« Sympa, le decorum... »

Indiquant les cadavres, Héléa vint se poster au bord de la montagne et s'y assit, les jambes dans le vide. Observant la ville, elle réfléchit un instant avant de répondre avec la question:

« Que celui qui a établi les plans de cette ville ignorait tout de l'art de la guerre. J'aurais défriché sur 100 m autour de la ville pour m'assurer un champ de tir suffisant... Et j'aurais construit les maisons pour former des couloirs se dirigeant vers un point unique et central. Ca permet de regrouper les défenseurs à un endroit et de le tenir plus facilement, tout en privant l'envahisseur de couvert. Sans compter un mur qui serpenterait le long de la rivière. Devoir traverser une rivière sous le feu ennemi pour tomber sur un mur est un véritable cauchemar stratégique.

Si j'avais eu du temps, j'aurais même établi une deuxième enceinte fortifiée, après les champs, pour permettre de tenir en cas de siège et fournir un autre champ de tir, une fois le premier mur tombé.

La proximité de la mer constitue aussi un défaut. L'érosion des eaux années après années implique des surcoûts en terme d'entretien et la défense y est plus compliquée, on ne peut pas bénéficier des reliefs du terrain. Sans compter le coût d'armement des navires propres à la défense et la formation de leurs équipages...

...

C'était là le sens de ta question ou bien, je suis tombée à coté? »

« Assez? »

Héléa observa la masse de cadavre informe à ses pieds sans rien dire puis enchaîna:

« Tous les matins, quand je me réveille seule et sans autre but que de survivre une autre journée. Mais j'ai pas le choix. Enfin, si, je l'ai mais je ne le fais pas. Je pourrais faire comme l'instructeur de cette ville, me ranger, enseigner et vivre en paix... Voir même me marier, pondre quelques gosses, vieillir et mourir dans mon lit.

Mais d'autres auraient à prendre les armes, à risquer leurs vies, sans pour autant avoir reçu mon enseignement. Alors je fais ce que pour quoi j'ai été entraîné et formé, je me bats pour que d'autres n'aient pas à le faire et puisse construire des villes où on pense à la vie.

Après tout, pour que des villes comme ça se construisent, il faut que ce soit d'autres qui prennent le fardeau de la mort et de la destruction. C'est pour ça qu'on est là, toi et moi, outils de mort pour permettre à la vie de prospérer. Un beau paradoxe, d'ailleurs mais passons.

Et si je n'étais pas là, tu retournerais dans la forteresse, à attendre qu'une autre s'élève pour te porter. Et je n'en ai pas envie. »

« C'est déjà ce qu'on fait, Néaloria. Regarde. »

Du doigt, elle pointa la ville:

« Si tu trouves que ça n'est pas assez, soit. Nous trouverons un autre moyen mais à un moment ou à un autre, nous devrons verser le sang de ceux qui veulent nuire à tout ça pour le préserver. C'est l'une des constantes de l'univers, il ne peut y avoir de paix, juste une guerre éternelle. Chapitre 4, verset 12. Même si on ne le voit pas, même si on y prend pas part, l'univers fonctionne ainsi, des forces qui s'entrechoquent, qui apprennent à vivre ensemble pour aller dans le même sens ou bien qui s'affrontent jusqu'à ce qu'une des deux disparaissent.

Oui, ça n'est pas joli. Mais ce paysage de mort que tu vois depuis ici, ça n'est pas une fatalité. Si tu souhaites être plus tranquille, d'accord. Je ne te tirerais qu'en cas d'absolue nécessité. Et tu n’ôteras la vie que de ceux qui veulent causer mort et destruction.

Toi et moi sommes liées pour le restant de nos jours, Néa. Deux forces qui s'entrechoquent mais je n'ai pas envie d'aller contre toi jusqu'à ce qu'une de nous deux disparaissent. Travaillons ensemble, tu veux bien? »

« A nous de jouer, tu veux dire! »

Un sourire mauvais fleurit sur le visage d'Héléa tandis qu'elle regardait approcher les gobelins:

« Nous sommes Son marteau. »

Renversant sa garde vers l'arrière, elle attendait, offerte, qu'un des gobelins se précipitent vers elle, ce qu'un d'entre eux ne tarda pas à faire, chargeant l'épée levée.

« Nous sommes la pointe de Sa lance. »

Elle le cueillit sous le bras d'un mouvement ascendant, tranchant net le membre et l'épaule avant de suivre le mouvement de l'arme pour se précipiter vers le suivant, qui se protégea derrière son maigre bouclier.

« Nous sommes le gantelet autour de Son poing. »

Elle le frappa alors, non pas avec son arme mais avec son pied, opposant son poids au sien et profitant de la surface plane qu'offrait la protection pour pousser le verdâtre vers le rebord du précipice et l'écoutant chuter avec délectation.

« Nous sommes le fléau de Ses ennemis et le malheur des traîtres. »

Les deux autres, voyant le déroulement, hésitèrent un instant avant de s'écarter l'un de l'autre, pour encercler la prêtresse. Mais c'était trop tard. Déjà, elle s'était remise en mouvement, attrapant Néaloria comme un simple objet qu'elle lança en direction d'un des deux pour le clouer sous son poids pendant qu'elle percutait violemment le second et l'amenait au sol pour le larder de coups de poings gantés, le bruit mat des os qui se brise et les couinements de douleur rapidement remplacé par celui de la chair qui éclate et les gargouillis de la pauvre créature. Se relevant, Héléa tourna son attention vers le quatrième, coincé sous Néaloria, bien trop lourde pour lui. Elle s'avança lentement et du pied, le cloua au sol pendant qu'elle ramassait son arme. Ses yeux froids se rivèrent dans ceux du gobelin, espérant sa reddition mais celui-ci profita de l'occasion pour planter sa lame dans le mollet de la jeune femme. Grimaçant sous la douleur, elle énonça simplement, en abaissant son arme, pointe vers le bas, pour le clouer au sol:

« Nous sommes la fin. »

Le regard vide et mort de sa victime la contemplait, le petit corps agité d'un soubresaut quand elle retira la lourde lame de son corps. Se tournant vers le dernier gobelin, elle semblait bien différente d'il y a quelques instants à peine, son armure couverte de sang. Attrapant un bout de sa cape, elle essuya doucement Néaloria et lança au dernier de ses opposants:

« Se battre quand on ne peut que perdre n'a aucun sens. Rends-toi et je ne te ferai aucun mal. »

« Hé, savoir se servir d'une arme, ça n'est pas que savoir l'utiliser pour trancher. J'aurais pu t'attraper par la lame pour leur fracasser le crane avec ta garde ou encore, te mettre devant moi pour les repousser. Là, ton poids l'a cloué au sol le temps que je m'occupe de l'autre. Du travail d'équipe, comme toujours. »

Héléa se dirigea vers Néa et l'étreignit:

« Repose toi bien, les jours à venir vont être long, j'ai l'impression... Et on ne va pas pouvoir beaucoup parlementer, tel que je le sens... »