Les deux hommes se regardaient en chien de faïence. Aucun d’entre eux n’était désireux d’ouvrir la bouche et d’échanger des civilités avec l’autre inconnu. Ce n’était clairement pas leur genre. Aucun d’entre eux n’avait non plus touché aux mets et boissons qui décoraient la table ronde qu’ils occupaient. Ce n’était pas non plus leur genre. Ils étaient habitués à gagner leur repas, à l’arracher aux mains du destin, à affronter la faim avec ardeur. Pas à profiter d’une pitance à portée de main. Même s’il fallait reconnaître que la venaison séchée avait l’air d’excellente qualité.

Le feu qui crépitait dans la cheminée avait permis aux deux combattants d’ôter leurs habits de voyage. Le chat azéréen de Cerran était allongé avec une langueur toute féline sur les pierres de taille du sol, juste devant l’âtre. Quelle que soit la raison précise de cet accueil, il était en tout cas d’un standard élevé. Rien que le lieu suffisait à montrer l’importance du contrat qui leur était proposé : ce n’était pas tous les jours que l’on était convié dans les bâtiments du capitaine de la Garde de Cascadonne, capitale du Val de Nentir.

Aucun des deux hommes ne voulait s’engager dans la Garde. Ils avaient déjà assez donné. Mais quand les réseaux de mercenaires du Val s’étaient mis à évoquer un contrat à la récompense mirobolante, leur curiosité avait été piquée. Les temps étaient durs depuis qu’Havrefroid avait été perdu au profit de l’armée des Ombres, et Cascadonne employait de plus en plus de francs-tireurs pour pallier au manque d’homme et éviter de disperser son armée face à la menace grandissante.
Mais une telle récompense… C’était du jamais vu. Plusieurs mercenaires avaient déjà tenté leur chance, tous éconduits. La mission devait être d’une importance capitale et d’une difficulté âpre pour que le recrutement soit aussi exigeant.

Le silence était toujours aussi pesant. Leur employeur se faisait désirer, et les victuailles qui avaient été apportées ne pouvaient que signifier que leur attente allait durer encore quelques instants. Le chat azéréen de Cerran s’étira avant de revenir vers son maître. Il était peut-être temps d’ouvrir la bouche et d’échanger avec le voisin de table, ne serait-ce que pour passer le temps.

Je vous laisse vous présenter... ou vous snober.

Cerran dévisagea le guerrier qui lui faisait face sans le moindre souci de discrétion. Une vieille habitude certes peu courtoise, mais qui lui avait permis d’anticiper, par le passé, des réactions pour le moins inconvenantes de certaines personnes qu’il avait côtoyées. D’habitude, il parvenait aisément à dénicher des traits de caractère dans l’apparence, la gestuelle, le langage employé ; mais ce type-là lui donnait du fil à retordre. Impassible, assis bien droit et parfaitement immobile, il dégageait une impression de rigidité que Cerran n’appréciait guère.
Néanmoins, il n’avait aucun doute sur ses aptitudes au combat. L’homme était admirablement bien équipé, et Cerran avait discerné, dans sa démarche, la souplesse et l’économie des combattants chevronnés.
Je me demande bien ce que tu vaux, se demanda-t-il avec un sourire. Leurs regards se croisèrent. Le silence était pesant, mais Cerran s’en accommodait.

L’attente devenait interminable. Cerran en perdait ses manières durement acquises, avachi qu’il était sur sa chaise, à gratter une imperfection du vernis de la table de la pointe de sa dague. Un mouvement près du feu de cheminée attira alors son attention ; l’azéréen s’étirait avec paresse, son ombre dansant sur les riches tapis brodés. Cerran admira, une fois de plus, la splendeur de sa fourrure où se disputaient un noir irisé et un rouge écarlate. Les stries sombres, régulièrement espacées le long de son échine, tourbillonnaient sur ses pattes et se terminaient en pointe de flèche sur le plat de son crâne. L’animal avait la taille d’un chat commun maintenant – rien à voir avec la boule de poils de la taille de sa paume qu’il avait ramassée un an plus tôt, au plus profond des forêts de l’est. Cerran le regardait grandir avec impatience. Certains chats azéréens entamaient une deuxième période de croissance après quelques années. Rien qu’imaginer cette terreur sur pattes prendre la taille d’un loup lui donnait des frissons d’excitation.
L’azéréen s’avança vers lui d’un pas nonchalant. Enfin, Cerran crut naïvement qu’il venait dans sa direction, mais le chat avait un intérêt tout autre, et cet intérêt se trouvait précisément au beau milieu de la table. D’un bond souple et silencieux, il sauta sur les napperons dont ses griffes décousirent quelques fils, referma ses petits crocs effilés sur une lichette de bœuf séché et, ponctuant sa prise d’un arrogant coup de queue, redescendit mâchouiller son repas sous la chaise de Cerran. Ce dernier sourit et haussa les épaules.
« Tu as bien raison, » dit-il enfin.
Sa voix grave parut fracasser le silence en mille morceaux tant celui-ci avait été long et plombant. Cerran attrapa à son tour une tranche de venaison, la tint au-dessus de sa bouche, tira la langue et engloutit très inélégamment la viande, qu’il mâchouilla consciencieusement en fixant son compagnon d’attente.

