L'hospice occupait un bâtiment fortifié fraichement rénové en bord de rivière, dans les faubourgs de Cuvalier. Après avoir passé le porche monumental, le lieu présentait une vaste cour intérieure. Un puits assurait l'approvisionnement en eau de l'hospice. Un bâtiment immense courrait le long de la cour, avec au bout une chapelle et un autel. Les malades les moins affectés, alignés dans des lits avec vue sur l'autel, pouvait ainsi assister aux offices. Les malades les plus contagieux étaient placés dans des pièces isolées dans une autre aile et recevaient régulièrement des prêtres. De l'autre côté de la cour, un bâtiment aux tuiles colorées et aux longues coursives servait aux bureaux et aux logements des moines, des nones, des médecins et infirmiers, ainsi que des prêtres de passage. Le tout était parfaitement aéré, comme le rappelait la petite brise fraiche venant lécher le visage des aventuriers.

Neave avait compris au détour d'une conversation avec son père que sa mère faisait partie des généreux donateurs ayant permis ces rénovations, mais Clostriana n'en avait jamais ouvertement parlé. Peut-être même avait-elle participé, ou décidé, de l'organisation des lieux. En tout cas, elle y venait régulièrement.

Un moine débonnaire, suant à grosse goute après avoir remonté deux seaux d'eau du puits, s'était approché du groupe. « Bonjour. Qu'est-ce que je peux pour vous ? Peut-être venez vous pour voir un parent ? »

Neave observa les lieux, sachant que non seulement sa mère avait dévoué sa vie a aider son prochain mais elle ne pouvait pas ne pas voir la patte de son grand pere architecte. Un jour, elle l'espérait, elle verrait aussi la marque d'Astria dans les constructions futures.

Quand le moine les accueillit, elle opina du chef:

« Oui, nous venons voir ma mère, Clostriana de Laurenciis. »

Hésitant un instant avant de demander:

« Vous avez besoin d'aide? »

Avant de passer à l'hospice Nahyla avait profité rapidement de la paie pour acheter de nouveaux parchemins de soins et une targe. Si celle-ci la gênait un peu pour manier sa rapière la jeune femme avait toutefois conscience que cette petite protection supplémentaire pourrait éventuellement lui sauver la vie quand elle aurait à nouveau à affronter les membres du culte qui voulaient ressusciter le prince de sang.

La jeune femme en était convaincue l'affrontement qui avait eu lieu dans les grottes n'était que le premier d'une longue liste contre ces ennemis encore inconnus.

Toutefois elle laissa ces réflexions dans un coin de sa tête en arrivant à l'hospice car elle allait revoir sa mentor et la mère de Neave. Heureuse à cette pensée elle s'approcha de la chasseuse et s'accrocha à son bras.

Flora, après un petit détour à la recherche d'un sac où ranger les matériaux nécessaires à l'accomplissement de sa magie. Elle s'en était pas mal servie, ces derniers jours. Peut-être était-il temps d'élargir son répertoire?

Un peu incertaine de leurs raisons de venir ici, Flora laissa les directions à Neave, qui avait l'air de savoir où elle allait. C'était sûrement elle, la plus à même de savoir où voir sa mère, après tout.

Comme ses compagnes et compagnons, Kromiggs avait passé du temps à dépenser sa récompense, entre commande au forgeron et quelques équipent de base, il rejoint ensuite les autres à l'hospice. Ne connaissant pas la mère de Naeve, il suivit sans mot dire, détaillant l'architecture du lieu, de qualité correcte pour des humains.

