Cela faisait maintenant quelques semaines que la trève avait été signé par Ellöe, désormais reine de Vigil. Peu de temps avant son mariage et son couronnement, elle avait tenu à être accompagné par une cour mêlant divers membres des forces de la nature et son choix s'était tout naturellement porté sur Oriane pour représenter les humains qui avait appris à vivre en paix avec eux. La conversation avait été rapide et Oriane se demandait encore comment elle avait pu accepter, tandis qu'elle observait la forêt qui ceignait la bordure Est de Lux depuis la fenêtre de sa chambre au château, bloquée qu'elle était dans ce bâtiment...

Elle promena son regard sur la chambre, n'y voyant que luxe et broutilles inutiles. Le lit, bien trop confortable, l'empêchait de dormir, ce qui expliquait qu'elle soit levée à cette heure tardive. Un œil sur la tenue qu'elle aurait à porter demain pour une cérémonie lui fit grincer les dents, elle plus habituée aux armures et tenue fonctionnelle qu'à des tenues comme celle qu'arborait la haute société humaine.

Mais Ellöe avait été très claire. Oriane et les autres constituait un point important de la diplomatie, la preuve que malgré tout ce que les gens avaient pu racontés, les elfes et autres habitants des bois n'avaient pas pour autant été mauvais envers les humains. Certes, il y avait eu quelques brebis galeuses mais il y en avait eu tout autant du coté du peuple de Vigil... Les questions avaient plu pendant des heures sur la jeune femme, sur ses conditions de vie, ce qu'elle avait vu et vécu dans la forêt...

Perdue dans ses pensées, se demandant si elle aurait le temps de changer de vêtements pour sortir et aller courir dans les bois, se questionnant tout simplement sur le fait de sa présence en ces lieux, elle entendit quelqu'un frapper doucement à sa porte, suivie d'une petite voix:

« Madame? Puis-je entrer? »

Elle reconnut sans peine celle qui avait été mise à son service depuis son arrivée. Encore une chose qu'elle ne comprenait que difficilement...

Oriane détourna la tête de la robe qui était déployée sur un mannequin dans un recoin de la chambre. Non, vraiment, dans toutes ces simagrées que faisaient les gens de la haute société de Lux, ce qu'elle comprenait le moins, c'étaient les tenues des dames. Entre les jupons et les corsets, elle se sentait engoncée et aussi maladroite qu'un oiseau privé de ses ailes. Le pire était encore les coiffures. Tous ces rubans, ces accessoires, surtout ces épingles qui lui tiraient les cheveux...

Reconnaissant la voix de la personne qui avait été mise à son service, la jeune femme s'empressa de lui ouvrir la porte, décidant - une fois de plus - de ne pas se formaliser de ce qu'elle l'avait encore appelée Madame. L'éclaireuse refusait de la considérer comme une personne inférieure - à vrai dire, elle la voyait davantage comme une sorte de guide dans l'univers étrange dans lequel elle avait atterri ces dernières semaines. Elle refoula ses pensées négatives, et se concentra sur son interlocutrice. Pour qu'elle vienne la voir à pareille heure, c'était que quelque chose n'allait pas...

« Oui, bien sûr ! Que se passe-t-il ? »

« La reine vous demande, madame. Elle a besoin de vous urgemment. »

La servante gardait les yeux baissés vers le sol, sautillant d'un pied sur l'autre. Elle semblait exténuée et visiblement ennuyée de venir voir Oriane à une telle heure

Les sentiments d'Oriane étaient partagés entre l'exaspération face à l'attitude soumise de la servante et la sollicitude à son égard. Ne voulant pas la mettre davantage encore mal à l'aise, elle se retint de lui re-demander pour la n-ième fois de l'appeler par son prénom.

Puisque la reine voulait la voir d'urgence à une heure si tardive, c'était que cela devait être important. Aussi la jeune femme était-elle prête à emboîter immédiatement le pas à la messagère, même si le spectacle d'une dame en chemise de nuit et aux cheveux ébouriffés déambulant dans les couloirs du palais ne devait pas être très conventionnel. A vrai dire, Oriane s'en fichait, et c'était encore la plus confortable des tenues qu'on l'obligeait à porter ici.

« Je vous suis. »

Tout en se mettant en route, elle demanda, d'un ton gentil:

« Que se passe-t-il ? Ça ne va pas ? Vous avez l'air épuisée... »

« Ça va aller, madame. Mon service est juste un peu plus long que d'habitude... »

La jeune femme n'ajouta rien de plus et emmena Oriane jusqu'aux appartements d'Ellöe. En chemin, elle croisa des elfes et quelques métamorphes, équipés et prêts à partir qui la saluèrent de la tête avant de disparaître au tournant du couloir.