Kerforn s'impatientait de minutes en minutes intérieurement, bien que rien ne paraissait à travers son visage.
Son heaume n'étant pas sur sa tête, Cerran put remarquer des cheveux courts, bruns, ainsi qu'une petite barbe
Il soutint le regard de l'homme en face de lui, froid, ou vide, on ne saurait trop dire.
Cependant, Kerforn n'essayait pas de détailler le mercenaire, ce n'était pas dans ses habitudes.

Cela dura encore plusieurs minutes, toute cette attente
J'en ai marre...
Il appuya sa tête sur son poing gauche levé, le coude posé sur l'accoudoir du siège, tandis que sa main droite tapait, un doigt après l'autre, sur l'accoudoir.
Il regardait de temps en temps le manège du chat. Il ne savait honnêtement pas ce qu'un mercenaire faisait avec un chat, cela dit son expérience lui indiquait qu'il ne devait pas juger avant d'avoir vu.
Finalement, l'attente réveilla sa faim, et il décida de prendre un morceau de viande, manger se révélant le meilleur moyen de passer le temps, puis il se repositionna dans sa chaise. Il lui semblait qu'il allait s'endormir, lorsque l'autre individu brisa le silence, le réveillant.
Il soupira longuement, lâchant un vague « j'en ai marre » dans le processus

Cerran et Kerforn mâchonnaient distraitement les bouts de viande offerts à leur appétit, sans plus s’adresser la parole. Le caractère solitaire des deux mercenaires n’était pas si facilement dépassé : au fond, il n’y avait bien qu’au cœur de l’action qu’ils s’apprécieraient peut-être… si le contrat qu’on leur faisait miroiter leur était accordé.

La porte par laquelle on les avait introduits dans la pièce s’ouvrit enfin, alors que le silence commençait à prendre ses aises. Même sans être introduit, l’homme qui se présentait à eux ne pouvait être que le capitaine de la garde, de par son aisance, son assurance et la facture de son équipement. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, pas forcément intimidant de prime abord, mais au regard vif et intelligent. On sentait en lui une âme de commandant, et les Markelais -seigneurs de la ville- avaient bien fait de le nommer à ce poste.
Derrière le stratège et administrateur se trouvait une jeune femme au visage opalin, encadré par de longs cheveux d’un beau noir sombre. Elle était vêtue d’une cotte de maille et portait des affaires de voyage. Une troisième mercenaire ? Elle n’en avait pas l’air. Elle ne montrait pas, contrairement à Cerran et Kerforn, d’appétence à la survie. Son visage n’exprimait pas cet appétit pour la vie, cette rage de vaincre et d’exister.

L’homme rentra dans la pièce, suivie par la discrète et silencieuse jeune femme.
« Messieurs ! Permettez-moi de me présenter : Mannir, capitaine de la garde de Cascadonne. Vous n’avez que trop attendu, j’irai droit au but. Vos états de service en tant qu’ex-soldats et mercenaires vous précèdent. Je cherche des hommes capables d’agir en autonomie, loin des ordres de la capitale. Je cherche des personnes aux compétences suffisamment aguerries pour faire face aux situations les plus variées et les plus mortelles. Vos profils me semblent convenir, et j’ose espérer que vous êtes intéressés par la récompense proposée par la ville en échange de vos services. C’est une mission de durée indéterminée. Si vous l’acceptez, vous partez dès demain en direction de Froiderive, un modeste village au bord du lac de Brumhiver. Votre route longera la frontière des Coteaux de Terregarde : autant vous dire que la sécurité de votre trajet n’est déjà pas assurée. Cela fait plus d’un mois que nous recevons des demandes de renfort de la part de ce village pour des cas de disparitions d’enfants, et il est plus que temps que nous intervenions. En ces temps de crises, tout village du Val, aussi modeste soit-il, ne peut être laissé pour compte. Vous êtes les renforts qu’ils attendent. Si vous êtes intéressés, évidemment. »

Silence. Le capitaine avait expliqué de manière expéditive et concise ce qui avait suscité tant d’interrogations. Des enlèvements d’enfant à l’extrême Nord-Est du Val ? Etait-ce vraiment ce qui valait cinq mille pièces d’or ?!

