L'épaule appuyée contre un tronc, Nalunn se tenait à la lisière d'une sylve verdoyante au sud du Thétyr, qui s'étendait au sud-ouest des Pics de Mir. Une brise légère faisait bouger les feuilles au-dessus de sa tête. Plus au sud, la vaste étendue des collines sur lesquelles ne poussait que de l'herbe jaunie lui paraissait désolée, comme nue. De part et d'autre de ces collines, se dressaient les montagnes mouvantes, les montagnes qu'ils devaient traverser pour atteindre les terres civilisées connues sous le nom de Calimshan. Il frotta sa joue barbue contre l'écorce râpeuse d'un chêne. Mais comment pourrait il se résoudre à quitter sa forêt, là d'où il venait de passer les trente dernières années de sa vie en compagnie de la meute.
Levant une main, il observa ses doigts, puis il examina les assemblages de tissu et de peaux qui pendaient de son corps. Un humain lui avait montré comment les assembler, comment les porter. Le pantalon par dessus le caleçon de lin, la veste de cuir par dessus la chemise de laine. Il les avait mis correctement. Mais le pire restait les bottes noires, il répugnait à les porter. Tant qu'il était dans les bois il voulait sentir la caresse de l'humus et les vibrations de la terre entre ses orteils.
Nalunn savait qu'une fois sorti de l'ombre de la forêt, il devrait chausser ses pieds pour ressembler le plus possible aux hommes civilisés. Il resta appuyé contre le tronc jusqu'à ce qu'un museau le pousse avec insistance. Tiens toi tranquille Cynwulf. J'ai besoin d'un moment pour me préparer. Il baissa un regard irrité vers le gros loup noir. Aussi massif qu'un homme, Cynwulf était assis sur son arrière train, sa langue rouge pendant hors de sa gueule. Ses oreilles pointues écoutaient les bruits de la forêt. De son museau levé, il humait l'air en quête de danger. Le loup leva les yeux vers son frère de meute et leurs regards se croisèrent. Après tant d'années à vivre ensemble, le nain avait l'impression de pouvoir comprendre son compagnon. Cynwulf l'avertissait que le jour allait bientôt décroître et qu'ils avaient encore beaucoup de chemin à parcourir avant la tombée de la nuit.
« Je sais » répondit Nalunn à haute voix. Enfilant ses bottes, le nain se persuada qu'une vie meilleure l'attendait au-delà des montagnes. Aiguillonné par ses pensées, il s'arracha à l'ombre des arbres et s'avança dans la lumière du soleil déclinant. Il regarda autour de lui. Loin des frondaisons protectrices, le ciel lui paraissait immense! Puis il tourna la tête vers son compagnon.
« Alors tu viens? » Lui lança t il d'un ton acerbe, mais la peur fit trembler sa voix. L'idée de s'aventurer seul dans un monde immense et inconnu lui faisait un peu peur. En fait il était content d'avoir le loup avec lui. Celui ci se glissa hors des ombres de la forêt. Il scruta calmement l'horizon et s'avança sur le sol rocailleux, sa fourrure reflétant la lumière du soleil en taches irisées. Il ne paraissait guère affecté par son nouvel environnement. En signe d'adieu il poussa un long hurlement. Presque immédiatement, un concert de cris tristes lui répondit, toute la meute était venu leur dire au revoir et leur souhaiter bonne chance.
Les deux compagnons marchèrent ainsi seuls pendant plusieurs jours, descendant vers le sud, vers la vieille route nommée Route de la Fourche et commencèrent à se diriger vers l'ouest espérant trouver un village et si possible d'autres membres du peuple vigoureux. Ce qu'il découvrit après plusieurs jours de marche dans la savane fut bien plus imposant, la cité de Memnon, une ville humaine tentaculaire et puante de sueur. Il y avait aussi une odeur de sel dans l'air, la mer ne devait pas être loin se dit le nain toujours suivit par son frère de meute. Il ne savait pas où aller, il était perdu dans cette multitude.
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