« Qu'entendez vous par tellement moderne Dame Clostriana ? » demanda Nahyla avec entrain. « Si jamais nous devions disposer d'un peu de temps libre une fois sur place y'a t-il des éléments que nous devrions absolument aller voir ? »

« Ne t’inquiètes pas pour Artès, je lui ferai passer le message. » répondit la mère à sa fille. « Oui, nous servons le Baron, notre oncle, même s’il me parait parfois un peu… absent… » confia-t’elle.
Ce genre de confidence était inhabituel, mais Nahyla permit à la Dame de se reprendre : « Mascar présente des étals tellement surprenants. La magie mineure y est exploitée pour des usages courants. Et la ville est tentaculaire. Vous verrez. »

« Pour en revenir au Prince de Sang, il me semblerait sage de replonger dans le passé... Les Elfes savent quelque chose, les réponses de Lindörië aux questions que je lui avais posé il y a vingt-cinq ans étaient pour le moins énigmatiques. Je peux y faire un saut. Et qui sait depuis quand Ruyl vit, peut-être sait-il des choses que nous ignorons. Enfin, dans l'abbaye de Valirée se trouvent des ouvrages si vieux que même les elfes n'en connaissent pas les auteurs. Les dieux peuvent aussi nous renseigner, mais il existe des êtres très anciens qui savent peut-être des choses, comme ce dragon au coeur des marais. Mais qui serait assez fou pour aller lui parler ? »

Dans sa cervelle cabossée, les images ses succédaient :
Les elfes qui se sentent si magnifiques, il les laissait sans problème à Clostriana puisqu'elle se proposait d'aller leur rendre une petite visite.
Zorck ne connaissait pas Mascar et voyager avec les filles jusque là-bas ne serait pas pour lui déplaire.
Les vieux ouvrages de l'abbaye de Valirée... Ruyl les avait sûrement compulsé avec tout le temps dont il avait disposé...
Le Vaillant Uthgar quand à lui ne dispensait pas connaissances aux prêtres de son rang. L'adepte toucha son symbole religieux Gloire à toi Uthgar le puissant.
Les marais et le vieux reptile... pourquoi pas si Ruyl ne devait pas apporter de solutions à leur quête.

Sortant de sa réflexion silencieuse, il se contenta d'interroger les femmes sur leurs intentions :
« Alors, vers où pensez-vous qu'il soit judicieux d'orienter notre action contre ce démon ? »

Il lui répugnait d'employer le mot prince pour parler de lui et ne il développerait des arguments que si la discussion s'orientait vers un choix qui lui déplaisait.

Flora n'osait pas trop parler sans qu'on lui demande son avis. C'était le moment de Neave, et de ses amis. De sa famille.

Mais suffit qu'on l'inclue dans la conversation et l'artiste est prête à bondir sur l'occasion.

« Mascar, assurément. C'est là que nous aurons accès aux meilleures informations, et ça nous permettra d'ouvrir nos horizons.
Et puis .. c'est Mascar. J'aimerais la voir au moins une fois dans ma vie », ajoute t-elle dans un sursaut d'honnêteté.

Kromiggs suivrait dans tous els cas, mais le garde ne voulait pas que la prise de décisions s'éternise. une fois la destination choisie, il faudrait se préparer en conséquence.

« Je vote aussi pour Mascar. »

« Chez les elfes ? Ce n'est peut-être pas utile, puisque dame .. ta mère .. euh .. »

Flora fait un geste de main en direction de la mère de Neave et s'adresse directement à la noble dame, espérant ne pas l'offenser.

« Vous avez proposé d'aller vous-même questionner cette Lindörië. »

« Lindorië, je m'en occupe » déclara Dame Clostriana à sa fille avec un soupir.

« Et bien... je vous souhaite une bonne route, et malgré l'urgence, n'oubliez pas de visiter Mascar » conclut-elle pour l'ensemble des aventuriers. « Et toi, je suis contente de t'avoir vue. Bonne chasse » dit-elle en particulier à sa fille. Sylas appuyant ces dires d'un clin d'oeil.

« Merci beaucoup » répond Flora à la noble dame, toujours intimidée. Elle commence à se retirer pour laisser Neave et ses proches saluer dame Clostriana.

N'ayant plus rien à faire à Cuvalier, la musicienne est prête à partir en voyage. Dormir à la belle étoile ne lui faisait pas peur, mais elle comptait proposer aux autres de dormir dans des auberges autant que possible. Le confort était appréciable et une musicienne pouvait se faire quelques pièces en jouant le soir pour divertir les voyageurs. Elle avait tout à y gagner.

Ils étaient décidés à partir pour Mascar, ce qui la rendait vraiment contente. Elle allait découvrir la capitale !