« Des enlèvements d'enfants ? »
Kerforn haussait un sourcil. Ce n'était pas la mission en elle-même qui le dérangeait, mais bien la prime, bien trop élevée pour ce type de travail
Cela dit, apparemment le simple fait d'y aller est mortel, alors il ne se posa pas plus de questions.
Après tout, nombre avaient échoué avant lui, d'après ce qu'il avait entendu.
Il finit son morceau de viande, et détailla la nouvelle arrivante.
L'interrogation pointa sur son visage : Une future compagne de voyage ? Sans doute
Vu son accoutrement, elle devait être parée pour le voyage, mais il n'arrivait pas à cerner son utilité

Cela dit, tout comme le chat azeréen, il ne jugerait qu'en pleine action, le seul véritable moyen de juger de chaque personne
Il soupira longuement, mais ce n'était pas un soupir las comme précédemment, plutôt de ceux émis après une courte réflexion
C'est un mercenaire, cette mission respecte ses règles et principes, et la prime est de haut niveau
« Très bien, j'accepte cette mission »

A la mention du long voyage qui l'attendait, tout ennui déserta l'esprit de Cerran, endormi par sa longue attente ; l'excitation qui lui avait fait répondre à la convocation, dissipée au fil des heures, se réveilla soudain sous la forme de frais picotements dans sa poitrine.
C'est déjà dans la poche ! se réjouit-il. Quand il avait entendu dire que la plupart des aventuriers s'était fait éconduire, il avait bien failli abandonner d'office. Après tout, il n'avait jamais été doué pour bien se faire voir. Mais la récompense promise avait été trop alléchante pour ne pas tenter le coup ; aussi s'était-il préparé mentalement à faire le beau, le courtois et le fiable, prêt à affronter le capitaine de la garde et à réussir son test.
Sauf que ce même capitaine n'avait pas l'air d'être d'humeur à tester les candidats, finalement. Cerran était partagé entre le soulagement et la frustration.

Son regard se posa sur la jeune femme qui était entrée à la suite du capitaine. Il cligna des yeux, frappé par sa beauté, avant de remarquer la cotte de mailles et les affaires de voyage qu'elle portait avec elle. Quoi, quoi ? Elle venait avec eux ? Lui qui était habitué aux compagnons d'armes massifs et velus, ronflant la nuit autour du feu et désespérément laids au regard, voilà qui allait ensoleiller son chemin !
Il ne put s'empêcher de sourire largement.

« Qu'est-ce qu'on attend pour partir ? »

Ah ! Mannir... Tu ne changeras donc jamais ! Droit au but, comme toujours ! se dit Althana en pénétrant dans la pièce.
En effet, le capitaine l'avait aussitôt entraînée ici, sans même s’enquérir de la raison qui l'avait menée jusqu'à lui. Elle se garda bien entendu de le lui faire remarquer.

Althana était une jeune demi-elfe. Son teint était pâle comme un clair de lune. Ses longs cheveux du noir de la nuit avaient des reflets argentés et ses yeux l'éclat de l'émeraude. Elle portait un fin bandeau serti de perles, et un croissant en argent monté en pendentif autour de son cou. Elle était vêtue d'une longue robe fendue de couleur mauve, recouverte par une cotte de mailles d'un blanc étincelant.

Elle s'avança vers les deux aventuriers.
« Permettez-moi de me présenter. Je suis Althana, prêtresse de Séhanine. »

Elle observa les deux hommes. Mercenaires, aventuriers ? se demanda-t-elle.
L'un comme l'autre avaient l'air de durs à cuire. Ils ne semblaient pas non plus très bavards. Ils n'étaient sans doute pas d'ici, ou du moins elle ne se souvenait pas les avoir croisés à Cascadonne.
Le premier était un chevalier en armure, heaume à la main. Le second vêtu de cuir avait quelque chose de félin dans ses mouvements. Lorsque son regard croisa celui de la jeune demi-elfe, il esquissa aussitôt un large sourire.
Althana le lui rendit volontiers. Derrière les hommes aux apparences les plus dures se cachent parfois les cœurs les plus tendres, pensa-t-elle.

