La troupe partit vers la tour du Corps de la Magie à la suite du Magister Strontius. Du coin de l’œil, les aventuriers remarquaient que, comme les fois précédentes, des enquêteurs continuaient d’interroger les badauds ou les tenanciers d’étals sur la place.
Sur le trajet, le Magister posa quelques questions précises sur l’évènement de niveau noir, mais comme d’habitude, il n’obtint aucune réponse réellement satisfaisante.
« Les évènements de niveau « noir » sont en dehors même du champ de la magie elle-même » expliqua Ruyl.
« Il s’agit d’une forme de … métamagie ? … extrêmement puissante. C’est la carte de surveillance de Mascar, située dans la tour, qui « surveille » l’activité magique dans les environs, qui indique la « couleur » de l’activité magique détectée. « Vert » ne présente pas de risque, « Orange » subit une surveillance. Tout ce qui est « rouge » est soumis à autorisation, voire autorisation préalable. Ce qui est « noir »… n’arrive jamais » précisa-t’il. D’un hochement de tête, le Magister approuva ces définitions.
Comme lors de leur première venue dans cette tour, un homme vint trouver le Magister Strontius et lui parla à voix basse à l’oreille. Les aventuriers savaient qu'il venait l'avertir de l'existence d'un deuxième évènement de niveau noir en ville. L’attitude du Magister fut cependant polie, celui-ci se tournant vers l’Ambassadeur Ruyl, lui expliquant :
« Je suis désolé, mais je vais devoir vous demander à vous et vos amis de vous prêter à l’expérience du casque. Cela ne prendra pas beaucoup de temps, mais nous devons appliquer ce protocole. En attendant votre passage individuel au casque, vous pourrez patienter dans la salle de réunion du rez-de-chaussée. Peut-être pouvez-vous m’indiquer des éléments particuliers que celui-ci va nous faire découvrir ? » Il prit la direction de l’espace vide au plafond ouvert, par lequel il s’éleva par lévitation.
Comme à leur deuxième passage, l’accueil des aventuriers et de Ruyl était bien plus cordial que lors de leur premier. De quoi boire ainsi que des fruits leur furent apportés pendant que les membres du Corps de la Magie préparaient le casque en sous-sol, puis faisaient passer les sept « invités » un par un.
Ils furent emmenés individuellement dans cette pièce non loin de la cellule où les aventuriers avaient été regroupés la première fois... à peu près à la même période, mais trois "périodes" plus tôt. Toujours bien éclairée, elle comprenait en son centre ce siège confortable sur lequel trônait ce casque couvert de pierreries de différentes couleurs, maintenant bien connu des aventuriers. Les quatre même personnes officiaient dans la pièce.
La même petite femme brune, toujours aussi sèche, se présenta :
« Je suis la mage Anisteriade, de la troisième brigade magique de la ville de Mascar. Je suis désolée de la précipitation dans laquelle nous vous recevons. Nous vous demandons de vous assoir et de porter le casque que voici. Nous allons vous poser quelques questions simples, et vous pourrez rejoindre les autres. »Les questions étaient identiques aux précédentes, avec quelques variantes pour Flora :
« Quel est votre nom ? »« Quelle est votre profession ? »« Où habitez-vous ? Le plus souvent dans l’année, si vous êtes un prêtre itinérant. »« Avez-vous des référents à Mascar qui pourraient attester de votre bonne foi ? »« Etes-vous à l’origine de l’évènement magique qui vous a conduit ici ? » Question qu’elle compléta :
« Nous parlons ici de la téléportation dans la place dite « des tonneliers ». »« Etiez-vous conscient que l’utilisation de sortilèges de ce niveau était soumise à autorisation préalable dans l’enceinte de Mascar ? »« Pourquoi avez-vous procédé à cet acte magique ? » Pour tous les compagnons sauf Flora, Anistériade ajouta, pour une fois conciliante :
« Ou plutôt, d’après vous, pourquoi a-t’il eu lieu, vu les réponses précédentes… »« De quelles complicités avez-vous bénéficié ? » Egalement pour tout le monde sauf Flora, elle raya la question et en formula une autre, certainement improvisée :
« Pouvez-vous décrire ce que vous avez vécu ? »Dans les temps d’attente, Ruyl put compléter la lecture de la lettre qu’il avait reçu le matin même, et qu’il était en train de lire lorsque les aventuriers étaient arrivés.