La conversation terminée avec Dame Clostriana, les aventuriers rejoignirent la place principale de Cuvalier, prêts à partir vers Mascar. Celle-ci, toujours très animée en ce milieu d’après-midi …


Avec étonnement, les compagnons prirent conscience de leur environnement, tout autour d’eux. Ils en avaient une vision spatiale, même dans les directions dans lesquelles ils ne regardaient pas. Comme s’ils avaient une vision du monde dans sa complétude.

La réalité sembla se briser, comme un miroir. Les différents éclats de cette vision, comme autant de prismes de verre, présentaient toujours les images que les aventuriers voyaient quelques instants auparavant sur une face, mais des images très différentes apparaissaient sur les autres. Les éclats se recouvraient, se mélangeaient, s’éloignaient et se rapprochaient. Entre les éclats apparaissait une matière flou, luisante d’un bleu laiteux. Les déplacements d'éclats semblaient durer une éternité, au ralenti. Incapables de penser, la conscience des compagnons leur semblait survoler au-delà de cette vision.

Les éclats se replacèrent, se jointant entre eux, formant à nouveau un décors cohérent, alors que la lumière bleue disparaissait.

Brutalement, les compagnons reprirent la pleine possession de leur corps. Ils se tenaient la main.
Flora eut la sensation étrange d’une perte de contrôle.


Les aventuriers perdirent l’équilibre. Ils se retrouvèrent au sol. Un étal détruit à côté d’eux laissait s’échapper des pommes, des poires et des fruits rouges. De l’autre côté, un autre étal s’écroulait, lançant en l’air des draperies colorées. Des gens apeurés s’éloignaient, d’autres restaient à observer, formant comme un cercle autour des aventuriers. Certains portaient leurs mains à leurs oreilles, comme pour diminuer un bruit trop important. De nombreux autres étals tenaient debout. Au-delà, des maisons de trois étages à la charpente chaloupée entouraient cette place d’environ soixante mètres de côté. Des ruelles partaient des coins dans toutes les directions.
Les compagnons n’étaient plus à Cuvalier.

Que se passe t-il ?
Pourquoi est-elle par terre ? Pourquoi sent-elle le sol sous ses pieds, ses fesses, ses mains ?
Qu'a t-elle vu ?
Les autres sont là ?
Elle est toujours là ?
Ses affaires sont là ?

Pourquoi tous ce bruit, ces gens qui la regardent, ces étals étalés, cette lumière ?
Enlevés par magie ? Pourquoi ? Comment ? Où se trouvent-ils ?

Les questions fusent et défilent, trop vite pour elle.

La panique est la solution !

Flora crie :
« HHIIIIIIIIIIIiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiIIIIIiiii !!! »

Que venait-il de se passer? Neave n'en savait rien. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'ils étaient ailleurs. Et sa première pensée fut de s'assurer que Nahyla allait bien. Se tournant vers sa compagne, elle l'observa, cherchant si quelque chose n'allait pas avant de demander:

« Ça va? »

Puis tournant la tête aux alentours observant ses compagnons, elle entendit Flora crier:

« Hey, hey, tout va bien, on a l'air entier. »

Elle tentait de rassurer sa camarade mais ils avaient d'autres soucis, comme par exemple, savoir ce qu'il s'était passé et surtout, où ils se trouvaient et étaient-ils en danger immédiat.

Pour le prêtre d'Uthgar, ils venaient de subir une diablerie et ce ne pouvait-être que l’œuvre de leur ennemi... mais nul danger ne semblait devoir arriver.
Où étaient-ils ?...
Et Quand ?

à la recherche d'une réponse pouvant l'éclaircir, Zorck détailla les alentours.

Kromiggs desserra la mâchoire une fois le phénomène terminé. Il avait pris dans un étau les mains des compagnons qu'il tenait. Il ne comprenait rien à la magie, et comme à chaque fois que quelque chose le dépassait, il faisait le vide dans son esprit, se répétant des prières à Gorm Gulthyn comme des mantras apaisant. Il reprenait le contrôle, comprendre viendrait plus tard, l il fallait faire face mais à quoi. Il lâcha les mains des autres aventuriers et se saisit de sa hache et son bouclier, autres choses qui le rassurait.

« Un danger quelque part ? »

Ouuuh c'est spécial comme sensation. songea Nahyla quand elle arriva sur la place principale.

Puis elle se retrouva ailleurs, écroulée sur son postérieur. Mais euuuh ça va faire un bleu. songea-t-elle maussade.

Neave lui demanda si elle allait bien. « Oui oui, ça va. Ça m'a rappelé la fois où on avait pris les champignons de ma mère et tu sais... oui heum bon bref. Ça va et toi ? »

Flora se mit à crier et Neave la calma du mieux possible tandis que leurs compagnons se redressaient et cherchaient à comprendre ce qu'il s'était passé.

La jeune femme observa également les alentours et essaya de savoir où ils avaient atterri.

