Les ruelles du quartier des joailliers de Cuvalier étaient animées, comme toujours. Peu larges, un chariot n’aurait pu y passer, mais cette largeur excessivement faible permettait de protéger le sol de l’agression du soleil, chose appréciable en cette journée particulièrement chaude.
Bien sûr, il n’y avait pas que des joailliers dans ce quartier, mais celui-ci tirait son nom de ces quelques échoppes dans lesquelles tout ce qu’il était possible de trouver comme pierre précieuses en ce monde se vendaient. La famille Sanfaille possédait l’une de ces échoppes, et Kromiggs, l’un des fils, surveillait dans la rue les pickpockets pour le compte de ses parents.
Il ne travaillait pas ici, mais en attendant ses instructions concernant sa prochaine mission pour le compte de la Guilde des Marchands-Caravaniers de l’Aramante, il donnait un coup de main à ses parents.
Pas pour longtemps, car le secrétaire de la guilde, un homme strict au visage en lame de couteau, fendit la foule pour aller droit sur le nain. « Bonjour Kromiggs » commença-t’il, « La Guilde a de nouveau besoin de tes services. Tu peux passer au siège dans deux heures ? »

Kromiggs Sanfaille rendait service à la famille. et pour lui, les liens du sang étaient sacré. C'était d'ailleurs la seule raison pour laquelle il patrouillait ici. Boulot ennuyeux et mal payé d'ordinaire, et là c'était tarif familial. Soit que dalle. Ses missions pour la Guilde des Marchands-Caravaniers de l'Aramante étaient hautement plus intéressantes et en plus cela lui avait permis de rencontrer d'autres nais, plus proches de leurs racines que ceux de Cuvalier. Kromiggs ne détestait pas la ville où il avait grandi, mais il souhaitait tout de même explorer sa "nanité", plutôt que de passer son temps dans une cité humaine. Ou au moins, faire son boulot et escorter des caravanes, se préparer à la bataille, montrer le savoir-faire nain dans ce domaine. Bref, il s'ennuyait ferme.
Son seul plaisir était le regard des gens du quartier qu'il connaissait depuis qu'il était gosse. Car Kromiggs avait bien changé, il était devenu un nain robuste à la chevelure et la barbe d'un roux flamboyant. Mais surtout, il transpirait surtout l'assurance. Il était fier de son armure, cuirasse de technologie naine, de sa hache tout autant atavique. Et l'expérience acquise dans ses missions pour la Guilde l'avait vraiment changé. Il savait qu'il était un bon garde, un bon soldat, un combattant sur lequel on pouvait compter. bien loin du jeune nain qui arpentait ces rues il y a encore quelques années. car même s'il était heureux de revoir ses parents, de travailler quelques pierres après ses patrouilles, il n'aspirait qu'à une chose, repartir.
Et en plus il faisait une chaleur éprouvante, et il ne pouvait pas se rafraichir dans l'immédiat. Ce qui lui faisait encore plus regretter les galeries de ses cousins. Tout en patrouillant et dévisageant toute personne suspecte, il examinait les devantures. La plupart n'avait guère changer. il faut dire que la profession était conservatrice et peu s'improviser joaillier, et encore moins ne s'installait à son compte sans provenir d'une lignée de travailleurs de pierres. Il salua les vieux artisans qu'il connaissait, ne laissant pas transparaître son ennui. Au contraire, il se voulait rassurant.


La nouvelle le transporta de joie, même s'il restait impassible d'apparence. Il avait l'habitude d'être peu expressif.
« Bien sûr, messire Goulard. Je termine mon service, préviens mes parents et vous rejoints au siège de la Guilde. »

Enfin. il n'allait pas s'encroûter ici.

Deux heures plus tard, Krommigs se présenta au bâtiment racheté par la Guilde des Marchands-Caravaniers de l’Aramante. D’un style vénitien, sa façade blanche donnait sur une place au centre de laquelle coulait une petite fontaine ronde. Des créneaux ornementaux en lieu et place du toit surplombait des fenêtres en alcove aux piliers sculptés. Krommigs savait que la Guilde avait acquis cette ancienne demeure d’une famille riche de Cuvalier il y avait plus de dix ans.
En entrant, une fraicheur agréable envahit le corps du combattant. Les murs épais et un réseau de caves souterraines dont l’air remontait par de petites grilles permettaient au bâtiment de conserver en toute saison une température modérée.