Dire que cela l’interpella était un euphémisme. L’ancien chancelier tituba. Son visage poupin prit une teinte rouge, et l’homme sembla vieillir d’une bonne dizaine d’année, ses épaules s’affaissant sous un poids supplémentaire. Il tendit la lettre aux compagnons :
« Qu’est-ce que vous en pensez ? »Comment commencer une telle lettre ? Certainement pas par "Cher Ruyl"...
La tête me tourne face à l'ampleur de la tâche, face à la nécessité de celle-ci, et je m'abîme dans la recherche ridicule d'une formule pour commencer cette lettre. Il s'agit peut-être du dernier espoir que quelque chose ait existé un jour, et face à cette page blanche, ce sont ces questions puériles qui me viennent à l'esprit. L'être humain, même mi-démon, est-il fait pour supporter de tels défis ?
Commençons plutôt par la fin.
Je m'apprête à détruire le monde.
Pas seulement le monde, tout l'univers dans lequel je vis. Astence, Mascar, Panîvre, les grandes plaines de l'Hégémonie Ogre, les îles jumelles, les forêts des presques-humains, et même tous les plans. Les dieux avec. Tout. Ce que j'aime comme ce que je hais.
Même moi.
Pire que tout détruire, je ferai disparaitre l'idée même de tout ce qui a existé après l'apparition de cette lettre sur votre bureau.
Délirant, n'est-ce pas ? Et pourtant, c'est ce qui va se produire.
Cela me donne le vertige. Je me prends à pleurer, moi qui ne l'ai jamais fait.
Finalement, tout ce qu'il restera de mon univers, c'est cette lettre. Quelques pages blanches écrites d'une main fébrile et tâchées de larmes.
Lettre que je vous envoie à vous, Ruyl.
Vous ne vous en souvenez plus, mais c'est par vous que tout a commencé. J'espère qu'au moment où vous recevrez cette lettre, vous serez à même de comprendre ce que je veux dire.
Je vous envoie cette lettre dans mon passé, en espérant que vous puissiez en changer l'avenir. En faisant cela, je crée le paradoxe qui fera voler en éclat ma réalité. Pour toujours, elle n'aura jamais existé, car c'est le nouvel avenir qui commence avec cette lettre qui existera, et effacera "l'autre", le "mien", celui duquel je vous écris.
Le Prince de Sang est revenu sur le Plan Matériel Primaire il y a plusieurs mois... pour vous, c'est à l'instant.
Dans quelques temps, il trouvera le moyen d'absorber l'énergie des pierres de Pure-Magie. Depuis, chaque jour, ses alliés, dont moi-même, lui apportons les pierres glanées au quatre coins des collines du Nord de la Baronnie d'Horbourg et de la Baronnie elle-même. Car c'est là que se trouvent la plupart de ces éclats ; vous l'aviez remarqué, n'est-ce pas, Ruyl ?
L'armée du Prince de Sang ravagera votre Baronnie pour trouver ce qu'il cherche. Les armées du Grand Duché de Thodert et de Mascar, même aidées de magie, même aidées des dieux, ne s'uniront que trop tard et ne seront qu'une distraction de quelques mois.
Et chaque jour, le contrôle que le Prince de Sang aura sur la réalité augmentera, jusqu'au point où il deviendra lui-même le Chaos. Il sera hors des plans, hors du temps, une créature intelligente dans un maelström de néant. Il pourra détruire et reconstruire les plans comme il le souhaite, en changer l'histoire passée et future, décider de ce qui vit et de ce qui n'aura jamais vécu.
Peut-être que dans son univers modelé, il n'y aura plus d'être humains, ni de dieux.
Peut-être qu'il décidera de ne pas recréer le Plan Matériel Primaire, mais fera autre chose.
