Alors que l'épée de Chorune tranchait le bras du gobelin, puis s'enfonçait dans son crâne, la jeune fille expira un râle de satisfaction. Ensuite, son regard fou fureta en tout sens pour chercher une nouvelle victime à ses coups, sans succès. Celle qu' elle voyait instinctivement comme une âme sœur venait de s'adjuger la vie du chanteur désagréable, le dernier ennemi debout.

Aussitôt, sa colère s'estompa. Une fois encore, réalisant ce qu'elle venait de faire, Chorune tomba à genoux, atterrée par son propre plaisir dans la destruction.
Un monstre... je suis un monstre... Salfon ! Que dois-je faire ?
Elle entendit à peine la question de l'elfe. Elle secoua la tête. NON, ça ne va pas!
L'adolescente comprenait ce qu'elle était, et c'était loin de lui plaire.

Il y avait le feu à certaines maisons. Mais Chorune s'en détourna. Assez d'habitants de Pointesable... trop d'habitants... venaient aider.
Elle se sentait inutile, dangereuse. Elle cherchait plutôt du regard un endroit pour s'enfuir, et pleurer à son aise. Elle se releva pour se diriger vers l'espace entre les deux maisons les plus proches.

Le combat venait de s'achever. Les gobelins des environs étaient morts et on pouvait désormais songer à éteindre le feu. En se creusant la mémoire, Beorn se souvint d'une oraison qui serait utile. De l'eau il fallait, de l'eau il y aurait. Il s'approcha de la maison en flamme et, psalmodiant quelques paroles et et gesticulant de sa main libre de sa hache, il fit apparaître une fine pluie au-dessus du feu.

Une fois le combat terminé, Anuël souffla un instant, non trop sûr de ce qui venait de se passer. Comment des gobelins -autant de gobelins!- avaient-ils ainsi pu s'introduire à Pointsable pour tout incendier ? et surtout, pourquoi ?

L'elfe essuya rapidement de la poussière sur sa robe, puis se tourna en sursautant lorsque le père Zanthus sortit de la cathédrale. Mal lui en pris, c'est à peine s'il avait remarqué le feu qui consumait les toitures devant lui.

« Non! » s'exclama alors le magicien, « Au feu! Qu'est-ce qu'on va faire!? » cria-t-il à nouveau, en se prenant le cheveux d'une façon qui frôlait la comédie.

Chorune, toute à son chagrin et ses sentiments teintés de honte et de désespoir, s'éloignait de l'incendie. Elle vit au coin de la maison la petite qui appelait à l'aide. Malheureusement, personne ne semblait l'avoir vue.
« Là ! Il y a quelqu'un de bloqué dans la maison ! »

Oubliant pour un temps ses griefs envers sa propre personne, Chorune s'approcha en courant de l'emplacement en question.
« Saute, petite ! Saute! Je t’attraperai, tu verras ! »
La petite hésitait, mais chaque seconde la mettait en danger.
« C'est moi, Chorune ! Tu me connais, allez, saute, je t'attraperai! »


Finalement, la petite, mise en confiance par Chorune, sauta. Comme promis, Chorune la rattrappa sans encombre. Au moins, ma force ne sert pas qu'à tuer... soupira-telle, heureuse de ce dénouement à plus d'un titre.

Portant l'enfant dans ses bras, Chorune se tourna vers ceux qui aidaient à éteindre le feu et leur cria : « Son père ! Il faut sauver son père ! »

Ces gobelins me rappellent la tribu du mûrier noir, et leur culte du "vive le feu". Le grand Gilles Vertecuiller, mage du cinquième cercle, les avait enfermé dans leur volcan impie...

Samuel, à peine leur dernier adversaire visible hors d'état de nuire, entendit l'appel à l'aide de la petite fille. Talonnant Bucépholle, il galopa jusqu'à l'entrée de la maison, puis, sautant à terre, s'engagea dans les flammes.

« Ne t'en fais pas, Martigan, l'un des Grands Petits de Pointesable arrive ! », il ajouta par-dessus son épaule, avant d'être masqué par un écran de fumée :

« Je m'occupe du père. »

Soit le halfelin n'avait peur de rien, soit il était l'idiot du village.

En voyant ses compagnons accourir à la maison enflammée, Anuël ne put se retenir et se précipita. Certes, il considérait l'idée d'entrer dans la maison en flammes comme du suicide, mais attraper la fillette lorsqu'elle sauterait serait une excellente idée.