« Merci pour votre aide ! » se réjouit le bedonnant bonhomme en tendant les seaux à Neave. « Transporter ce genre de choses ne devrait être réservés qu'aux jeunes » plaisanta-t'il. « Je m'appelle Julius. »

« Ha, elle est donc votre mère ? Et bien, à son habitude, à peine arrivée, elle a dû aller voir les malades. Et son époux... ben, votre père, du coup... hé hé... doit être avec elle. Ils doivent être dans le bâtiment principal, avec Mère Cornelia. En ce moment, il n'y a pas beaucoup de malades... c'est l'été, et l'été, il y a moins de monde, bien sûr. Et c'est mieux pour tout le monde, hein ? Voyez-vous, l'Hospice est apprécié à Cuvalier, mais les gens disent que moins on y va, mieux on se porte ! ha ha ! Après, il y a les incurables...Vous êtes prêtre d'Uthgar ? » demanda-t'il de façon rhétorique à Zork. « Vous pourrez peut-être faire la cérémonie, ce soir, si vous restez ? »
Julius semblait pouvoir parler pendant des heures. Heureusement, il le faisait en marchant, et le bâtiment considéré se rapprochait vite.

Dès le pas de la porte franchi, par réflexe, le moine stoppa son flot de parole et fit un signe de silence aux enquêteurs. Sans vestibule, les compagnons entrèrent immédiatement dans une vaste salle à la hauteur de plafond impressionnante. Dix pas de large, au moins cinquante de long, la salle se terminait à son bout par un autel en pierre, surélevé par rapport au niveau sur lequel ils étaient. De part et d'autres d'une grande allée centrale, plus de vingt lits à baldaquin étaient régulièrement disposés. Un voile disposé autour de chaque lit donnait un peu d'intimité à chaque malade.
Aux deux tiers de la pièce, sur la droite, un groupe deux femmes et un homme discutait à voix basse avec un malade. Neave, Nahyla et Zork n'eurent aucun mal à reconnaitre Clostriana et son époux. Par déduction, la troisième personne devait être Mère Cornélia.
Julius reprit les seaux à Neave, en indiquant le groupe au loin, et se dirigea vers la gauche, derrière les lits à baldaquin, laissant les aventuriers seuls.

Neave avança lentement et s'arreta a bonne distance de la conversation, suffisamment proche pour se faire repérer mais sans perturber la conversation. Elle en profita pour sortir les gateaux de son sac et attendit que ses parents la remarquent.

...

Oui, enfin, ils avaient un voyage a planifier et ils devaient voir les détails avant...

...


Neave toussota alors.

Si le prêtre d'Uthgar fût surprit qu'on l'invita, lui un demi-orc, à célébrer, il ne laissa rien paraître mais ne pouvait manquer une occasion de rendre grâce à son dieu et glorifier sa puissance.

Sans rien manquer de ce qui se passait, il se contentait de suivre le mouvement comme à son habitude.

Lorsque Neave toussota Nahyla la regarda avec effroi.

« Tu tousses ? T'es pas malade j'espère ? T'aurais du te couvrir dans ces ravins, je savais qu'il te fallait une tenue plus épaisse. »

Tout en s'affairant à examiner Neave la bretteuse se mit soudain à penser qu'elle avait peut-être parlé trop fort...

Le trio se retourna à l’approche des bruyants intrus. Clostriana fronça les sourcils, signifiant un ordre impérieux de silence. Elle prit la main de Sylas, son époux, le regarda tendrement, puis retourna aux malades avec Mère Cornélia pendant que l’homme d’arme rejoignait les compagnons.
« Alors, poussin, comment tu vas ? Nahyla, Zork, vos parents vont bien ? » commença-t’il à voix basse. Mais avant d’entendre leur réponse, il prit le groupe avec lui pour ressortir du bâtiment : « Clostriana finit sa visite, elle nous rejoindra dans la cour ensuite. »

Un fois à l’air libre, et surtout libre de s’exprimer à voix haute, le père de Neave continua : « Alors ? Tu n’as pas l’air trop amochée, après cette aventure » continua-t'il en plaisantant. « Nous avons décidé de venir à Cuvalier dès qu’elle a appris que tu t’aventurais avec tes amis au service de la garde. Ta mère était très inquiète… elle l’est moins depuis ce début d’après-midi, quand elle a appris que la mission était un succès. »

Flora sourit, un peu gênée et pas mal amusée par la réaction de Nahyla. La rouquine était-elle sérieuse ou faisait-elle semblant ? Ne sachant pas, elle se tut.
Elle salua d'un simple signe de tête mais resta discrète quand le père de Neave vint les rejoindre et les emporte dehors.
Ce n'était pas son moment et une artiste accomplie sait le reconnaitre et l'accepter.