La servante pénétra sans attendre dans les appartements et guida Oriane jusqu'à une pièce d'où émanait un grand brouhaha. A l'intérieur se trouvait la Reine et le Roi, ainsi que des généraux et officiers, discutant âprement autour d'une carte représentant le royaume. Quand Oriane arriva, Lucius leva la main pour réclamer le silence tandis qu'Ellöe saluait la nouvelle venue:

« Navrée de t'avoir fait lever à cette heure, Oriane mais nous aurions besoin de tes services... »

Point de membres du clergé sur place, si ce n'est Dunworth, ce qui rassura Oriane. Le peu qu'elle l'avait vu, il ne semblait pas faire cas de la présence elfique à la cour, contrairement aux autres membres du clergé.

« Oh. »

La jeune femme ne s'attendait pas à trouver autant de monde chez la reine à cette heure-ci. Mais l'ambiance militaire de l'ensemble, ainsi que l'absence de membre hostile du clergé, contribuèrent à la mettre beaucoup plus à l'aise que dans les cérémonies où des dames qui avaient trois fois son âge et un air très digne se querellaient pour avoir le droit d'avancer leur tabouret un cran plus près du trône royal.

Aussi fut-ce avec une lueur d'intérêt dans les yeux qu'elle s'inclina dans une révérence un peu gauche - et certainement comique, vu qu'elle était toujours en chemise de nuit - et qu'elle répondit.

« Oh, je ne dormais pas, de toutes façons. Qu'est-ce que je peux faire ? »

« Sauver des vies. »

La Reine observa la jeune humaine avec intérêt avant de reporter son regard sur sa carte:

« Les orques sont en pleine avancées vers le territoire de Vigil et passeront par nos anciens royaumes... Nombres de nos frères y vivent toujours, ainsi que beaucoup de citoyens de Vigil mais nous n'avons reçu aucuns retours de nos messagers. Braid? »

Le Justicar pointa une petite baronnie à la limite du royaume:

« Nos messagers devaient passer par là et le dirigeant actuel de cette baronnie n'a répondu à aucune de nos demandes et nous ignorons si oui ou non, il a mis ses forces en place pour circonvenir à l'avancée des orques. Les Archontes seront disposés plus au nord, même si nous éparpillerons quelques uns de nos hommes et femmes sur toute la frontière. Mais de ce qu'il se passe dans les terres eldars, point de nouvelles... »

L'homme posa son regard sur Oriane:

« J'apprécierai que vous alliez jusqu'à la baronnie d'Ebelern pour y quérir des nouvelles puis que vous continuiez sur votre lancée pour rejoindre vos frères d'armes pour les prévenir et aider à l'évacuation du plus de monde possible derrière nos lignes.

Avez-vous des questions? »

Malgré la gravité de la situation, un sourire apparut sur les lèvres de l'éclaireuse. Enfin, on lui demandait de faire quelque chose qui était dans ses compétences ! Elle allait pouvoir dire adieu aux rubans et froufrous, et se rendre vraiment utile. Elle se tourna vers l'homme, et fit un pas dans sa direction, se rapprochant de la carte par la même occasion pour mieux visualiser les choses.

Sa réponse alla droit au but.

« Deux questions. La première: je pars quand ?
La deuxième: quels seront nos moyens de communication ? Si vos messagers n'ont pas donné signe de vie, il a pu leur arriver malheur. Donc il faut bien que je vous fasse mon rapport avant de continuer vers la forêt... »

« Tu partiras quand tu seras prête. »

Le Justicar lança un regard en direction de la Reine, celle-ci rectifiant alors ses propos:

« Enfin, après avoir réglé les derniers détails avec Braid. C'est lui qui t'indiquera comment faire remonter les informations... »

Le roi toussota et observa Oriane avant d'ajouter:

« Faites attention à vous, d'accord? On va avoir besoin de toutes les bonnes volontés pour la crise qui se prépare... Et puis, c'est pas tous les jours qu'on voit quelqu'un rentrer en salle de guerre en chemise de nuit, je me demande si je ne vais pas en faire l'uniforme officiel en ces lieux. »

Les conseillers hésitèrent un instant avant de rire, suivant le roi dans son bon mot. Dunworth, qui s'était dirigé vers la porte, attendait qu'Oriane en ait fini pour l'accompagner à l'extérieur.

