Les émotions sont faites pour être oubliées. La colère est traîtresse. Le plaisir souvent piégeur. La tristesse s'avère mortelle. La satisfaction invite à l'arrogance. La déception appelle à la revanche. Les émotions doivent être contrôlées. Maîtrisées. Contenues. Rangées. Cataloguées. Rationalisées. Abandonnées.
Les émotions sont une illusion puissante.

Pêcheurs, on nous appelait. Mes parents ont fui Zolan. Nous n'étions pas dignes de faire partie de la société. Nous avions un peu plus que les autres Zolanders et ceux-ci nous craignent pour cela. Ils cherchent à nous contrôler. Ils nous croient une menace. Parce que nous, clawdites, pouvons changer de visage et pas eux. Et cela leur fait peur.
J'étais tout petit quand nous avons quitté leur influence, abandonné notre vie pour nous installer loin de Zolan. Ibaar était notre nouvelle demeure. Une planète faite de montagnes, une planète froide, venteuse. Et pourtant, pleine de vie, quand on sait comment regarder.

Sur Zolan, on nous traitait d'hérétiques, on voulait nous enfermer dans des ghettos. Ici, notre nature de clawdite était connue et acceptée. C'est là que j'ai vu comment certaines apparences provoquent certaines impressions, attirent certaines émotions. Une jeune femme souriante rassure les personnes âgées. Un homme mature traite avec les clientes différemment qu'une vieille femme ne le ferait. Pourtant derrière ce jeu de visages, c'était toujours mes parents, acceptant la douleur pour mettre à l'aise leur clientèle. Je voyais bien qu'il s'agissait des mêmes personnes. Et les habitants du village le savaient. Et pourtant, ils réagissaient différemment. C'était étrange.

Mes parents eurent d'autres enfants, pendant notre vie sur Ibaar. Peut-être en ont-ils eu davantage depuis la dernière fois que je les ai vu. Peut-être sommes-nous une grande et heureuse famille.
Je l'ignore. C'est sans importance. Le bonheur est une simple information. Bonheur et douleur sont les facettes d'un même prisme. Seule compte la Force.

Je ne savais pas, étant enfant, ce qu'était la Force. Comment cette énergie résonnait en chacun de nos êtres. Sa façon d'apporter la vie, de l'entretenir, avant de l'abandonner lorsque vient la mort. Je ne savais pas ce qu'elle était. Mais je la connaissais, comme une amie d'enfance, comme une mère attentionnée, comme une présence chaleureuse. Elle m'a toujours accompagné. Elle m'aidait à chasser les oiseaux, les petits animaux, lorsque je grandissais. Avec mes amis, dans le petit village d'Ibaar où mes parents étaient devenus marchands, nous courrions dans les forêts, nous nagions dans les torrents, nous jouions avec des épées de bois. Nous étions ... dissipés.
Je n'éprouve pas de fierté en annonçant que je remportais la majorité de nos jeux, lorsque nous étions enfants. C'était simplement ainsi. La Force m'aidait à anticiper. Alors bien sûr, j'anticipais, j'évitais les coups, portais les miens là où mes amis se trouveraient, plutôt que là où ils étaient. Nos jeux étaient souvent brutaux, nous revenions souvent le visage boueux et les genoux endoloris, les fesses rougies.
Nous étions des enfants.

Aujourd'hui, je ne suis plus un enfant. Je ne suis plus qui j'ai été. Je suis apprenti jedi auprès du chevalier Ki Wondi.

Suul Ither, une Snivvian, était une jedi aux habitudes particulières. Elle paraissait n'avoir pour but que de parcourir inlassablement les vallées d'Ibaar, cherchant quelque chose. Elle trouva cette chose en moi, ainsi qu'en quelques autres, à d'autres moments de son pèlerinage. J'ignore pourquoi avait-elle décidé de vivre ainsi. Je ne lui ai jamais demandé. Cela fait presque huit ans que je n'ai mis les pieds sur Ibaar. Et aujourd'hui, c'est devenu compliqué.

Après un temps comme padawan au temple de Coruscant, j'ai été pris sous l'aile de Ki Wondi, mon maître, mon professeur. C'est un humain. Il m'enseigne. Il m'aide à grandir. Il me montre comment méditer. Me retirer du monde. Contenir mes émotions. Retenir mes impulsions. Suivre mon instinct, mais pas sans raisons. Je peux faire confiance à la Force. Je dois me méfier de mes émotions.
Je sais les maîtriser.
Je sais les imiter.
Je n'ai guère d'émotions moi-même. Je les contiens. Mais je sais maintenant qu'un visage impassible, paisible, presque immobile, un regard fixe, direct, met mal à l'aise certaines personnes. il est important de les mettre en bonne condition, pour pouvoir traiter avec elles. Pour pouvoir les aider. Ou pour pouvoir négocier une issue favorable.
Ki Wondi est un bon enseignant, un grand diplomate. Un conseiller avisé, que j'ai suivi jusqu'à Nez Peron (ou une autre planète de l'outer rim). C'est là que nous avons été piégés, lorsque le traité d'Aldébaran a été signé, que les forces républicaines durent se replier, laissant de nombreux mondes sans défenses.
À la merci des Siths.
Et nous l'avons appris trop tard.