Le nain dégageait une odeur de musc et de résine qui, sans être trop désagréable au nez d'un sauvage, pouvait certes s'avérer offensant pour l'odorat raffiné d'un elfe, qui plus est d'un elfe civilisé. En outre, Beorn était tellement plongé dans son repas et dans sa discussion avec l'elfe qu'il ne pris pas conscience de la moue dédaigneuse de son interlocuteur.

« Dans le nord, vers le Bois Grognon? C'est pas équipé d'même que vous arriverez à le traverser en vie. C'est bourré d'orques et de trolls ce bois. C'est pas fait pour un elfe maigrichon qui vient pas du coin. »

À la dernière remarque, Anuël éclata de rire. Il adorait l'aspect grognon des nains, il avait quelque chose de ludique.

« Vous saurez, mon brave compagnon, que bien que je sois maigrichon, comme vous dites, j'ai plus d'un tour dans mon sac! » répondit Anuël, tout sourire. « Je ne voudrais pas me vanter, mais je maîtrise plusieurs sorts de magie qui peuvent faire de moi un adversaire redoutable! »

Le magicien prit alors une gorgée de vin afin de mieux faire passer cet éclat de rire et d'éclaircir son gosier. « Hum! Vous semblez connaître la région, c'est bien. Sachez toutefois que je ne me rends pas dans le bois Grognon... Non, je cherche plutôt à me rendre dans la forêt de Mériani... »

Sans donner plus d'information sur ses motivations, le mage sauta soudain du coq à l'âne. « Oh ! Mais où sont donc mes manières !? Je me prénomme Anuël, je viens d'Idara dans le Kyonin, terre d'elfes et de magie... Vous êtes ...? » Ces derniers mots avaient été prononcés alors qu'Anuël tendit sa main au nain pour qu'il la serre.

Le nain lui serra la main. Maintes précautions n'y suffirent peut-être pas, il essaya de ne pas écraser la main de l'elfe mais elle était si frêle. Pas la même poigne que celle des Shoantis.

« Beorn, du clan shoantis des Shundar-Quahs, du plateau du Storval. À tout le moins depuis 20 années, avant qu'ils ne me trouvent amnésiques sur un champs de bataille. Ouaip, je sais pas qui j'étais d'avant ce temps, mais je sais ce que je fut, un shaman. Et depuis 5 hivers, je trimbale ma carcasse par les bois et les landes en essayant de me rappeler du passé. Je vous l'avais dit qu'c'était une longue histoire. »

Beorn fut pris d'un air songeur, le genre qu'on fait lorsqu'on raconte l'histoire de sa vie et qu'on n'est pas bien certain d'avoir bien fait. Il étouffa cet air avec une première gorgée de thé.

« Et pour en revenir sur la petite histoire, ne le prenez pas mal mais il y a vraiment quelques bois qu'il vaut mieux éviter dans votre état. Et quelques sorts, c'est pas ça qui va vous sauver la peau, à moins de vouloir faire détaller une bande de gobelins couards, mais ça peut aider pour sûr. Y aller seul est simplement à éviter. »

Le nain pris une seconde gorgée du thé, une grosse cette fois. La force du piment lui brûla la gorge allègrement et lui fit lâcher une légère grimace.

« Par les esprits des bois, fort à souhait ce thé!! Elle exagérait pas la belle dame. »

<soufflement>

« Bon, vous voulez aller à la forêt de Mériani. Par quel trajet que vous avez prévu d'y aller? »

« J'en ai franchement aucune idée... » admit l'elfe au nain aux manières un peu rustres. « J'avais prévu simplement longer la côte à pied ou à cheval jusqu'à la forêt de Mériani, mais je commence à croire qu'il s'agira là d'une monumentale perte de temps... Pas que je sois pressé par contre... »

L'elfe prit une bouchée de mangue, puis reprit la conversation. « Et vous, mon brave? Si vous n'êtes qu'un simple voyageur, vers où vous dirigez vous? »

« Ici ou là, selon ce que mon instinct me dicte. Parfois ma mémoire me revient en partie, certains lieux me semblent familiers. Aujourd'hui, c'est Pointesable. Qui sait où je sera demain. »

Le nain acheva son thé d'une bonne traite, laissant le piment au fond de la tasse.

« Si vous voulez avoir mon avis, pour aller jusqu'à Mériani, passez par l'est du bois Grognon. La lisière est dangereuse mais moins que la forêt en elle-même, et je vous guiderai si vous le voulez. »

La proposition en tentait guère l'elfe qui se voyait mal voyager avec un nain de cette espèce. Anuël se rappela alors que dans tous les bons récits d'aventure qu'il avait pu entendre au cours de sa longue vie, tous comportaient une alliance incongrue.

« Pourquoi pas...? » répondit le mage, tout en souriant.

Après l'interruption de la serveuse, Anuël ne se fit pas prier pour se lever, puis il tira sa révérence. « Je ne suis pas plus fatigué que ça, mais je dois admettre que je me reposerait bien... Cette longue journée d'étude à l'académie m'a donné un de ces mal de tête! J'espère bien vous revoir demain en matinée, Beorn. »

« Très bien l'elfe. Réfléchissez-y et, si mon offre vous intéresse, on s'en reparlera devant une tasse de thé bien chaude au matin. »

Puis le nain se tourna vers Ameiko.

« Vous disiez que vous aviez un endroit tranquille près du feu? Et si vous me le montriez... »