Oriane baissa les yeux sur les dentelles de sa tenue, releva la tête vers le roi, et éclata de rire de bon cœur avec les autres.

« Malheureusement, sire, je crains que ce ne soit pas très adapté pour y fixer un baudrier. »

Puis, redevenant plus sérieuse, elle promit de faire attention, salua la noble assistance et suivit le Justicar, toute prête à faire le point avec lui sur les attendus de sa mission. Il fallait aussi qu'elle examine des cartes: elle n'était jamais allée dans la baronnie d'Ebelern auparavant, et ne souhaitait pas foncer à l'aveuglette.

Elle avait peut-être de la répartie et des lacunes en ce qui concernait le protocole, mais lorsqu'il s'agissait d'agir, elle était de nature plutôt prudente.

Braid conduisit la jeune femme jusqu'à ses appartements:

« Préparez-vous. Nous passerons à l'armurerie ensuite puis nous discuterons de notre voyage. »

Oriane s'exécuta avec plaisir. L'homme n'eut pas longtemps à attendre: elle mit quelques minutes à peine à abandonner la tenue de nuit de dame qu'elle portait pour la troquer contre ses vêtements habituels et son armure. Quelques autres minutes suffirent à vérifier qu'elle n'avait rien oublié: son paquetage était prêt depuis longtemps. Elle quitta la chambre en adressant une grimace à la robe de cérémonie qu'elle ne porterait probablement jamais.

Retrouvant Braid, prête à passer à la suite, elle lui demanda:

« Vous avez dit "notre voyage" ? Vous venez avec moi ? »

Si c'était le cas, cela ne l'arrangeait guère. Elle n'avait rien contre le Justicar, qui paraissait un homme intègre, mais elle avait toujours du mal à se faire à l'idée de collaborer avec des membres de l’Église de Céloth, sans même parler de partir en mission avec l'un d'eux... Elle n'en laissa cependant rien paraître.

« Je m'occuperai de transmettre vos messages vers la capitale et je m'arrête à Ebelern pour y organiser les défenses et y appliquer la Loi de Vigil si nécessaire... Autant cheminer ensemble. »

L'homme la guida jusqu'à l'armurerie pour qu'elle y récupère ses armes et affaires jugées trop sensibles pour les garder dans sa chambre. Il y prépara aussi quelques affaires pour lui avant de se tourner vers l'humaine, changeant d'armure pour une qui serait plus passe partout:

« Vous êtes prête, Oriane? »

Oriane soupira intérieurement. Il fallait bien ce qu'il fallait pour contribuer à aider les gens à se mettre à l'abri... Et au moins, le dénommé Braid semblait animé d'intentions correctes.

Elle vérifia son arc et ses deux grands couteaux, s'assura que son carquois était bien rempli et répondit:

« Fin prête. Vous m'expliquerez les détails en route, c'est ça ? »

A la première pause longue, elle sortirait l'une de ses cartes de l'étui qu'elle transportait toujours avec elle et l'examinerait pour mieux se faire une idée de la situation. Elle profiterait de la présence de son compagnon de voyage pour lui demander tout ce qu'elle avait besoin de savoir sur l'état théorique des forces en présence...

« C'est ça. Allons-y, mettons de la distance entre nous et la capitale avant que le soleil ne se lève. »

Se dirigeant vers les écuries, il récupéra deux chevaux avant de tendre les rênes à Oriane et de guider la sienne dans les rues de Lux encore assoupies. Passant près d'un boulanger, il négocia quelques miches bien fermes avant de reprendre son chemin, montant sur sa monture et partant au petit trot. Ce ne fut qu'une fois les murs d'enceinte passé qu'il lâcha quelques mots:

« Suivez-moi. Si vous me perdez de vue, suivez la route jusqu'à Courtepointe, je vous y attendrai. C'est là que nous nous reposerons aujourd'hui. »

Il partit alors au trot, en silence. La route défilait, simplement éclairée par la lanterne que l'homme avait accroché à sa monture. Finalement, les heures passèrent et le soleil finit par se lever, tremblotant et faible, en cette période d'hiver. Les deux compères s'arrêtèrent alors, toujours silencieux et mangèrent un peu, laissant aux montures le temps de souffler, avant de repartir au pas. Finalement, en milieu de journée, la fatigue se faisait sentir mais Courtepointe était enfin en vue. Braid s'arrêta et ajouta:

« Nous allons nous reposer un peu ici. Et vous pouvez m'appeler Braid, si vous voulez. »

Oriane obtempéra sagement, s'abstenant de faire remarquer à son compagnon de voyage qu'à pied, elle pouvait être aussi rapide qu'un cheval. Mais cette solution ne lui déplaisait pas complètement, cela lui permettrait d'arriver moins fatiguée au but, et donc d'être opérationnelle plus vite. En voyant la ville se profiler, elle desserra enfin les dents.

