Les cavaliers parcoururent les derniers kilomètres avec attention, inspectant les masures qui leur faisaient face. Malgré les volutes de fumée qui s'échappaient des cheminées -chaleur artificielle bien nécessaire dans cette région du Val- le village était incontestablement calme. D'où ils étaient, les mercenaires pouvaient apercevoir quelques personnes vaquant à leurs occupations entre les maisons, et un groupe d'hommes en train d’affréter un bateau de pêche sur la rive du lac. Ils se souvinrent de ce que Mannir avait dit : dix enfants dans un village de trois cents âmes, ce n'était pas rien. Une chape de tristesse pesait sur Froiderive.

Ils passèrent les premières maisons sans liesse démesurée pour les accueillir. Néanmoins, les gens qui les croisaient s'arrêtaient, leurs visages prenaient un air interrogateur et surpris, puis ils abandonnaient leurs activités pour suivre les cavaliers alors qu'ils entraient au cœur du village. Ce fut accompagnés d'une escorte silencieuse d'une cinquantaine d'hommes et femmes que les aventuriers arrivèrent sur la place centrale de Froiderive : un massif bâtiment en pierre leur faisait face, son toit de bois en forme de coque de bateau retournée offrant une certaine hauteur à la construction. La présence de deux soldats en armure de chaque côté de la porte à double battants confirmait l'importance de la bâtisse.

Un homme en franchit justement le pas, laissant les pans de son manteau de fourrure battre la poussière derrière lui alors qu'il avançait à la rencontre des trois arrivants. D'âge mur, ses cheveux et sa barbe couleur d'argent étaient bien entretenus. Sa tenue de cuir était celle d'un guerrier, et sa voix tonna avec vigueur lorsqu'il interpella les mercenaires et la prêtresse :
« Holà, cavaliers ! Qui êtes-vous et quel vent vous amène à Froiderive, aussi loin au Nord ? J'ai peur au vu de votre nombre que votre réponse ne soit pas celle que tous ici espèrent... »

« Nos dieux eux-mêmes n'ont pas été insensibles aux événements de Froiderive. Et les hommes de Cascadonne ont bien entendus votre appel. » déclara Althana sur un ton un peu théâtral.

Elle marqua une courte pause pour ménager son effet, puis descendit de cheval pour s'approcher de l'homme.

« Je suis Althana, prêtresse de Séhanine. Mes compagnons se nomment Cerran et Kerforn. Je pense que nous sommes bien ceux que vous attendiez.
Je suis désolée si notre nombre n'est pas à la hauteur de vos espérances. J'espère simplement que notre valeur parviendra à compenser en partie cette lacune. »

Fatigué, Cerran encaissa avec mauvaise humeur la suspicion du chef du village.
« C'est comme ça que accueillez les renforts, ici ? » maugréa-t-il. « Cachez votre joie, surtout. On risquerait de prendre plaisir à vous aider. »

L'homme fronça les sourcils et sa voix grave et rauque roula comme du gravier lorsqu'il exprima son dépit :
« Deux soldats et une prêtresse ! C'est donc tout ce que nous valons pour Cascadonne... ? Mais je manque néanmoins à mes obligations : je suis Firrn, responsable de la milice locale et de l'intendance du village. Sir Herik, le châtelain de notre communauté, est malade et alité. J'administre le bourg en son absence. Nous allons nous installer à l'auberge, que je puisse vous expliquer la situation désespérée dans laquelle nous sommes. Peut-être me décrirez-vous alors l'aide que vous pensez pouvoir apporter. »
L'homme fit signe aux cavaliers de descendre de cheval. Un des gardes du bâtiment dont il était sorti s'avança pour aider le groupe à rassembler leur monture et à les emmener dans l'écurie du village.

Le trajet se fit sans un bruit, au rythme clair et régulier des sabots battant le sol. Enfin ils arrivèrent à l'auberge, une bâtisse en bois aux murs épais, construite sur deux étages, et bien décidée à garder la moindre parcelle de chaleur en cette saison froide. L'écurie était une vague construction -presque un simple auvent- dressé contre une des façades. Deux bêtes de somme à la robe brune et sale y mâchonnaient mollement leur ration de paille et levèrent des yeux fatigués vers les nouveaux arrivants, sans doute vaguement inquiets à l'idée de devoir partager leur pitance.

Le fond de la chope tapa avec force sur le bois de la table lorsque Firrn la reposa. Il éructa un peu puis s'essuya les lèvres de l'avant-bras. Le silence régnait dans l'auberge, et tous regardaient le groupe comme une apparition surnaturelle. Cela faisait bien longtemps qu'ils avaient été laissés à leur compte, retranchés au Nord-Ouest du Val...
« Des gobelins. Des putains de saloperie de gobelins. Installés dans une grotte pas loin depuis quelques mois maintenant... Pour sûr qu'ils nous volent nos gosses pour les manger, ces monstres. On attendait assez de renforts pour mener un assaut sur leur repaire, mais c'est assez compromis vu votre nombre si vous voyez c'que j'veux dire... »
L'intendant de la ville plongea son regard noir dans celui des trois cavaliers, comme pour les défier de le contredire. On pouvait presque discerner le mot blancs-becs gravé au fond de ses pupilles.