« Ainsi donc, il semblerait que vous partiez pour Froiderive ? » demanda-t-elle aux deux hommes, bien que la question n'attendait pas nécessairement de réponse.
« Il se trouve que c'est également ma destination, et je venais justement m'enquérir ici des convois en partance pour la région de Brumhiver...
Mais j'avoue que j'ignorais tout de la situation sur place avant de l'entendre à l'instant même ! »

Althana s'adressa ensuite au capitaine.
« Mannir, peux-tu nous en dire plus sur cette affaire ? Que disaient ces demandes de renforts exactement ? Les autorités locales ont-elles précisé la nature de ces disparitions ? Les habitants de Froiderive auraient-il mentionné quelque chose de mystique, des phénomènes peu naturels autour de ces événements ? »

Si Séhahine m'y envoie, ce n'est certainement pas pour y arrêter un simple criminel, fût-il même un ravisseur d'enfants !

Le visage du capitaine n'afficha pas la moindre trace d'émotions devant l'engagement des deux mercenaires, mais sa voix semblait par un entrain plus marqué montrer une certaine joie d'avoir réussi à les intéresser.
« Vous partez dès la fin d'après-midi ! Vous voyagerez de nuit pour plus de discrétion, en utilisant des chevaux de la garde. Et puisqu'elle doit partager votre itinéraire, vous voyagerez avec dame Althana. Je ne parlerai pas d'escorte la concernant, je sais qu'elle a surpris plus d'un homme en combat par son habileté. »
Le capitaine se tourna vers la prêtresse.
« Pas de convois, mais deux anciens soldats des plus efficaces et un cheval pour vous : voilà ce que je vous propose. »
Puis il se râcla la gorge, seule pause autorisée entre ses tirades rapides et précises.
« Nous avons peu de détails : les enfants disparaissent les soirs de pleine lune, voilà ce que nous savons. Cela fait quatre mois que cela dure : dix enfants en tout manquent à l'appel. Froiderive compte tout juste trois cents âmes, ce n'est pas négligeable. Pas de traces d'effraction, pas de sang, pas de cadavres. Ils veulent des renforts pour monter la garde à la prochaine lune. Et patrouiller sans laisser le village sans surveillance. Ils n'ont même pas vingt hommes pour milice, seulement trois soldats de formation. »
Le capitaine dégrafa de sa ceinture deux bourses de cuir et les lança devant les mercenaires. Le chat de Cerran ne put réprimer un feulement lorsque le contenu des aumonières vint tinter contre le bois de la table.
« Une avance : quatre cents pièces d'or chacun. Les chevaux sont à vous. On vous dit honnêtes. Indisciplinés, mais honnêtes. Et compétents. Je m'attends à ce que vous respectiez votre employeur. Et les espoirs d'un village. Réunissez vos affaires : vous partez dans deux heures. »
Le silence, malmené par un tel débit de mots, vint timidement se réinstaller.

Kerforn n'avait rien à ajouter : Il avait son armure, son bouclier, son épée
Il était prêt, il avait un objectif, il y avait une récompense
« Deux heures ? C'est plus qu'il ne m'en faut. »
Il regarda un temps dame Althana, détaillant son allure et son équipement.
Il se décida à se présenter à ses deux compagnons, car tous connaissaient le nom de la prêtresse, mais nul ne connaissait le nom du guerrier, ni celui de l'homme au chat. Il tendit sa main à ce dernier, puis il fit une légère révérence devant la prêtresse
« Je suis Kerforn, chevalier mercenaire
Puisse ce voyage nous permettre d'élucider cette histoire »

Cerran prit la bourse qui lui était destinée et fit glisser quelques pièces dans sa paume, abasourdi. Quatre cents pièces d'or. Avait-il jamais obtenu une telle récompense sur une unique mission ? Avec une somme pareille, il allait pouvoir prendre du bon temps, manger comme un prince, coucher dans les plus luxueuses auberges. Il lorgna sur l'azéréen, qui observait attentivement les nouveaux arrivants. Même sa fourrure tigrée qu'il avait l'intention de vendre à prix d'or une fois sa croissance achevée ne montrait plus autant d'intérêt à présent.