« C'est parfait. »

Elle installa ses affaires pour se reposer, puis demanda plus de détails:

« Braid ? Si vous m'expliquiez un peu ce que vous savez de la disposition des différentes forces en présence ? »

Sur ce, elle sortit l'une des cartes qu'elle transportait dans son étui, et l'étala sur un caillou plat, de manière à rendre la discussion plus concrète.

« Les Archontes vont se déployer le long de la frontière nord, c'est tout ce que je sais. »

L'homme observa la carte un instant avant d'ajouter:

« Quand ils ont décidé de m'envoyer ici, ils ont décidé de changer tous leurs plans, au cas où nous aurions des ennuis. Simple mesure de pragmatisme... »

Sortant un peu de pain, il en découpa deux morceaux dont un qu'il tendit à la jeune femme:

« Et vous? Vos bois ne vous manquent pas? »

Oriane acquiesça à ce que lui disait son compagnon de route.

« Oui, forcément, c'est une bonne tactique. C'est sans doute mieux comme ça. Mais ma question portait plutôt sur ce qu'on sait actuellement des ennemis, histoire de ne pas foncer complètement à l'aveuglette... »

Elle accepta ensuite le morceau de pain. En retour, elle tendit son outre...

« Oh oui, si vous saviez... je ne suis vraiment pas faite pour la vie de cour, mais ça, ça n'est un secret pour personne. J'espère qu'il n'y a pas trop eu de dégâts. Je ferai tout ce qu'il est en mon pouvoir pour que le maximum de civils puisse se réfugier en sécurité... »

En réalité, elle ne pensait pas qu'aux elfes. Elle pensait aussi aux fées qui peuplaient les sources des profondeurs du bois, à la horde de centaures avec qui elle était encore en contact, et à toutes ces créatures qui risquaient de payer le prix de la guerre, elles aussi. Mais elle n'en souffla pas un mot. Elle ne doutait pas des bonnes intentions de l'homme qui l'accompagnait, mais elle n'était tout de même pas suffisamment en confiance pour parler fées avec un représentant de l'Eglise de Céloth...

« Les orques sont en marche. D'après nos estimations, leurs forces militaires sont supérieures en nombre sur un ratio de 5 pour 1. Avec l'appui de vos forces, le ratio baisserait à 4 pour 1 et si on compte les civils, et bien, on tombe encore à 2 pour 1...

Mais il y a encore beaucoup d'inconnues, en la matière...
Une force de Sanctuaire marche actuellement sur nos terres, à la recherche de fugitifs mais nous ignorons si ils nous aideront.
Nous avons dépêché des messagers vers les montagnes et Krisma mais je ne sais si nous avons eu des réponses...
Si les orques font appel à toutes leurs forces et qu'ils sont rejoints par les orques du Tha, et bien, là... »

L'homme soupira:

« Ne voyez nul défaitisme dans mes propos. J'ai juré de protéger ce royaume et ses habitants jusqu'à mon dernier souffle et c'est ce que je ferai, vous avez ma parole. Mais j'espère que parmi vos gens, beaucoup se rallieront à nous, malgré les erreurs du passé. »

« Oh. »

Oriane savait que la situation était grave, mais à ce point...

« Je ne peux rien vous garantir, bien sûr... mais les "erreurs du passé", comme vous dites, ont marqué et fait souffrir beaucoup de gens. Moi-même... Bref. Je pense que si vous dites que vous voulez protéger les civils, ça sera un bon point... Mais on verra bien. »

La fatigue commençait à se faire sentir. Elle se dit que l'homme devait avoir besoin de se reposer, et probablement de prier son dieu.

« Je suppose qu'on est en mode furtif, pas de feu, discrétion maximum ? Si vous voulez vous reposer, je peux assurer la première garde... »

Ce faisant, elle fouilla dans son sac, en tirant un loup sombre, orné seulement de fines pierres d'un blanc laiteux. Elle l'ajusta sur son visage, et rabattit sa capuche. Ainsi vêtue, il devenait difficile de la distinguer de l'arbre contre lequel elle s'adossait. Elle passerait une partie de sa veille à examiner la carte qu'elle avait sortie, afin de mémoriser les grandes caractéristiques de la région où ils se rendaient. Simple prudence d'éclaireuse...