Chorune inspira profondément avant de parler. Il fallait qu’elle soit convaincante, sinon sa mère prendrait le moindre prétexte pour rentrer à la ferme. Aussi ne s’embarassa-t’elle pas de formules alambiquée, dont elle aurait été incapable de toute façon.
« Tout ce que je vais vous dire est confidentiel… » commença-t’elle. La blondinette attendit que ses parents aient accepté cette information avant de continuer. « L’attaque des gobelins n’était qu’un prémisse. Depuis ce matin, nous savons qu’une attaque de grande ampleur va toucher bientôt le village. » Chorune n’indiqua pas comment elle savait cela. Mais ce ne serait pas un secret : De toute façon, Vic les mettraient au courrant. Mais ce n’était pas le plus important, à l’heure actuelle, aux yeux de Chorune. Comment elle avait obtenu ces informations était bien moins important que leur contenu !
« La Maire espère que le prévôt reviendra à temps avec les renforts, mais rien n’est plus sûr. En entendant, elle m’a demandé de rester en ville une semaine de plus… Maman, ça va être dangereux, en dehors de Pointesable, dans les prochains jours. Il vaut mieux que tu restes ici. »

Une lueur de panique passa dans les yeux de Chorune à l’évocation des forces en présence. Devait-elle l’annoncer, de but en blanc ? Ha, si Grand-Père était encore là ! Il saurait quoi faire !
« Maman, c’est trop dangereux, dehors. Et puis moi, je reste ici. » Desba était partie habiter dans cette ferme afin d’isoler un peu Chorune, qu’elle ait moins de contacts avec la population de Pointesable, qu’elle puisse grandir sans être rejetée par tous, afin de pouvoir revenir vers le village quand elle saurait mieux se contrôler.
Ce temps était peut-être venu.

Chorune souhaitait aussi parler à Falthryr en privé, pour lui parler de Nualia, mais elle n’osait pas faire sortir d’autorité sa propre mère.

« 200. »
Le ton que Chorune avait employé était suffisant pour que son oncle comprenne que c’était la vérité. Tout du moins, que cela correspondait aux informations que la jeune fille avait.
« Pour l’instant, il ne faut le dire à personne, pendant que la garde prépare la défense… »
Vic serait bien sûr en première ligne, ce qui n’arrangerait en rien l’inquiétude montante de Falthryr. Sans compter elle-même, si l’homme comprenait les mots cachés derrière les mots.

Chorune laissa digérer l’information, avant de poursuivre avec le vrai but de sa visite.
« Tout cela serait lié à Nualia, la fille adoptive du Père Tobyn. Laurende a eu un problème avec elle. Tu pourrais m’en parler ? »

« Bonjour Laurende. Ca va ? »
Chorune était évidemment heureuse de revoir sa cousine. Cependant, elle fut surprise d’éprouver un plaisir malsain à lui rappeler de mauvais souvenirs.
« Pour une raison que … je ne peux communiquer… » ou comment éprouver un étrange sentiment de supériorité, inconnu par Chorune jusqu’à lors, « … j’ai besoin d’en savoir plus sur Nualia, la fille adoptive du père Tobyn. »
Chorune sentit un grondement en elle, comme si une lutte s’établissait sous son crâne entre des envies de faire souffrir, et d’autres qui les combattaient. Un instant, Chorune parut hagarde. Ce qui laissa un peu de temps à Laurende pour remettre de l’ordre dans ses idées.
C’est cependant avec un ton plus posé, plus rassurant, que Chorune continua, comme si le combat était terminé.
« Tu l’as connue, Laurende. Qu’est-ce que tu pourrais me dire sur elle ? Et tu aurais participé à son enfermement dans la porcherie d’Olmur. Pourquoi ? Qu’avait-elle fait ? » Chorune jeta un regard vers Falthryr, comme pour lui demander de ne pas parler. « Ce n’est pas pour t’embêter que je veux savoir ça. Ces choses sont derrière, et tu n’étais pas seule… Mais j’ai besoin de connaitre la vérité. » Elle inspira profondément. « Y compris ce que tu n’aurais pas dit à tonton à l’époque. »

Chorune tentait de calmer Laurende comme elle le pouvait. Ce qu’elle avait fait était bien répréhensible, et elle n’avait aucun mal à concevoir la réaction de son oncle Falthryr. Après tout, elle méritait d'avoir des remords. Chorune aurait cependant bien aimé dire à Laurende que ce n’était pas grave, que ça lui servirait de leçon et puis c’est tout, un peu comme les parents font. Mais ces mots ne vinrent pas : Les répercussions du geste de sa cousine paraissaient terribles, au regard de ce qu’il se passait aujourd’hui. D’une certaine façon, les morts récentes, la future attaque de PointeSable, pouvaient être imputés à cet acte. Cette réflexion convainquit Chorune de ne pas faire le lien entre Nualia et l’attaque des gobelins devant Laurende… Le poids de cette responsabilité l'anéantirait !

D’un autre côté, la combattante avait du mal à imaginer qu’une seule nuit ait suffit à transformer irrémédiablement Nualia en démone. Et que devenue adulte, partie dans une autre contrée, Nualia n’en vienne pas à oublier cet acte d’enfant… Il devait y avoir autre chose. Et l'histoire de Jervis Stoot se rappela à elle. Les coïncidences étaient tellement troublantes qu'elles en devenaient des liens évidents.
« Combien de temps cet incident s’est produit avant l’incendie de la cathédrale ? Un mois, environ ? » réagit Chorune.
« Salfon était au courant ? » demanda-t’elle distraitement. Le grand-père de Chorune était mort il y avait deux ans, bien après l’incendie et ces incidents…
« Et on m’a dit que Nualia était amoureuse d’un varisien de passage, sur la fin… tu en as entendu parler ? »

Chorune était déjà perdue dans ses pensées lorsque sa cousine, sentant que la blondinette ne l’écoutait plus, lui proposa d’arrêter la conversation.
« Non… merci. Désolée d’avoir remué ce couteau dans la plaie… »
La couturière retourna dans le hall, embrassa sa mère – « Tu ne fais pas de bêtises, hein ! » – puis retourna à l’auberge d’Ameiko, transformée en quartier général des enquêteurs, pour y retrouver le reste de ce que l’on pouvait désormais appeler « équipe ».
Son ventre lui rappela que c’était l’heure de manger…