Tout ces trucs, ça vaut pas une viande à la broche quand même.
Le grand verdâtre garda sa réflexion pour lui et emboîta le pas aux autres.
Il restait naturellement en retrait pour ne pas imposer sa large carcasse.

Nahyla avait longtemps hésité devant l'étalage de pâtisseries qui semblaient toutes plus appétissantes les unes que les autres. Finalement l'embarras du choix l'avait bloquée et elle n'avait rien pris.

En sortant elle s'accrocha au bras de Neave et marcha au rythme de la rôdeuse de son cœur en direction de l'hôtel de ville.

Deux ruelles plus loin, les aventuriers furent déjà rendus à la demeure du Chevalier de Cuvalier. Les doigts dégoulinants de crème pâtissière, Flora suivait comme elle le pouvait ses amis, entrant dans la cour intérieure en enfournant encore une bouchée de son gâteau. Krommigs cherchait comment essuyer les doigts de sa main droite du miel qui y restait collé.

Au sommet de la volée de marche permettant d'entrer par la grande porte, un homme un peu hautain reconnut dans le groupe hétéroclite les personnes qu'il attendait. Il vint immédiatement à leur rencontre : « Dame Jana va vous recevoir dans son bureau » annonça-t'il. « Je vous y conduit. »

Tous connaissaient Jana de Cuvalier, au moins de réputation. Issue du peuple, épouse du Chevalier de Cuvalier, un homme très souvent malade, dont on dirait qu'il était "ailleurs" d'esprit, incapable de gouverner, Jana était devenue au fil du temps la femme forte de Cuvalier, suppléant à son époux, et même au-delà de la ville. Elle avait l'écoute du Baron d'Horbourg, et nombreux dans les hautes sphères du pouvoir savaient l'influence qu'elle avait acquise sur toute la baronnie.
Flora l'avait déjà croisée à de nombreuses reprises au château d'Horbourg, où elle avait sa propre chambre et ses propres serviteurs. Neave et Nahyla la connaissaient personnellement, ayant participé à de nombreuses fêtes de la noblesse. Zork également, dans une moindre mesure.

Flora s'était placée à l'arrière du groupe et cherchait discrètement à lécher ses doigts pour les nettoyer. Elle finit par les frotter dans le repli d'un de ses habits.
Un peu timide, la musicienne laissa ses camarades mener, et s'inclina devant Jana de Cuvalier, attendant de découvrir ce qu'elle désirait. Ou que ses camarades à elle, Flora, prennent la parole.

En entrant, Neave s'inclina devant leur hôte:

« Bonjour, Dame Jana, comment allez-vous? »

Les longues heures d'escapade dans les bois de Neave, durant son enfance, avait aussi été entrecoupé de leçons sur les bonnes manières, l'étiquette et la courtoisie. Et entre 2 "une jeune fille ne devrait pas faire ça", elle avait quand même appris deux ou trois choses.

Lorsque Nahyla apprit qu'ils se rendaient chez Dame Jana la jeune rousse ôta son galurin voyant qu'elle remisa dans son sac et entreprit de donner un air plus sérieux à ses cheveux.

Heureusement pour elle la jeune femme était suffisamment habile pour pouvoir se recoiffer en marchant. Quelques épingles soigneusement disséminées dans ses cheveux avaient atténué le couteux fougueux de sa crinière.

Elle referma également quelques boutons de sa veste azure pour adopter le côté plus strict qui seyait aux femmes participant aux fêtes du château d'Horbourg. Au cours du trajet Nahyla la fougueuse insouciante avait laissé place à une jeune femme qui avait l'air bien plus mâture. Elle se plaisait à croire qu'elle faisait plus sage bien qu'elle n'ignorait nullement que les mauvaises langues du château disaient qu'elle faisait surtout plus vieille.

Entrant à la suite de Neave elle s'inclina à son tour, conformément à l'étiquette en vigueur. « Mes hommages Dame Jana. Vous êtes encore plus resplendissante qu'habituellement. » déclara-t-elle sincère.

Et comme d'habitude Borzorck avait laissé passé devant toute la troupe pour se faire oublier et passer inaperçu...

Kromiggs essuya ses doigt collants de miel sur sa cape, afin de ne pas avoir l'air ridicule en serrant une quelconque main ou pire en laissant une trace sur sa barbe.
Voyant que les femmes du groupes géraient l'étiquette, il se fit discret. Le nain n'avait pas l'habitude de fréquenter la haute société, et cela ne lui manquait pas.

L’homme ammena le groupe à travers escaliers et couloirs, jusqu’à une salle à l’étage située dans le grand axe du bâtiment. Il passa une première pièce où trois personnes travaillaient, franchit une porte menant dans le bureau particulier de Jana de Cuvalier, fit entrer le groupe avant de ressortir.

