-terrestre sauta dans le vide et s'envola, allant se poser sur le toit de l'immeuble à détruire, afin d'identifier si possible les vaisseaux en vol stationnaire au-dessus de la ville. Ils n'avaient encore rien fait exploser, donc il était peu probable qu'il s'agisse vraiment de ses "amis".

Posé sur son toit, le mandigorn observait calmement la situation. Pas d'explosion, c'était bon signe... Enfin, sauf si il s'agissait d'une race préférant ses armes à rayons mortels nécessitant un temps de charge avant d'être activé et de déverser leurs ondes délétères sur la surface de ce monde, provoquant l'explosion des têtes de tous ses habitants... Ou encore du genre à disséminer un virus nécrophage qui transformerait tous les habitants de la terre en biomasse inflammable avant de tout simplement craquer une allumette... Tant de possibilités et si peu de réponses... Mais une question subsistait.

Existait-il une race alien qui allait chez les gens sans autre intention que de tout faire exploser?

L'alien fut tiré de sa rêverie en voyant un petit groupe de personne arriver sur le toit avec lui, passant par les escaliers. Un groupe de gens aux types caractéristiques des hippies, agitant des panneaux "I want to believe" et "you're welcome", chantant sur une reprise new age de Spaceman, de Babylon Zoo... Sans vraiment faire attention au fait qu'un toit, contrairement au sol en général, avait, comme qui dirait, une certaine limite à ne pas dépasser, sous peine d'une chute parfois longue, parfois courte, mais à la fin oh combien déplaisante pour les gens de la voirie qui viennent nettoyer après...

Malduke arqua un sourcil. Même s'ils étaient sous-évolués et ne devaient leur survie qu'à la clémence de leur planète, qui d'ailleurs devait bien regretter d'avoir de tels habitants, le mandigorn n'avait rien contre les homo sapiens. Mais y en avait apparemment qui savaient aussi bien s'adapter que des lemmings défoncés à la ganja.

« Veuillez évacoué cé bâtiment s'il-vous-plaît. Des charges explosives y ont été placées et sa destruction est programmée por cé matin. »

Sa voix était forte et claire. Il espérait que sa suffirait à atteindre les tympans des hippies à travers la musique, la beuh et le cérumen. Si ça ne tenait qu'à lui ils pouvaient bien tous s'écraser au sol mais la destrcution du bâtiment serait repoussée le temps d'une pseudo-enquête, et personne n'avait besoin de ça.

« Oh, mec, t'as vu ta tronche? T'es un alien, mec? Dis, tu veux pas nous emmener dans les étoiles avec tes potes, mec? Je suis sur que tu trouveras nos copines à ton gout... »

Il pointa deux des femmes se trémoussant lascivement, trop maigre à force d'oublier de manger pour cause de trip total, pantalon baggy trop large, T-shirt arborant des fleurs psychédéliques ou un énorme smiley, cheveux sales et gras, bref l'archétype du hippie année 70 et Amour libre comme Maldukke en avait déjà vu dans des documentaires de la chaîne histoire.

Décidément, certains humais semblaient avoir perdu de vue l'évolution. Boomer caressa un instant l'idée d'emmener littéralement toute cette petite troupe dans une étoile, mais se retint. Ce serait priver la Terre d'un terreau qui semblait chimiquement assez surprenant.

« Jé né connais pas ces vaisseaux. Et tes copines né m'intéressent pas. Veuillez quitter lé bâtiment immédiatement. Sa destruction est prévue d'ici à une heure. »

Il préféra ne pas s'étendre sur le manque de charme des femelles terriennes, puisqu'une foule était toujours plus bornée que la somme de ses individualités, et qu'apparemment là niveau individus y avait déjà du gros niveau. Il valait donc mieux ne pas exciter cette bande de saprophages.