L'elfe se précipita aux côtés de Chorune, puis tenta de convaincre la fillette de sortir.

« Saute! Nous sommes là pour t'attraper... Eh, enfin... Chorune est la! »

« Et bordel! »

Héléa se précipita vers la chaîne humaine, s'arrêtant juste un instant pour jeter un coup d'oeil à son chien:

« Tu as vu quelque chose? Ne bouges pas et attend moi! »

Le chien regarda sa maîtresse et nul doute que si il avait pu saluer, il l'aurait fait mais il se posa calmement, continuant à regarder vers le nord pendant que la jeune femme faisait passer les seaux...

L'efle fut soulagé d'avoir ainsi pu sauver la fillette et son père. Ces gens avec qui il avait combattu n'étaient finalement pas si mal. Ils étaient certes un peu rustres, mais ils en avaient dans le ventre.

Anuël voyait toujours La Teigne grogner. Sans doute percevait-il quelque menace toujours cachée dans les parages. Le mage s'approcha alors du cabot, puis se pencha près de lui.

« Que se passe-t-il, La Teigne? Tu sens quelque chose? » dit il en relevant la tête, cherchant à voir s'il n'y avait pas de gobelin caché quelque part.

Le chien grognait toujours, non pas à cause de la proximité de l'elfe, même si c'était incertain et ce fut sa maîtresse qui vint se tenir près de lui:

« Encore des ennuis? Tu veux qu'on aille voir? »

La Teigne se redressa et attendit, la prêtresse se tournant vers les autres:

« Il vaudrait mieux aller vérifier ce qu'il a vu... Quelqu'un m'accompagne?

On peut vous laisser là, Père Zantus? »

Déjà, l'animal avançait de quelque pas en continuant à grogner...

Samuel était sortit de la maison tout ébouriffé et fumant, mais ravi. Il avala quelques longues goulées d'air de ses petits poumons puis rejoignit les autres pour finir de calmer le feu.

Il commençait à avoir la tête qui tournait, avec cet enchaînement incessant d'action...nul doute qu'il dormirait à poings fermés cette nuit. Mais l'heure n'était pas encore au repos ! Déjà une nouvelle menace semblait planer sur eux. Enfourchant Bucépholle, le halfelin encouragea son véloce destrier.

« Allez mon gros, renifle ! Trouve-la piste ! »

Chorune avait sauvé l'enfant, et Samuel le père. Outre la fierté et la satisfaction de cet heureux dénouement, les félicitations de Zantus complétaient ce qu'il fallait à l'adolescente pour se sentir un peu mieux. Les idées noires qui l'avaient étreinte étaient compensées par ces paroles encourageantes.

Malheureusement, quand tous parlèrent de la teigne et de ce qu'il semblait avoir perçu, le première sentiment de l'adolescente désespérée était de la lassitude.
Il y en a encore ? Pfff. Ca cessera quand ?
Bien sûr, elle repensait à ses propres réactions anormales.

Cependant, en contradiction avec ces craintes, elle se porta naturellement volontaire pour rejoindre Héléa et aller à la rencontre du danger. Un sixième sens la guidait, comme si elle était sur le moment extralucide sur la situation.

Beorn ne se sentait pas plus l'âme d'un héros qu'un autre en cet instant. Sur le moment, toute cette action récente avec les gobelins et le feu ne lui donnait qu'une irrésistible envie de prendre un bon thé. Peut-être une tasse de l'excellent thé pimenté de l'auberge. Il n'empêche que le grognement du chien le sorti de sa rêverie de thé; il restait encore du danger, et le thé devrait malheureusement attendre. Le druide rejoignit le groupe qui s'était formé autour d'Héléa et il essaya de voir ce qui faisait grogner la Teigne.

En voyant Beorn réagir, Anuël comprit que quelque chose clochait.

« Que se passe-t-il, Beorn? » demanda alors le magicien au nain.

« On dirait qu'il y a quelqu'un qui crie à l'aide. Il faudrait voir au plus vite, je crois. »

Le druide se mit à courir aussi vite que ses courtes jambes le lui permettaient vers la source estimée du bruit (qui, au son ténu, lui semblait éloignée).

Chorune suivit le nain dans sa course. Quelqu'un appelait à l'aide : Etait-ce une nouvelle victime de ces vils gobelins ? Chemin faisant, la guerrière tenta de se souvenir qui habitait la maison vers laquelle elle se dirigeait.

« Je vous suis. La Teigne, avec moi. »

La maîtresse et son chien s'élancèrent en avant, suivant de près sa cadette.