En réponse à M. Durosseau, Erich entrelace ses doigts en hochant la tête.

« Tout comme la richesse de ma famille m'a permis de me concentrer sur ce qui est essentiel dans l'existence, vous êtes également libre de vous concentrer sur l'essentiel dans les histoires que vous recherchez. Comme vous utilisez admirablement votre liberté ! »

Une fois que la calèche est en route, Eustache approche la tête de ses amis et parle suffisamment fort pour qu'ils entendent, mais suffisamment doucement pour que le cocher, lui, ne puisse rien entendre - profitant du bruit des sabots et des roues sur les pavés.

« Notez bien que ce que je vais vous dire n'est qu'un tissus d'élucubrations, comme vous l'avez très justement souligné mademoiselle...

Je pense que notre hôte, Lord Princeps, a travaillé de mèche avec les allemands pour fabriquer ce poison dont vous souffrez. En tant qu'Écossais, il n'aime pas les anglais et souhaiterait sans nul doute trouver un moyen de libérer son pays du joug britannique. Une arme chimique serait un moyen idéal de le faire. Non pas en menaçant tous les anglais ! Le monde entier tomberait sur l’Écosse si elle osait utiliser de telles armes contre l'Angleterre... Mais simplement en empoisonnant des personnalités importantes (des membres de la famille royale par exemple, ou du gouvernement) et ne leur livrerait l'antidote qu'en cas de ratification de l'indépendance de l’Écosse...

Si j'ai bien compris ce qui vous est arrivé, vous n'avez été choisies comme victimes que pour une unique raison : vous avez été considérées comme anglophiles par vos ravisseurs, ce qui vient étayer cette thèse.

Mais pour que son plan fonctionne, il faut absolument que Lord Princeps ait en sa possession l'antidote. Or, il ne l'a pas encore. Comme nous avons pu le lire dans le message secret que nous avons trouvé, celui qui travaillait avec lui a arrêté ces recherches, les jugeant sans doute trop dangereuses pour l'humanité toute entière.

Ce serait pour cette raison que Lord Princeps nous aide avec tant d'empressement. En cherchant à vous guérir au plus vite, nous allons forcément découvrir l'antidote dont il a besoin.

Quand à cette mystérieuse jeune femme, je pense qu'elle fait effectivement partie des services secrets, français ou anglais. Peut-être est elle également bien la nièce de l'homme qui travaillait avec Lord Princeps, ce qui expliquerait comment elle aurait eu vent de l'affaire... Elle serait donc en train d'enquêter pour empêcher Lord Princeps de mettre son plan à exécution et quiconque, à part le gouvernement pour lequel elle travaille (évidemment), de pouvoir utiliser un jour cette arme diabolique...

Mais, bon, je dois bien avouer que tout cela n'est qu'un vaste ensemble d'hypothèses forgées dans mon esprit à partir des maigres éléments que nous avons ! Sherlock Holmes me dirait sans doute que je ne suis qu'un rêveur plein d'imagination et que je ferai bien mieux d'arrêter d'élucubrer ces hypothèses folles pour en revenir au faits, et seulement aux faits. Or, pour l'instant nous n'avons rien qui puisse véritablement appuyé ce récit digne des romans les plus farfelus...

Et je sais par expérience qu'il est très dangereux, au cours d'une enquête, de suivre une hypothèse qu'on a imaginée. On ne regarde en effet plus les indices et ce qui se passe pour ce qu'ils sont, mais uniquement sous l'angle de l'hypothèse qu'on a forgée, pour essayer de la prouver. Bref, on se ferme sans même s'en rendre compte à toutes les autres hypothèses qui seraient tout aussi probables, et peut-être même plus...

Le fait que vous ayez été choisies au hasard, par exemple, simplement parce que vous vous trouviez au mauvais endroit, au mauvais moment (comme c'est souvent le cas pour les victimes de méfaits dont elles ne sont pas directement la cible). Ou encore l'idée que Lord Princeps serait quelqu'un de bon qui aurait mis la main sur ce poison et chercherait son antidote, quitte à prendre le risque d'en fabriquer lui-même...

Bref, je le redis, toute mon histoire n'est pour l'instant qu'un ramassis d'élucubrations. Surtout, gardons l'esprit ouvert à toute les autres possibilités !

La seule chose qui soit véritablement importante pour le moment, c'est que nous avons enfin une piste pour essayer de vous sauver, Mesdemoiselles ! Concentrons-nous donc sur cette piste... Les faits viendront d'eux-mêmes s'ajouter les uns aux autres, se corréler ou se contredire, pour nous dire dans quel sens nous devrons finalement nous diriger pour avoir le fin mot de l'histoire... »