Des boiseries finement ouvragées couvraient tous les murs de la pièce. Une grande bibliothèque croulait sous les dossiers. Les deux grandes fenêtres, rappelant pour ceux qui la connaissait celles de la grande salle de bal, située au même étage, donnaient directement sur la place de la ville.
Un bureau de style vénitien, ancien, était surmonté d’un tapis de cuir usé. Devant lui, six sièges attendaient les aventuriers. Derrière, Jana de Cuvalier était assise, en conversation avec un homme longiligne aux cheveux très noirs, autour de parchemins à moitié brulés. La femme, belle, arborant plus de quarante ans, peut-être cinquante, semblait dans une forme éblouissante. Désirable, la femme politique pouvait faire chavirer n’importe quel cœur, comme l’avait noté Nahyla. Douée d’autorité naturelle, nul ne semblait pouvoir la contredire, et l’homme qui l’accompagnait l’écoutait attentivement.

« Vous voilà. Merci d’être venus. Asseyez-vous. »
Jana avait lâché ces phrases courtes en jetant un coup d’œil rapide et négligent au groupe avant de revenir à ses parchemins. Mais elle redressa vite la tête en reconnaissant Nahyla, Neave et Zork, auxquels elle sourit. Elle plissa les yeux en voyant Flora, se demandant certainement où elle avait pu rencontrer ce personnage – peut-être que le décalage de contexte l’empêchait de mettre un nom sur la barde.
« Bonjour à vous. Je suis Jana de Cuvalier » expliqua-t’elle, « et voici Messire Aguin. Nahyla des Loups de Vabres, Neave de Laurencis, et Borzork … Sangfier ?, je suis heureuse de vous revoir. Je ne savais pas que vous faisiez partie de cette expédition. Et vous êtes ? » demanda-t’elle aux trois aventuriers qu’elle ne connaissait pas.
« Vous pourrez me conter vos exploits dans le détail. Et surtout, me décrire précisément l'être que vous avez affronté. » Une ombre passa dans le yeux de Jana lorsqu'elle mentionna à demi-mot le Prince de Sang.

L'actrice, musicienne et danseuse salua Jana de Cuvalier en s'inclinant, avec un sourire et un peu de nervosité. La noble n'avait pas l'air commode et le regard qu'elle lui avait jeté n'avait pas rassuré la jeune.

« Flora Botaniate, artiste à la cour de Horbourg, ma dame. »

Raconter les événements de ces derniere jours ? Mais oui, absolument. Flora était prête à le faire.

« J'ai déjà conté l'histoire à de nombreuses reprises, je serais enchantée de vous la conter également. »

Mais il y avait un bémol. La barde croisa les mains.

« Néanmoins je crains n'avoir pas prêté grande attention aux traits du fantôme, j'étais plus préoccupée par les victimes de ces malfaisants, ainsi que la lame de leur maître maudit.
Je pense que Krommigs et Borzork sauront mieux vous le décrire, là où mes mots iront faillir. »

Kromiggs fut surpris d'être interpellé, il ne pensait pas être le mieux placé pour faire un récit de leur épopée. Mais en bon soldat, il se tint prêt à faire un rapport qui serait circonstancié à défaut d'être lyrique.

« C'était une forme fantomatique, il avait le crâne rasé et était couvert de sang. il portait une armure complète et une épée lourde. Une présence impressionnante et terrifiante émanait de lui.
Le Prince du sang a disparu en disant que le rituel avait été un succès et qu'il allait donner son pouvoir à d'autres disciples.
Cette secte représente toujours un danger.
Il y avait un tombeau dans la pièce à côté, avec un symbole religieux inconnu. Nous pouvons vous le dessiner. »

« Concernant les démons qui sévissent dans la baronnie, il faut se référer aux recherches du prêtre Ruyl qui fut le précepteur de la famille de Sangris. »
Le contraste entre l'aspect rude du demi-orc et de ses connaissances avait de quoi surprendre et peut-être Borzorck le faisait -il exprès pour savourer la surprise qu'il lisait généralement dans les yeux de ses interlocuteurs.
« Je suppose que vous n'ignorez rien de cette histoire mais le retour encore et encore de ce prince de sang fait penser à ces pousses de rumex qui repoussent toujours quelque soit l'acharnement de vos gents. »

Au nom de Flora, Dame Jana hocha la tête, se remettant soudain la jeune femme. Elle écouta avec attention les paroles de ses interlocuteurs, hypnotisée par le récit autant qu’elle hypnotisait son auditoire. Elle semblait prendre trop au sérieux l’information pour rire à la plaisanterie de Zorck sur les mauvaises herbes.
« Le Prince de Sang est donc de retour » lâcha-t’elle, légèrement décontenancée. Effrayée ?
« Vos parents l’avaient affronté, lorsque nous étions plus jeunes, en ouvrant la passe du rocher fantôme » se rappela-t’elle. Elle tint à préciser : « Ruyl était le Chambellan du Baron d’Horbourg, et il verse plus dans la magie que dans la prêtrise. Il est désormais l’ambassadeur du Baron à Mascar, la capitale du royaume… »