« Même pas assez courageux pour finir ses phrases, si vous voyez ce que je veux dire »
Kerforn n'aimait pas du tout qu'on le prenne pour un blanc-bec, et encore moins qu'on aille pas au bout de ces propos
Il planta son regard dans celui de cet abruti
« Qu'est ce qu'il y a ? Mmh ?
On est la seule aide que vous aurez, alors tu vas baisser d'un ton. Rien ne m'oblige à faire cette quête, je peux retourner chez moi et rendre l'or que l'on m'a donné en prévision de cette mission.
Si t'es pas content, c'est la même chose, si tu veux te plaindre, c'est pas auprès de nous.
Et avant que tu ne rétorques sur un ton énervé et se voulant agressif, sache que je n'ai que faire de ton avis sur la question »
Il avait voulu le défier, Kerforn avait répondu

Sitôt que Firrn le malotru eut ouvert la bouche, Althana avait aisément imaginé la réaction qu'allaient avoir ses deux compagnons masculins...
La jeune femme voulut intervenir, prendre la parole avant que la conversion s'envenime... Trop tard.
Elle n'eut pas le temps de réagir que déjà Kerforn expliquait à l'intendant tout le bien qu'il pensait de ses manières.
Malheureusement prévisible...

« Messieurs, je vous en prie ! » dit-elle, en s'interposant entre les deux hommes.

Sur un ton calme et posé, elle tenta d'apaiser l'atmosphèreDiplomatie: Florimel lance 1d20+11 et obtient 25 (14):
« Kerforn, les gens d'ici traversent des épreuves difficiles, et sont probablement sur les nerfs. Je propose que nous mettions le peu de tact de notre hôte sur le compte de sa tension et sa fatigue et que nous ne lui en tenions pas rigueur.
Monsieur Firrn, merci de votre accueil et de ces premières explications. Je vous serai cependant reconnaissante de faire preuve d'un peu de respect à notre égard. Mes compagnons, comme vous l'avez remarqué, y sont assez sensibles. »

Althana marqua ensuite une pause, le temps que la tension redescende un peu. Elle fit un signe de la main à l'intention de Cerran et Kerforn, espérant les dissuader de remettre de l'huile sur le feu pour le moment.

Puis, la demi-elfe reprit la parole:
« Revenons aux faits. J'aimerai vous poser quelques questions, Firrn, si toutefois vous êtes disposé à ce que nous vous aidions.

Toujours d'abord, j'aimerai demander audience à Sir Herik, malgré sa condition. Je suis prêtresse de Séhanine et dispose de dons de guérison. Par ailleurs, il me parait important d'établir que son état est bien sans rapport avec la situation générale de Froiderive. Pouvez-vous faire le nécessaire pour obtenir ce rendez-vous?

Pour les enfants, la priorité me semble être la protection de ceux qui résident encore au village. Combien sont-ils encore ici et quels sont les dispositifs mis en oeuvre pour les maintenir en sécurité ? Si possible, j'aimerai les rencontrer, eux et leurs parents. Les enfants doivent être apeurés et il me parait important de leur apporter du réconfort ainsi qu'à leurs familles.

Quant aux gobelins, sans vouloir douter de votre bonne foi, ce que vous affirmez me parait bien surprenant. Les gobelins peuvent être nuisibles, certes, mais dévoreurs d'enfants, ne me semble pas correspondre à ce que je connais de ces petites créatures. Par ailleurs, j'ai cru comprendre que les enlèvements n'avaient lieu que les nuits de pleine lune. Les gobelins ont une parfaite vision nocturne et n'ont donc nul besoin de la lumière lunaire... Etes-vous certain que ces conclusions ne soient point un peu hâtives?

Autre chose, enfin. Y'a-t-il eu des témoins des enlèvements? Les parents des enfants disparus, peut-être, que nous puissions interroger? Connait-on les lieux où ces rapts ont été commis, les scènes de crime où nous pourrions commencer notre enquête? »

Irrité, Cerran s'appliqua à respirer profondément. Tandis que l'elfe apaisait les tensions avec des politesses raisonnées, il braqua son regard noir sur leur interlocuteur.
Dernière chance, rumina-t-il en attendant sa réponse.