Neave fronça les sourcils a la remarque de Nahyla avant de lever les yeux au ciel. Elle avait déjà une mère et une soeur qui passait leur temps a ausculter leur famille quand quelqu'un reniflait. Elle accueillit la venue de son père avec soulagement avant de le suivre a l'extérieur et de prendre la parole:

« C'est de ça que nous venons parler. Nous avons croisé quelqu'un que maman a déjà vu, il y a longtemps... du temps où elle et tatanica n'étaient pas encore amies.

Au fait... »

Et Neave produisit les patisseries qu'elle avait acheté plus tot:

« C'est pour vous. Un pour toi et un pour maman, n'en profites pas. »

Puis elle s'écarta:

« Je te présente mes amis, Flora Botaniate, musicienne itinérante et Kromiggs Sanfaille... mais vous vous êtes peut-être déjà croisé du temps où tu travaillais dans la protection.

Mes amis, je vous présente mon père, Sylas Amalgon. »

« Enchantée monsieur Amalgon, c'est un plaisir. », salua Flora en retirant son chapeau et s'inclinant dans une grande courbette.
« Pour être exact, je n'itinère que depuis quelques jours, car j'étais jusqu'alors à la cour du baron de Horbourg. »

L'actrice se redressa et reposa son chapeau, l'ajustant sur son crâne.

« A vote service, messire. »

kromiggs salua sobrement de façon toute militaire. Il essayait de se souvenir des fonction d'Amalgon.

Sylas salua les compagnons un à un, au fur et à mesure des présentations. « C'est donc vous qui avez sauvé ces femmes. Bravo » conclut-il.

Clostriana finit par sortir de la grande salle de l'hospice et rejoignit le groupe. La femme, âgée d'une cinquantaine d'année, portait des verres de grossissement discrets pour améliorer sa vue. Belle, elle semblait incarner la divinité Lurue qu'elle priait, comme l'indiquait le symbôle sur son torse. Voulant éviter les familiarités en public, elle n'adressa qu'un simple sourire à sa fille, à sa pupille ainsi qu'à Zork, avant de commencer la conversation. « Bonjour, je suis heureuse de vous voir. Racontez-moi ces derniers jours. »

Neave regarda Flora et attendit qu'elle explique de nouveau. Mais devant l'absence de réponse de la barde, la fille expliqua à la mère:

« Des femmes ont disparus, nous avons été missionné pour enquêter. La piste nous a mené sur les traces d'abeilles géantes aux dards soporifiques et, de là, en cheminant, nous avons fini par pénétrer dans une grotte où on a nous a tendu une embuscade puis nous sommes intervenus lors d'un rituel où le Prince de Sang est apparu.

Nous avons tué l'opposition et le Prince s'est dissipé. Les disparues étaient agonisantes, nous les avons soignées et ramenées chez elles puis nous sommes venus faire notre rapport.

Le prêtre qui l'a invoqué portait un anneau étrange, mère. Nous sommes obligés d'utiliser une boite en plomb car cet anneau pulse d'une énergie malsaine et dame Janna nous a dit que l'on pouvait être espionné par cet objet. Elle nous a aussi demandé de rejoindre l'ambassadeur Ruyl à Mascar pour lui poser des questions à ce sujet. »

Neave avait sorti la boite de plomb et la tendait vers sa mère. Elle ne contait pas comme Flora et son résumé aurait mérité peut-être plus de détails mais elle avait cherché à aller vers l'essentiel.