Alors que Krommigs se dirigeait vers le bureau de l’intendant des caravanes, comme d’habitude, messire Goulard précisa : « Bonjour à nouveau, Messire Sanfaille. Ce sera Maître de Wynn qui vous recevra. »
Maître Arnéis de Wynn était le représentant de la Guilde dans la Baronnie d’Horbourg depuis des dizaines d’année. La place prédominante que celle-ci occupait dans la Baronnie lui était due. Krommigs n’avait jamais eu de conversation avec cet homme important et respecté, et ne l’avait vu qu’une ou deux fois seulement dans toute sa carrière. Cet homme était réputé pour passer autant de temps à Horbourg qu’à Cuvalier.

Krommigs admirait l'architecture du lieu. Même si ce n'était pas de l'art nain, c'était agréable à l'oeil et bien foutu. Un peu trop élancé peut-être, trop chargé par endroit, mais du beau travail. Le jeune nain se rafraichit à la fontaine, imbibant son foulard, remercia intérieurement l'astucieux système qui permettait d'aérer le lieu.
Lorsque messire Goulard l'aborda, il fut surpris d'apprendre que c'était Maître de Wynn qui allait lui confier sa mission. Il avait été sérieux et intègre comme d'habitude lors de la dernière escorte, mais ce n'était pas dans les habitudes d'un Maître de Guilde de gérer les gardes de caravanes. Il ajusta machinalement sa tenue et s'apprêta à suivre Goulard.

« Bien, je vous suis messire Goulard.
Des soucis pour que ce soit Maître de Wynn qui gère l'affaire ? »

« Non… » répondit messire Goulard, évasif. « C’est plutôt un bon signe pour vous » précisa-t’il.

Il fut conduit à l’étage, où il attendit quelques minutes avant d’être introduit dans un cabinet élégant, aux étagères couvertes de livres et d’objets hétéroclites venant de l’ensemble de l’Empire, et même au-delà. Kromiggs reconnut sur la droite une pipe au long bec, de facture naine, ressemblant à celles qu’il avait vues dans les cités au bout de la Passe du Rocher Fantôle.
Derrière un bureau en bois rare se tenait Maître Arnéis de Wynn. Sa robe colorée, bariolée, parut au guerrier nain anachronique et tellement futile, comme l’aurait été les habits légers des elfes à ses yeux. Certainement des habits à la mode à Mascar. Mais la puissance qui se dégageait de l’homme, le regard d’acier se posant sur le visage de Kromiggsn l’empêchèrent d’en rire.
« Messire Sanfaille, comment allez-vous ? » dit-il négligemment pour entamer la conversation.

Krommigs suivit Goulard non sans une certaine appréhension. Ce n'était pas qu'il eut quelque chose à se reprocher, bien au contraire, mais il n'ailait guère les discussions dans des domaines qu'il ne maitrisait pas. Et Maître Arnéis de Wynn n'était pas un garde ou un soldat. Donc il faudrait au jeune nain une effort d'adaptation pour déchiffrer les us de langage, formules de politesses et autres. un exercice qu'il n'aimait guère, lui préférait la simplicité et l'approche directe. Sur le trajet, il tenta de se rappeler ce qu'il fallait faire pour ne pas être à côté de la plaque et se ridiculiser.
En entrant dans el cabinet, il ne put s'empêcher d'admirer les objets d'artisanat, son atavisme nain lui faisait apprécier cela. Et encore plus la pipe naine, même si il estimait qu'elle avait plus sa place ans un habitat nain qu'aux mains d'un bourgeois humain.

Il inclina le buste en guise de salut, reconnaissant le statut de son interlocuteur?
« Bien, Maître de Wynn.
Et vous ?
Je suis prêt à repartir pour toute tâche que me confierais le Guilde. »

Maître de Wynn jeta un coup d’œil par la fenêtre avant de reporter son attention sur le nain.
« J’en suis fort aise » répondit-il. « La Guilde a justement une mission pour vous. Asseyez-vous, je vous en prie » dit-il en proposant de la main à Kromiggs l’un des deux sièges situés devant son bureau.
Une fois celui-ci assis, il commença par quelques généralités. « Messire Sanfaille, cela fait quelques années que vous travaillez pour la Guilde, et il m’est parvenu vos états de services sur les caravanes se rendant vers les cités Naines, au Nord-Ouest de la Baronnie. »

« Nous avons reçu des informations concernant des enlèvements entre Cuvalier et la Mine d’Or. En avez-vous entendu parler ? » continua-t’il, changeant brusquement de sujet de conversation.