Dans un élan d'intellect surprenant, l'homme dévisagea l'insectoïde alien:

« Reste peace, mec. On fait de mal à personne, là... Et puis, t'imagines si le bâtiment pète alors que tes frêres sont là? La foule des esclaves va paniquer, mec. Ils vont croire qu'on les attaque, mec... Alors, sois cool, vis ta vie et peace, man. »

Un des collègues de Mal sortit lui aussi sur le toit et constata la présence des hippies:

« Mal, qu'est-ce tu fous? Fais les descendre avant qu'un de ces glandus ait un accident... »

« Cé bâtiment doit être détruit, invasion alien ou non. Le chantier est interdit au public, alors foutez lé camps. »

L'alien se tourna vers son collègue :

« Fais-les descendre toi-même, jé suis pas agent de sécurité moi. On aurait pét-être eu moins d'emmerdes si vous ne les aviez pas laissé prendre les ascenseurs. »

Les humains... A la fois insignifiants et sûrs d'être dans leur bon droit en toute circonstance... Ils étaient, au sens de l'alien, une berration aux yeux de la nature. Ce qui était ironique quand on était une usine chimique explosive sur pattes.

« Ils ont déboulé dans les escaliers pendant qu'on regardait par les fenêtres. Ils ont bousculé Big Bob alors on s'est occupé de lui avant de venir voir... Les flics arrivent. Surveille juste qu'ils fassent pas de conneries, d'accord? Disons que là, on tient pas vraiment à ce que le chantier soit retardé... »

Le chef des hippies se mit à rire:

« Han, on bouscule l'un des parasites du système corrompu et ça y est, on est l'ennemi public numéro 1. »

L'une des filles vint à coté de lui, tremblotante:

« T'avais dit qu'on s'amuserait ici... Y'as personne, les vaisseaux sont loin, on ferait mieux de bouger, non? Aux arcades, y'as toujours du monde et on pourra faire un peu la manche, pour manger. »

L'homme la regarda avec un profond dégoût avant de la repousser:

« Suffit, Susi. Nous essayons d'ouvrir le contact avec nos amis venus de l'espace, ceux venus nous éclairer de leur lumière stellaire. On est pas là pour écouter tes jérémiades. »

Mais à repousser les gens, sur un toit, finit par arriver ce qui devait arriver. C'est donc ainsi que la dénommée Susi se retrouva, hurlante, pendue les pieds dans le vide...

« Hhh... »

Malduke soupira. Des humains. Le Mandigorn avait du mal à concevoir comment cette espèce pouvaient tant varier d'un individu à l'autre. Parfois ils étaient aussi forts que lui, parfois très malins, et d'autres fois... ça.

Le grand alien s'approcha du bord où pendait Susi et l'attrapa par le poignet, la soulevant sans peine et la reposant en sécurité sur le toit. Puis il s'approcha de l'orateur parmi les gueux et, toujours très posément, lui donna un coup de poing au creux de l'estomac, si rapidement que les spectateurs ne virent qu'il avait frappé que lorsque son poing était au creux du ventre malingre.

« Bien. Tout le monde redescend dans le calme. J'arrache le bras de quiconque fait tomber quelqu'un d'autre, ainsi que de tous ceux qui seront encore dans mon champ de vision dans cinq minutes. Allez. »

Sa voix était calme, froide... en un mot, inhumaine.

« N'oubliez pas votre...ami, et évitez de vous tenir trop près de ces vaisseaux. L'univers n'est pas peuplé que d'espèces désireuses de partager leur savoir avec vous. » ajouta-t-il en désignant sa victime, roulée en boule au sol.

Sa dernière phrase, prononcée tandis que le petit peuple devait commencer à sortir plutôt calmement, résonna étrangement. Il était facile de comprendre que Boomer savait de quoi il parlait en matière d'extra-terrestres hostiles.

Les hippies, récupérant Susi, la ramenèrent vers le bas après qu'elle eut remercié 72 fois Maldukke. Leur chef, toujours allongé au sol, rampa maigrement jusqu'à la sortie.

L'alien était désormais seul sur le toit, comme il l'était sur cette terre...

Une fois le toit proprement déserté, et sans avoir réagi aux remerciements ou autre, Malduke se tourna une fois de plus vers les vaisseaux.

Les humains... L'alien combattit tant bien que mal la petite voix intérieure qui utilisait sans cesse des mots comme "insignifiants" et se concentra sur la menace potentiel et suspension au-dessus de la ville. Rien ne descendait des vaisseaux. Rien de sensible en tout cas. Malduke se faisait assez confiance pour résister à tout éventuel rayon de la mort que le vaisseau enverrait, maid il fallait bien avouer qu'il était intrigué, comme tout bon touriste dans un pays étranger qui entendrait sa langue natale au fin fond d'un village sous-développé.