Quelque peu sonné, il assimila les mots du capitaine avec un temps de retard. Honnête ? Cerran ignorait s'il pouvait se qualifier ainsi. Tu juges un peu trop vite les gens, l'ami, songea-t-il. C'est dangereux pour quelqu'un de ton rang. Il referma la bourse et la fit sauter dans sa main, appréciant le tintement assourdi des pièces. Ou alors, tu es plus désespéré qu'on ne le pense. Quelque chose me dit que j'aurai intérêt à rester sur mes gardes si je veux rentrer de cette mission vivant et dépenser tout ce bel argent...

L'autre mercenaire lui tendit alors la main ; Cerran hésita brièvement, puis la serra. L'homme se présenta en tant que chevalier. Intéressant.
« Cerran, » se présenta-t-il en retour, sans plus de détails. « J'ai comme l'impression qu'on va se côtoyer un moment. Et vous, » ajouta-t-il en direction de la jeune femme, « vous êtes dame Althana ? Vous me voyez ravi de faire votre connaissance. »

« Je suis également enchantée de faire votre connaissance à tous les deux, Kerforn et Cerran... » répondit poliment Althana.
« ... et à vrai dire, pas du tout mécontente de faire le voyage avec des combattants aguerris tels que vous. »

Les trois héros auraient amplement le temps de faire connaissance pendant le voyage, aussi la prêtresse ne fit pas durer plus longtemps les présentations.
De toutes façons, les deux hommes n'avaient pas l'air très bavards.

« Quant à cette mystérieuse affaire de disparition, je possède déjà quelques indices que Séhanine m'a révélés.
La ravisseur pourrait être un loup-garou. Des créatures de féérie pourraient également y être mêlées.
Je n'en sais pas beaucoup plus. Les visions divines comme toujours sont floues et sujettes à interprétation.
Mais au moins, nous voilà mis en garde sur le type d'antagoniste que nous pourrions rencontrer sur place. »

Elle se tourna enfin vers le capitaine .
« Je suis pour ma part prête à partir. Si ce n'est pas trop te demander Mannir, aurais-tu une monture supplémentaire que je pourrais t'emprunter? »

Le capitaine acquiesça sans hésiter à la demande de la prêtresse. Les informations offertes par Dame Althana plongèrent le groupe dans une silencieuse réflexion jusqu'à leur départ. Aucun d'entre eux n'avait affronté de loup-garou ou de fée : ces créatures faisaient à vrai dire plus figure de conte pour enfant... Mais l'expérience des mercenaires leur avait appris que ce monde recelait plus de surprises que ce que l'on pouvait se laisser aller à imaginer. Et bien trop peu d'entre elles étaient heureuses...

Le soleil s'apprêtait à caresser l'horizon lorsque les trois cavaliers quittèrent Cascadonne. Un fin crachin brouillait le monde d'un voile gris et glacé, trempant leurs capes de voyage.
La nuit était proche d'envahir le Val lorsqu'ils sortirent de la Route du Roi pour remonter le Nentir en direction du delta de l'Hivernale. Ils abandonnèrent ainsi la civilisation et la route vaguement sécurisée pour se plonger dans les espaces sauvages et inhospitaliers de la région.
Ils galopèrent dans le noir, longeant les terres des Coteaux de Terregarde. Quoi que l'on dise des sbires d'Aelenran Tempêtesombre, il ne faisait pas bon s'attarder dans cette région. On racontait que les soldats de Havrefroid étaient silencieux et mortels, des ombres nocturnes prêtes à massacrer et à envahir les derniers points lumineux de ce monde. Protégés des ténèbres par l’œil bienveillant de la lune, ils parcoururent ces plaines sans se retourner, priant intérieurement pour passer la nuit sans incident. Ils atteignirent l'effluence de l'Hivernale sans encombres, fatigués par cette course éperdue contre les ombres. Repoussant le repos, ils remontèrent la rivière, continuant leur route vers le Nord-Est.

Ils ne s'arrêtèrent qu'à la hauteur des Coteaux Gris, vaguement visibles de l'autre côté de l'Hivernale. Cette région était quasiment inhabitée, et par conséquent bien peu en proie aux maraudes des soldats de l'Ombre. Le soleil commençait à reprendre ses droits, et la lune s'éclipsa avec délicatesse pour laisser la place à un flamboiement pourpre et or.
Les cavaliers mirent pied à terre pour admirer la naissance de l'astre de Pélor derrière les Monts Aubeforge, et les nuances enflammées qu'il jetait sur le miroir argenté de l'Hivernale. La lumière vint baigner leurs visages fatigués tandis qu'ils montaient un campement afin de prendre un peu de repos.
Quelques heures permirent aux cavaliers de se restaurer en instaurant un tour de garde. La lumière du matin dérangea bien peu leur sommeil, heureux qu'ils étaient d'avoir passé la nuit sans avoir versé de sang. Le soleil était au zénith lorsqu'ils repartirent, à un rythme plus reposant pour les montures.