Flora hocha la tête, gardant quelques distances. Neave faisait le travail et serait bien plus écoutée par ses parents que Flora ne pourrait l'être par ces mêmes personnes.
Même si elle avait envie de parler, il valait mieux qu'elle se taise.

« Vous avez combattu le Prince de Sang ? Tiens, ça doit être de famille » répondit Clostriana, peu rassurée par les exploits de sa fille. « Vous l’avez renvoyé à nouveau ? Nous ne devrions plus entendre parler de lui d’un bon moment, donc » se méprit-elle.
« Ce doit être une pierre de pure-magie. » Une brève ouverture de la boite en plomb sembla confirmer cela. « Runica en avait obtenu une, il y a longtemps. Et nous en avions trouvé une autre, dans un temple au cœur d’une ville souterraine d’une civilisation ancienne. Celle-ci était énorme, plus haute qu’un homme, et des créatures étranges en sortaient. Nous affrontions la Toile d’Ombre, à l’époque. Le Grand Prêtre adverse n’avait pas réussi à contrôler cette pierre, il semblait avoir peur de ce qu’il avait généré… Oui, le plomb semble arrêter la magie de ces pierres. »

Elle fit quelques pas vers la sortie, accompagnée des compagnons.
« Ruyl cherchait à mettre toutes les pierres en lieu sûr. A chaque fois qu'une suspicion d'existence de l'une de ces pierres apparaissait quelque part, il se rendait personnellement sur place. Il n'y a que celle de la cité souterraine qu'il n'a pas pu obtenir, vu que la caverne s'est écroulée dessus. Je crois qu’il les a regroupées au château d’Horbourg, dans les coffres les mieux scellés de la Baronnie. Il nous avait dit à l’époque que ces pierres étaient un lien entre les plans, que chaque pierre existait sur plusieurs plans en même temps… Elles n’auraient pas de liens bien établis avec le temps ou l’espace. Ce pourrait être des sortes de fragments du chaos originel, selon lui. Et maintenant qu’il est à Mascar, il a dû profiter des bibliothèques, des érudits et des prêtres de là-bas pour en apprendre plus sur le sujet. »

Après quelques pas, elle se tourna, espiègle, vers « ses » enfants. « Alors, vous allez aller à Mascar ? Je n’y ai été qu’une seule fois. C’est une ville… tellement moderne. Vous verrez. »
« Mais c’était pour ces informations que vous êtes tous venus me voir ? »

« Je suppose qu'on l'a renvoyé. Je n'y connais rien, maman. Il a disparu en disant que le rituel avait été accompli mais a quel effet, je n'en sais rien. Je n'y connais rien en magie et je suis mauvaise conteuse, Flora en aurait fait un meilleur récit bien plus complet.

Et nous sommes venus, au cas où tu aurais plus d'informations a ce sujet. Ces pierres existeraient en plusieurs lieux a la fois a travers les plans, c'est étrange... Ruyl pourra nous en dire plus, j'imagine. J'espère. »

Neave hésita un instant avant d'enchainer, mal a l'aise d'aborder ce genre de sujet devant les autres:

« Et aussi...

C'est l'anniversaire d'Artes tres bientot et je crains de ne pas être là. J'ai déjà donné son cadeau à Astria mais j'aimerais que vous le rassuriez sur mon absence. Il sait que je n'aime pas les fêtes, ni ses gros lourds d'amis mais je ne veux pas qu'il pense que je ne suis pas là a cause de ça. J'ai une mission et comme le disait papi, nous sommes les Laurencis, nous servons la Baronnie avant tout. »

Flora salua à l'annonce de son nom, agitant à nouveau son chapeau et sa plume avant de le remettre en place.

« Un plaisir, ma dame. »

Elle se refréna de faire le moindre commentaire sur les préoccupations familiales de Neave, bien que ses pensées dérivèrent vers sa jumelle Pauline. Comment se portait-elle ?