Firrn tapa du poing sur la table avant de lâcher un éclat de rire gras et rauque.
« Peut-être valez-vous bien quelque chose finalement ! Ha, parlons peu mais parlons bien ! »
Si les yeux de Cerran et Kerforn pouvaient jeter des éclairs, sans doute auraient-ils déjà réduit en cendres l'intendant de la ville. Et si l'azéréen était là, nul doute qu'il aurait tranché la gorge de cet être vulgaire et bien peu respectueux.
« C'est d'emblée un non pour Sir Herik. Le prêtre de notre village a déjà prodigué des soins, sans nette amélioration. Il est actuellement trop fatigué pour recevoir qui que ce soit. Magie ou pas, il lui faut du repos.
Nous avons instauré un tour de garde avec les différents hommes du village. Nous laissons les enfants dans leurs maisons pour éviter de trop les effrayer. Les fenêtres -ou tout accès- des chambres ont été renforcées. Aucun gobelin ne pourrait voler un enfant sans être repéré. Nous sommes une vingtaine à manier assez bien les armes pour intervenir rapidement et efficacement.
Quant aux enlèvements... Ils ont été faits dans la chambre même des enfants, de nuit. Aucun témoin, personne n'a vu ou entendu quoi que ce soit. Au matin, on trouvait seulement les fenêtres ou les portes des maisons ouvertes, sans trace des victimes. Il n'y a que des gobelins pour pouvoir agir aussi discrètement ! Ils ont pris possession d'une caverne non loin il y a quelques mois, et les enfants ont commencé à disparaître peu après ! Certes, la chronologie est étrange, mais je vois mal qui cela pourrait être d'autre ! »

Althana observa attentivementIntuition: Florimel lance 1d20+12 et obtient 17 (5) son interlocuteur. Il nous cache quelque chose ? s'interrogea-t-elle.

« Dans ce cas, je rencontrerai volontiers votre prêtre pour entendre son diagnostic. La soudaine maladie de votre seigneur est une autre coïncidence bien étrange. » insista la prêtresse.

Althana essaya de se souvenir ce qu'elle avait appris sur la lycanthropieReligion: Florimel lance 1d20+7 et obtient 11 (4), des symptômes de cette affliction. Dans ses visions, il lui était apparu qu'un loup garou était mêlé à cette histoire. Et si Sir Herik était lui même victime d'une telle malédiction ?
La jeune prêtresse fit ensuite un rapide calcul mental pour déterminer combien de jours les séparaient de la prochaine pleine lune.

Firrn fronça les sourcils devant la question de la prêtresse.
« Coïncidence ? Bien sûr que non. A tous les coups, les gobelins l'auront empoisonné ou maudit, et il met du temps à récupérer. Je suis bien d'avis que ça n'est pas une coïncidence. Vous pouvez voir Rudolf, notre prêtre de Kord. Son temple est à la sortie ouest du village, vous ne pourrez pas le louper. Nous vous offrons le gîte et le couvert pour la durée de votre séjour. Maintenant, je dois régler des détails sur les échanges de poisson de notre communauté. Si vous n'avez pas plus de questions, nous nous reverrons demain matin pour décider d'un plan d'attaque. »

Althana regarda Firrn s'éloigner sans dire un mot.
Sur la table devant elle, boissons et repas étaient encore intacts. La demi-elfe se décida à se restaurer un peu en attendant que le calme revienne dans l'auberge.

Quand les habitués des lieux détournèrent enfin l'intention d'eux, elle chuchota à ses compagnons :
« Kerforn, Cerran, que pensez-vous de cet accueil? J'ai l'intuition que notre nouvel "ami" Firnn n'est pas tout à fait honnête, mais sans savoir exactement ce qu'il ne nous dit pas...
Pour ma part, mettre les enlèvements et l'empoisonnement du seigneur local sur le compte des gobelins me parait un peu gros !
Cependant, il nous faut décider vite de nos actions à court terme ; la pleine lune approche et les ravisseurs d'enfants - qui que ce soient - pourraient intervenir à nouveau cette nuit même, ou bien la prochaine. »

Cerran prit une bonne lampée de bière, trop heureux d’en retrouver l’amertume après un harassant voyage ; un filet de mousse déborda et crépita dans le fin roncier de barbe noire qui ombrageait de nouveau sa mâchoire. Il s’essuya d’un nonchalant revers de manche et piqua de la pointe d’un couteau une large tranche de fromage.