« Dessinez-moi ce symbole, oui. Aguin, pouvez-vous me faire passer l’ouvrage sur ces symboles ? Non, pas celui-ci, celui-là. » Messire Aguin s’exécuta, et revint vers le bureau avec un ouvrage de facture récente, mais à la reliure usée. A l’intérieur, seules une cinquantaine de pages avaient été noircies, ce qui montrait la faible étendue des connaissances des érudits sur cette ancienne civilisation.
Rapidement, Dame Jana trouva la page où un symbole identique avait été inscrit. « Itzli », dit-elle. « Il s’agit du symbole représentant Itzli. Ce symbole a été trouvé pour la première fois dans un temple contenant un tombeau, près d’un hameau proche d’ici. » Elle parcourut des yeux le reste de la page, s’attardant sur l’information capitale : « Itzli était l’épouse du Prince de Sang. »

« C'est terrible » s'exclama Flora, sincèrement choquée.

Elle décida de raconter le reste de l'histoire, en abrégeant son récit au minimum nécessaire.

« Pour faire court, des bandits avaient capturés quatre femmes dans quatre villages pour ramener ce fantôme à la vie. Nous les avons affronté en plusieurs escarmouches, et l'un d'eux, qui contrôlait des guêpes, s'est hélas enfui. Les autres sont morts, ou prisonniers entre les mains de la garde d'ici.
Le fantôme a disparu lorsque nous sommes parvenus à vaincre le prêtre qui lui donnait sa puissance. »

« Je comptais aller en parler a ma mère, histoire de recouper les éléments avec elle pour s'assurer qu'il s'agisse bien du même fantome, dame Janna.

Quand a l'invocateur, il portait ceci. »

Et Neave produisit les objets du défunt. A savoir 2 anneaux dont un pulsait d'une energie etrange et une cape. Elle retrouva aussi la bourse et eut l'air navrée:

« J'aurais pu prendre plus de gateaux. Dommage. »

Jana fixa intensément l’un des anneaux que Neave présenta, négligeant l'autre anneau et la cape. Celui présentant une pierre pulsant d’une lumière bleutée, ou plutôt, qui semblait absorber la lumière l’environnant. Cette pierre étrange aux contours indéfinissables à l’œil nu.

« Une pierre de pure magie, sertie sur un anneau » dit-elle. « Celle-ci doit être en lien avec le plan d’existence où se trouve… où se trouvait… le Prince de Sang. »

Jana sortit une petite boite de l’un de ses tiroirs. « Il faut l’entourer de plomb pour la neutraliser. Sinon, qui sait qui écoute notre conversation. Ruyl en avait trouvé de nombreuses dans la Baronnie, elles sont dans un coffre au château d’Horbourg. De Laurencis, pouvez-vous me la donner pour que je la mette avec les autres ? »

« Prenez-le »

Neave tendit la bague et attendit qu'il soit dans la boite avant de parler de nouveau:

« Je comptais le montrer a ma mere pour avoir son avis sur la question.

Mais vous dites que cette bague permet d'écouter ce qui se dit... C'est un moyen de communication? Ne pourrions-nous pas l'utilisee pour écouter voir remonter a d'autres porteurs potentiels? »

En actionnant un petit loquet, Jana de Cuvalier ferma la boite hermétiquement. Messire Aguin tendit la main pour prendre la boite, mais Jana, pensive, la rendit à Neave. « Dame Clostriana de Laurencis a des contacts avec les elfes, il me semble. Peut-être qu’avec leur ancienneté ou leurs pouvoirs divins peuvent-ils nous renseigner sur ce que veut le Prince de Sang. » Elle haussa les épaules : « C’est un point de départ comme un autre. Pour ma part, je dois prévenir le Baron au plus tôt. Nous devons convoquer les prêtres pour en savoir le plus possible sur le Prince de Sang, puis préparer la défense de la Baronnie. »

« Quand à utiliser nous-même les pierres de Pure Magie… Pourquoi pas. L’homme qui a le plus étudié la chose est sans nul doute l’ancien chambellan, Ruyl. De toute façon, il faut également le mettre au courant de ce qui arrive. Pourriez-vous aller le trouver, à Mascar, et lui poser cette question ? Il souhaitera certainement revenir au plus tôt à Horbourg. »

« À Mascar ?!
J'en suis ! »

Flora bondit presque de sa chaise, avant de se souvenir où elle était et de rougir.

« Ce ... ce serait avec grand plaisir. Ma dame. »

Enfin une occasion, une bonne raison de quitter la baronnie et de voir un peu le reste du monde. Enfin une raison de voyager !

Kromiggs avait écouté tout cela très attentivement. A défaut de maîtrise le sujet, cela lui donnerait des éléments pour mieux comprendre ces intrigues dans le futur. Lorsque Jana de Cuvalier évoqua le suite, le nain salua à son habitude, toujours sérieux quand on faisait appel à son sens du devoir.

« Bien évidement, je suis volontaire pour lutter contre cette menace. »