Krommigs s'était détendu, Maître de Wynn savait y faire pour mettre les gens à l'aise. Mais il montra sa maîtrise de l'art oratoire en ménageant son effet de surprise. Cependnat le jeune nain n'étant guère expressif, un froncement de sourcils fut sa seule réaction visible.

« Des enlèvements ? Non, je n'en ai pas entendu parler. »

Puis après un temps de réflexion.

« Si je n'en ai pas entendu parler dans les tavernes de la route des caravanes, c'est que ces disparitions sont récentes.
Ou bien que la garde ne veut pas que ça s'ébruite. Pour éviter un affolement. Ou pour coincer les coupables.
Mais, excusez-moi, je vous écoute. »

Maître de Wynn sourit, satisfait de la perspicacité de son interlocuteur. « Il s’agit peut-être de cela, effectivement. »

Reprenant un air plus sérieux, il continua : « Enlèvement, disparition… quoiqu’il en soit, la Guilde est préoccupée. » Il omettait de dire que la Guilde, dans cette partie du monde, c’était lui. « Il faut que nous sachions rapidement si cela est une menace pour les caravanes. Je souhaiterai donc que vous participiez à l’équipe que la garde de Cuvalier est en train de monter pour résoudre cette affaire. Est-ce que vous accepteriez cette mission ? »

Krommigs était satisfait. Cela signifiait une réelle confiance en lui de la part de la Guilde. et de plus cela lui apporterait une nouvelle expérience, d'autant que jusqu'à maintenant, il n'avait guère exercé du côté de l'investigation. Mais protéger les habitants du territoire, et les intérêts de le Guilde, était une motivation suffisante pour s'aventurer en terrain inconnu.

« J'accepte, il ne sera nulle part dit qu'un nain ne fasse pas tout son possible pour protéger les habitants de la Baronnie d'Horbourg.
Avez-vous des éléments supplémentaires à me donner ? »

« Bien entendu… » Le regard d’Arnéis de Wynn fut momentanément plongé dans le vide. « Les détails vous seront donnés demain matin par le Sergent Ronchard, en même temps que le reste de l’équipe » précisa-t’il négligemment.

« Comprenez bien votre mission. Je souhaite bien entendu que ces histoires de disparitions trouvent une fin heureuse… La Guilde est bien entendu au service de la Baronnie… » Cette succession de « bien entendu » pouvait sembler manquer de franchise…
« Par rapport aux autres membres de l’équipe, et ce quel que soit l’issue de cette enquête, vous aurez également à évaluer si cette menace est un danger pour les caravanes. Vous en avez accompagné un certain nombre, vous voyez comment elles sont protégées, il arrive parfois que certaines d’entre elles décident de bivouaquer entre la mine et Cuvalier, plutôt que s’arrêter dans ces deux points relais. Il est important de savoir si les caravanes courent un danger quelconque, ou si cette menace est trop faible pour s’attaquer à elles. » Maître de Wynn s’était levé de son siège pour mieux expliquer sa pensée. Il virevoltait derrière son bureau, donnant un peu le tournis.
« Je suis certain que vous êtes l’homme de la situation. J'attends votre rapport » conclut-il.

Krommigs salua de Wynn. il n'aimait guère l'idée que l'intérêt de la Guilde puisse être prioritaire sur celui des habitants de la Baronnie. Ce n'est pas ce que de Wynn avait dit, certes.

« Bien, vous ne regretterez pas votre confiance.
je vais préparer mes affaires et prévenir ma famille de mon départ prochain.
Bien à vous. »

« Merci d’accepter cette mission » répondit Maître de Wynn. « Vous avez rendez-vous avec le Sergent Ronchard demain matin » précisa-t’il avant que le nain ne prenne congès.


La suite dans le Chapitre I