« Je n’ai jamais eu affaire à des gobelins, » répondit-il à la prêtresse avant d’engouffrer la pâte onctueuse en une bouchée. Et de poursuivre tout en mâchant : « Mais je commence à connaître ce genre d’homme. Une maladie ? Allons, il y a plus original comme prétexte. Et puis, il n’a pas l’air d’être très affecté par l’état de son chef. « J’administre le bourg en son absence »… Monsieur a déjà pris ses aises. Il n’a peut-être pas envie que la situation change. »

Cerran se laissa distraire une seconde par une tranche de jambon, qu’il mit de côté pour l’azéréen disparu en pleine nature dans le cas où il se déciderait à réapparaître. Puis il reprit en haussant les épaules :

« Qui est à l’origine de la demande de renforts ? S’il s’agit de notre cher ami Firrn, les conflits internes de ce village ne sont pas de notre ressort, et il peut bien comploter ce qu’il veut tant que cela ne me met pas directement en danger. En revanche, si c’est le châtelain, je ne me fatiguerai pas à perdre mon énergie pour une seconde main trop ambitieuse. Personnellement, j’aime voir pour qui je travaille vraiment. »

Kerforn haussa les épaules
« Personnellement je me fiche pas mal de savoir si c'est la vérité ou non.
Je suis venu pour exterminer ce qui enlève les enfants, et je doute que ce soit ce vieux. Alors qu'il complote ou non, ça ne me regarde pas. »
Il s'arrêta un instant
« Pour moi, c'est clair : C'est Mannir qui m'a donné cette mission, c'est pour lui que je travaille »
Il s'arrêta donc et mangea un peu

« Mannir..., oui, » marmonna Cerran. Il oubliait vite les personnes qu'il ne côtoyait que brièvement, si bien que le capitaine de la garde de Cascadonne lui était complètement sorti de l'esprit. Il croisa les bras.
« Effectivement, Cascadonne ne s'inquiète que de la disparition des enfants. Dans tous les cas, si quelqu'un du village est impliqué, nous le saurons bien assez vite. »
Il réfléchit un instant. Il ne dormirait que sur une oreille cette nuit ; quand le coin sentait la magouille à plein nez, il préférait rester prudent. IL était même tenté d'aller faire un petit tour, sous le couvert de la nuit, du côté de la demeure du châtelain pour y récolter, peut-être, quelques informations.

Althana écouta les deux hommes. Kerforn n'y alla pas par quatre chemins. L'avantage avec lui, c'est qu'il disait ce qu'il pensait, et ne s'encombrait pas de paroles inutiles.
Cerran se posait davantage de questions, et tout comme la jeune prêtresse, il se méfiait de ce Firnn, et avait la même intuition d'un imbroglio sous-jacent.

« Pour ma part, j'avais pris la décision de venir ici avant même que Mannir nous informe de la demande de renforts. Je ne me considère pas vraiment en mission pour Cascadonne.
Cependant, j'ai bien l'intention de tirer cette affaire au clair. Les événements cachent bien plus qu'il n'y parait. Et Séhanine ne m'aurait pas confié de vision pour une simple affaire de gobelins.
Les habitants de Froiderive ne le savent sous doute pas encore, mais c'est à mon avis bien plus que de simples renforts dont ils ont besoin pour découvrir la vérité. Il va peut-être falloir nous servir de notre esprit autant que de nos muscles. »

Althana termina rapidement son repas.
« Je pensais profiter de la soirée pour inspecter un peu le village.
Rencontrer les parents des victimes, vérifier que les enfants survivants sont sous bonne garde. Peut-être aller parler à Rudolf le prêtre de Kord, puis traîner du côté du manoir seigneurial...
Quels sont vos plans pour sa soirée? L'un de vous souhaite-t-il m'honorer de sa compagnie lors de cette petite virée nocturne? »

Le regard de la demi-elfe se porta en particulier sur Cerran qui serait sans doute le plus enclin des deux à accepter la proposition.

« Que je sois damné si je refuse une 'petite virée nocturne' avec une aussi jolie dame, » répondit Cerran avec un large sourire, avant de pivoter à moitié en direction de Kerforn : « Et le tas de muscles, il nous accompagne ou il attend que les gobelins se pointent ? »

Kerforn secoua la tête
« Je préfère faire un tour de mon côté »
Sur ces mots, il se leva
« Pas que votre compagnie me dérange, mais cela fait trop longtemps que je n'ai pas été seul un moment »

Les trois aventuriers sortirent de l'auberge après avoir achevé de se sustenter et déposé leurs bagages dans leurs chambres respectives. L'auberge était chaude et propre, un excellent refuge contre le froid des nuits du Nord. Un vent venu du lac Brumhiver caressait leurs visages avec fraîcheur, les faisant s'emmitoufler plus profondément dans leurs vêtements chauds.
Le village était calme, parcouru par quelques équipes de patrouilleurs en binômes qui vérifiaient l'intégrité des portes et des fenêtres du village. Ce n'étaient pas des professionnels, mais la vie de leurs enfants dépendait de leur sérieux dans cette tâche : on ne pouvait les blâmer.
Althana leva les yeux vers la voûte céleste, claire et irisée d'étoiles. La lune était obèse, opalescente, mais encore pleine. Ce serait pour demain. Leur seule chance de tirer cette affaire au clair avant des jours...

Qui fait quoi ?