Ou il ne fera rien.
Cette puissance, il l'obtiendra dans quelques heures lors d'une grande cérémonie à sa gloire pendant laquelle il absorbera un énorme éclat. Déjà, il peut créer des montagnes ou les faire disparaître, créer des passages entre les plans, tordre la trame du temps, lire dans les pensées... Il a fait disparaitre des dieux d'une simple gifle. Il a créé le château immense duquel je vous écris en quelques passes de ses mains. Celui-ci regorge de portails dans toutes les directions du chaos, d'où peuvent se déversent des milliers de créatures à sa botte.
Je dois user de tous mes talents de mage pour l'empêcher de percevoir mes doutes et mes desseins.
Car malgré mon allégeance, j'ai décidé d'empêcher le Prince de Sang de tout construire à son image. Je sais que je n'aurai pas ma place dans son monde "futur". Cette lettre agira comme un recommencement de ce qu'il s'est passé ; j'espère qu'avec elle, l'avenir prendra - aurait pris ? - une direction moins funeste.
Voici quelques pistes permettant de modifier l'avenir. Mais nul doute que le Prince de Sang trouvera des voies pour les empêcher d'être efficaces.
A votre "époque", Ruyl, les armées du Prince de Sang ne sont pas encore formées. Il peut être battu par les forces de Mascar et du Grand Duché si elles aident le Comté de Panîvre dont dépend la Baronnie d'Horbourg. Il faudra faire vite. Les humains et non humains sauront-ils s'unir à temps ?
Le Maître de la ville de Grizok étudie les éclats de Pure-Magie depuis des siècles. Ses connaissances seront nécessaires au Prince de Sang et il faut l'avertir de sa venue prochaine. En aurez-vous le courage ?
Les plus gros éclats ne doivent pas tomber dans les mains du Prince de Sang. Le plus important d'entre eux a été scellé par les compagnons de la Rune Blanche il y a environ soixante-quinze ans, il est protégé par Amilial Lilgegryl et sa clique, aidé par les dieux. Je ne sais par quel moyen, mais le Prince de Sang s'en emparera. Egalement, celui de la cité souterraine au cœur de la Baronnie, effondrée depuis vingt-cinq ans.
Il existe un moyen de faire disparaitre les pierres de pure-magie, de les renvoyer dans le chaos. Il faut "finir de construire la réalité". Je n'en sais pas plus.
En dernier recours, faite lire cette lettre au Baron d'Horbourg. Vous y obtiendrez peut-être des soutiens inattendus.
Je ne sais pas comment empêcher le Prince de Sang de devenir plus puissant, ni même si cela est possible. Je ne peux que vous souhaiter bonne chance. Je compte sur vous.
Le Grand Maître de la Toile d'Ombre.
Post-scriptum : L'éclat de Pure-Magie que j'ai détourné devrait me permettre, pendant la cérémonie, d'envoyer cette lettre dans le passé, au moment même où le Prince a créé une brèche pour revenir sur notre plan. Je crois que "pour l'instant", personne ne peut revenir plus tôt dans le passé.
Si vous lisez cette lettre, c'est que de mon côté, il n'y a plus rien.
► Afficher spoilerDésolé pour ce pavé. Si vous pensez que je vais trop vite à enchainer les scènes, dites-le-moi !
Vous pouvez, dans votre réponse :
- Indiquer les réactions de vos personnages à l’entrée dans la Tour du Corps de la Magie. Si vos personnages posent des questions à l'un ou l'autre des protagonistes, je tenterai d'y répondre dans le prochain post.
- Indiquer vos réponses aux questions sous le casque (si identiques à précédemment, vous pouvez juste le dire)
- Indiquer votre réaction / votre explication / vos sentiments à la lecture de la lettre, en réponse à Ruyl.
Et peut-être commencer à formuler des hypothèses quand à ce qui arrive à vos personnages (n’hésitez pas à faire du jus de cerveau en HRP si vous le souhaitez, car c’est un peu tiré par les cheveux, tout ça )…