Ce ne fut qu'en fin de journée qu'ils atteignirent l'embouchure de l'Hivernale, le point où la rivière se jetait dans le Lac Brumhiver. Un pont de pierre traversait les eaux avant que leur lit s'élargisse, menant à Froiderive et ses maisons de pêcheurs prises en tenaille entre le lac et la Forêt de Blantronc. D'où ils étaient, les cavaliers ne voyaient qu'un amas de construction à la cheminée fumante, serrées contre le froid de la région. Ils s'engagèrent sur le pont, heureux d'atteindre leur destination dans moins d'une heure.

A vous les studios pour vos réactions, vos préférences pour votre arrivée dans le village... Je vous motive avec une arrivée en fanfare !

Althana fit halte quelques instants au bord de la rivière. Elle but quelques gorgées d'eau fraîche, fit un brin de toilette, et mit de l'ordre dans ses cheveux.
Il semblait important à la jeune demi-elfe de se présenter aux habitants de Froiderive sous son meilleur jour.
Elle remonta ensuite sur sa monture.

« Allons nous présenter », déclara-t-elle simplement à ses compagnons. « A en croire ce que nous a dit Mannir, nous devrions être attendus. »

La prêtresse prit spontanément la tête du convoi. Elle épargnerait peut-être ainsi aux deux hommes moins loquaces les présentations protocolaires et les longs discours avec leurs interlocuteurs...

Tirant sur les rênes de sa monture, Cerran observa l’elfe se débarbouiller avec une grâce certaine, tout en mâchouillant la tige d’une herbe sauvage dont le suc acide lui assainissait les dents. Il reporta ensuite son regard sur le petit village à une poignée de kilomètres du pont, sur la forêt dense et brumeuse qui l’entourait, sur le lac paisible et son embouchure agitée par le fleuve tumultueux.

Je suis loin de chez moi, se surprit-il à penser. Non pas que cela l’affligeait, loin de là. Il trouvait même curieux de remarquer cette évidence maintenant, alors qu’il avait vadrouillé de longues années durant sans jamais revoir les monts de son enfance. Mais aujourd’hui, comment dire… Ici, face à ces environs silencieux dont la brume semblait voiler les secrets, il se sentait différent. Plus tendu. Plus en alerte, comme en proie à un étrange pressentiment. Peut-être était-ce lié au fait qu’il n’était jamais allé si loin à l’ouest. Ou alors…

Il resserra une main sur la bride de son cheval, impatient. Il avait bien envie de partir au galop et de devancer ses partenaires, mais il se contint. Son instinct lui murmurait de ne pas se séparer maintenant. Il se trompait parfois, mais Cerran l’écoutait toujours.

L’elfe partit en tête d’un air décidé. Le mercenaire scruta une dernière fois les environs, au cas où l’azéréen aurait reparu. Il s’éclipsait souvent lors de tels voyages, la plupart du temps pour chasser. Cerran avait toujours un peu peur qu'il ne revienne jamais, ce qui reviendrait pour lui à perdre une jolie somme d’argent ; pourtant, il ne pouvait se résoudre à restreindre la liberté du chat sauvage. D’abord parce qu’il ne le pouvait pas vraiment, à moins de se faire écharper, voire égorger. Ensuite parce que, quelque part, lui aussi chérissait plus que tout la liberté de mouvement. Cela lui paraissait stupide, mais il s’identifiait un peu à son infidèle azéréen.

Il soupira discrètement et talonna sa monture, qui avança à la suite de l’elfe. Inutile de se soucier de choses sur lesquelles il n’avait pas d’emprise ; cette terreur à poils était parfaitement capable de retrouver sa trace.
Du moins si elle en avait envie.

Le chevalier haussa les épaules, attendant simplement qu'ils se remettent en route
Il aurait pu prendre le temps d'admirer les environs ou ce genre de choses, mais...
Il n'était pas là en touriste, mais pour une mission, et il voulait juste arriver à destination, aussi il n'ajouta rien de plus, se contentant de replacer son épée sur son flanc