Les compagnons, plus ou moins rassurés par le changement soudain, se redressaient et reprenaient leurs esprits, tous leurs sens aux aguets. Toutes leurs possessions étaient sur eux.
Aucun danger immédiat ne leur semblait arriver. La foule était plutôt apeurée qu’hostile, et guettait autant la réaction des aventuriers qu’eux-même ne le faisait.

Cette ville semblait… différente. Du sol, pavé de pierre, aux murs des maisons, en pierre elles aussi pour les plus riches ou faites de torchis encadré par poutres épaisses pour les moins cossues, rien ne leur rappelait le style des villes de la Baronnie d’Horbourg.
Des odeurs d’épices, de fruits et de légumes, de viande séchée… Ils étaient sur une place de marché, peut-être permanent. Les étals, simple croisement de planches soutenant une draperie de couleur, formaient des alignements d’un côté à l’autre de la place.
Nahyla et Zork entendaient certains murmures : « C’est un prêtre d’Uthgar. » « Qu’est-ce que c’est, maman ? » « Depuis quand les magiciens se téléportent n’importe où ? C’est interdit en ville ! » « Ils n’ont pas l’air aggressifs… » « Quelqu’un a appelé la garde ? » « Pas agressifs ? T’as vu le demi-orque ! Quelle horreur ! » « Eloignez les enfants » « Jamais vu cette magie ! »
A l’accent, on aurait dit des gens de… Ha ! Impossible de mettre le doigt dessus en si peu de temps.
Dans des postures protectrices, des hommes et des femmes en arme ou en robe de mage, sans vraiment d’autres signes distinctifs, se positionnaient entre les aventuriers et la foule, prêts à intervenir.

Zork n'avait jamais reculé devant une bataille mais son dieu aimait la vaillance pas les conflits stériles.
Il fallait intervenir avant que le trouble ne devienne peur et ne pousse vers un affrontement ou une arrestation.
Il ne comprenait rien à cette téléportation mais les gens de cette ville n'en savaient pas plus que lui et se retrouver dans une geôle n'arrangerait pas leurs affaires.

Il abaissa donc croc-noir qu'il tenait en garde sans même y avoir réfléchi avant de dire d'une voix forte :
« Bonjour, je me nome Borzorck Sangfier, prêtre du vaillant Uthgar le puissant.
Nous n'avons pas souhaité cette téléportation et ne ferons de mal à personne si personne ne nous agresse. »

Flora finit par cesser de hurler, surtout parce qu'elle avait besoin de reprendre son souffle.
Qui étaient tous ces gens ?
Où étaient-ils ?
Pourquoi est-elle la seule à s'inquiéter ? À paniquer, même ?
Elle essaya de se calmer. De penser à autre chose. De se concentrer sur ce qu'elle savait, sur ce qui était moins incertain.
Quelque chose de stable ...

Kromiggs se fit une idée de la situaton. Il avait servit comme garde et connaissait leurs réflexes.

« Comme dit Borzorck, nous ne sommes pas hostile et sommes à disposition des autorités pour essayer de comprendre ce qu'il s'est passé. »

Il rengaina ses armes pour prouver sa bonne foi.

Après un moment interminable d'observation réciproque entre la foule et les aventuriers, une grande femme brune, en armure lourde, écusson de Tyr, et épée longue au fourreau, s’avança vers les aventuriers. Elle était suivie de quatre compagnons, trois hommes et une autre femme, en robe ou armure de cuir, mais ce fut elle qui prit la parole. Son autorité ne faisait aucun doute, et la foule sembla rassurée par sa présence et sa prise en main de l'évènement.

« Je me nomme Laurelle de Faucigny-Lucinges de Trois-Fontaines. Bonjour, Prêtre Sangfier. Que vous ayez souhaité cette téléportation ou pas, elle est interdite en ville, et vous voyez pourquoi : Vous avez détruit les étals de ces deux commerçants, sans parler du trouble à l’ordre public. Pour ce qui est d’être à disposition des autorités, celles-ci ne vont pas tarder… »
L'homme en robe derrière elle leva les yeux vers le ciel, en direction d’une tourterelle volant en rond autour de la scène. « Leurs yeux sont déjà sur place » précisa-t'il, en référence à cet oiseau au comportement particulier. Crâne rasé, il avait tout d’un magicien cachant ses composantes dans les poches secrètes de son vêtement.
« Du calme, il n'y a pas de Mal ici. La voie diplomatique... » annonça Laurelle à voix basse à ses compagnons.

« Et qui va me payer mon étal, moi ? La garde a intérêt à arriver vite » protesta un homme trapu aux cheveux éparses, moustache abondante, habits de paysans. Après l'intervention de la paladine, il reprenait du poil de la bête. Il tentait de récupérer ses fruits tombés un peu partout, empêchant un enfant de dérober une pomme en profitant de la confusion ambiante.